Communiqué n° 61 de la LDH-NC
Nouméa, le 7 août 2009
« Pas de paix civile sans justice sociale »
Au vu de l’escalade de la violence qu’il connaît, notre pays traverse actuellement des heures graves et préoccupantes.
La Ligue des Droits de l’Homme et du citoyen de Nouvelle-Calédonie condamne fermement l’utilisation de la violence d’où qu’elle vienne et de quelque nature que ce soit. Quand elle se répand aussi facilement que ces derniers jours, elle constitue manifestement l’expression d’un désespoir non secouru et d’une colère jusque là inexprimée. La conclusion s’impose d’elle-même : il n’y a pas de paix civile durable sans justice sociale véritable.
Dans son rapport annuel 2009 sur l’état des droits humains dans le monde, l’association bien connue « Amnesty International » écrit dans son préambule : « La crise économique est aussi une crise des droits humains (…). Nous sommes assis sur une poudrière d’inégalités, d’injustice et d’insécurité qui est sur le point d’exploser. » Elle ajoute : « la hausse de la pauvreté et des situations économiques et sociales désespérées pourrait déboucher sur l’instabilité politique et la violence de masse ». Rien de nouveau sous le soleil, encore faut-il ouvrir les yeux parfois tout près de chez soi.
Pour la LDH-NC, il est irresponsable de remettre en cause l’Accord de Nouméa car celui-ci est le résultat de plusieurs années de luttes difficiles. Il permet aux citoyens de ce pays de récupérer par étapes les compétences jusque-là détenues par l’Etat. A nous de les utiliser pour mener une véritable politique de réduction des inégalités sociales, de plus grand respect mutuel et de meilleur partage des richesses.
C’est ainsi, sur un terreau plus fertile et moins inflammable, que les Droits de l’Homme pourront s’épanouir et se développer dans une nouvelle « Nouvelle-Calédonie », dans Kanaky-Nouvelle-Calédonie, un nom emblématique d’une reconnaissance réciproque des peuples.
Nous appelons les partis politiques, les syndicats, les associations et les citoyens à tirer dans le même sens pour incruster sur notre Terre les valeurs de la Parole et du Partage.
et le Bureau
Précaire retour au calme en Nouvelle-Calédonie
La situation est revenue progressivement au calme, jeudi 6 août, en Nouvelle-Calédonie, après la signature d’un protocole d’accord entre l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE, syndicat indépendantiste) et la direction de la compagnie locale, Aircal.
Sous l’égide du président du gouvernement, Philippe Gomes, les deux parties se sont entendues pour mettre fin à un conflit embourbé depuis plus de cinq mois, et qui menaçait désormais d’embraser toute la Nouvelle-Calédonie. « Il fallait impérativement que quelqu’un fasse un pas vers l’autre, car les positions s’étaient tellement radicalisées », a déclaré M. Gomes, lors d’une conférence presse. « La situation était devenue dangereuse parce que des jeunes s’étaient agrégés au mouvement. (…) Une prise de conscience était indispensable avant que quelqu’un meure », a-t-il ajouté.
Dans ses grandes lignes, l’accord, doté d’un préambule, insiste notamment sur « le respect des autorités coutumières » et « le respect du service public ». Aircal renonce aux poursuites judiciaires contre le syndicat, à l’exception toutefois de celles relatives aux incidents du 28 mai à l’aérodrome de Nouméa-Magenta
Principale pierre d’achoppement, le paiement des jours de grève fait l’objet d’un arrangement par le biais d’avances sur salaires, remboursables. « On ne paie pas les jours de grève », a insisté Nidoish Naisseline, président d’Aircal, élu indépendantiste kanak et grand chef sur l’île de Maré. En face, l’USTKE affichait également sa satisfaction, assurant que ses « revendications avaient été entendues ». La moisson apparaissait cependant maigre pour le syndicat, et la gravité de la situation dans laquelle ce conflit avait plongé l’île a pesé dans ce retour à la raison.
Mercredi, les affrontements entre les militants et les forces de l’ordre ont pris une tournure inquiétante. A Saint-Louis, turbulente tribu kanak proche de Nouméa, les gendarmes ont essuyé des tirs de carabine. Outre des impacts dans les véhicules, un officier a été atteint à la cuisse par une balle de 7,5 mm, et un autre au visage par un boulon, portant à plus de 30 le nombre de gendarmes blessés pendant ces émeutes.
Dans la soirée, la cité populaire de Montravel, un quartier au nord de Nouméa, s’est à son tour embrasée. Plusieurs centaines de jeunes, accourus des cités avoisinantes, ont vandalisé des magasins et des panneaux de signalisation, caillassé des automobilistes et incendié la gare routière. Les forces de l’ordre ont bataillé pendant plus de trois heures avant de parvenir à rétablir un calme relatif tandis qu’un hélicoptère surveillait les mouvements des jeunes, par crainte qu’ils ne déferlent sur le centre-ville. L’USTKE a accusé les policiers d’avoir mis le feu aux poudres, « en tirant au Flash-Ball sur des jeunes qui avaient un peu bu ».
Procès en appel
Le conflit à Aircal était un cocktail où se mêlaient rivalités politiques et coutumières entre d’un côté Nidoish Naisseline, et de l’autre Louis Kotra Uregei, ancien président de l’USTKE et lui aussi élu à la province des îles sous l’étiquette du Parti travailliste, succursale politique de l’USTKE. Ce différend au sein du monde kanak s’est ensuite envenimé en croisade contre l’Etat, après l’arrestation puis l’emprisonnement de Gérard Jodar, à la suite d’un coup de force à l’aérodrome de Nouméa-Magenta, dans le cadre de la grève à Aircal, le 28 mai.
En dépit du protocole d’accord, le calme pourrait bien être précaire. Jeudi en fin de journée, l’USTKE n’avait pas encore décidé de « la suspension » ou de la « fin » de la grève générale. Car le 25 août, a lieu le procès en appel de M. Jodar condamné à un an de prison pour « entrave à la circulation d’un aéronef », et incarcéré depuis fin juin. « On veut que la peine ne soit pas exécutoire », martèle-t-on à l’USTKE, qui n’a pas renoncé à se mobiliser pour obtenir la libération de son leader. L’annonce, la semaine dernière, de la suppression de 500 emplois d’ici à 2012 à la Société Le Nickel, premier employeur privé du Caillou, ne devrait pas arranger les choses.
Plus de vingt mille personnes contre les violences dans les rues de Nouméa
Plusieurs milliers de personnes ont marché, mercredi 12 août, dans les rues de Nouméa pour s’opposer aux violences qui ont récemment secoué la Nouvelle-Calédonie et défendre « la construction d’un destin commun ». Sous un soleil radieux et pour la plupart vêtus d’un tee-shirt portant le slogan « si y’a pas toi, y’a pas moi »
1, plus de vingt mille personnes, selon la police, se sont rassemblées Baie de la Moselle à Nouméa, à l’appel d’un collectif citoyen.
Le cortège, formé en majorité d’Européens, devait se rendre à la province sud, au Congrès et au Haut-Commissariat. « C’est un rassemblement, pas une manifestation, pour dire que nous voulons construire la Nouvelle-Calédonie dans la paix et tous ensemble », a déclaré sur l’estrade Nathalie Bringuier, l’une des responsables du collectif. De très nombreux entreprises et commerçants avaient fermé leurs portes pour permettre à leurs employés de manifester, sans retenue sur leur salaire. Les trois chambres consulaires ainsi que le gouvernement local et les partis de la droite locale ont apporté leur soutien à ce mouvement. […]
L’USTKE reste de son côté mobilisée pour réclamer la libération de son président, Gérard Jodar, condamné fin juin à un an de prison ferme pour « entrave à la circulation d’un aéronef », lors d’un coup de force à l’aérodrome de Magenta. Les partisans de M. Jodar ont appelé pour leur part à une journée de mobilisation « à travers tout le pays », le 22 août.
- [Note de LDH-Toulon] – En juin 2008, une asssociation a pris ce slogan en souvenir de la fameuse « poignée de main » entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur du 26 juin 1988.
Cette association s’est créée en souvenir de Kiki Kare, un animateur populaire de musique récemment disparu, qui lancé ce slogan « Si y a pas toi, y a pas moi ».