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Édition du 1er au 15 décembre 2024

nos ancêtres les Gaulois, selon Nicolas Sarkozy

« Nos ancêtres étaient les Gaulois », mais aussi « les tirailleurs musulmans morts à Monte Cassino », a dit Nicolas Sarkozy, samedi 24 septembre, lors d’un meeting à Perpignan, où il a rendu hommage aux harkis, des « Français musulmans morts pour notre drapeau ». Il tentait ainsi de rattraper la déclaration qu'il avait faite quelques jours auparavant à Franconville : « Nous ne nous contenterons plus d’une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l’assimilation. Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. » Bernard Girard montre ci-dessous que Nicolas Sarkozy n'est pas le seul. Lecture complémentaire conseillée : nos ancêtres les Gaulois, par Suzanne Citron.

Pour commencer en musique : Faut rigoler, chanson écrite et composée par Boris Vian et Henri Salvador en 1958 ; éd. Les Nouvelles Editions Meridian.

« Nos ancêtres les Gaulois » : Sarkozy n’est pas seul

Mis en ligne le 22 septembre 2016 sur le site Journal d’école

« Dés que l’on devient français, nos ancêtres sont les Gaulois ». Bien sûr, il s’agit de Sarkozy, le même qui, à Dakar, en 2007, devant un parterre médusé, évoquait « l’homme africain qui n’est pas entré dans l’histoire ». Le même qui prétendait faire lire par les lycéens, à chaque rentrée, la lettre de Guy Môquet. Le même qui, d’une ignorance crasse en histoire, n’a jamais manqué l’occasion de chercher à l’instrumentaliser. Bien sûr, la réponse à ce morceau de bravoure est venue, immédiate, notamment du côté des historien(ne)s pour signifier à cet épigone de Déroulède que non seulement les Gaulois ne sont pas ce qu’on en dit mais qu’ils ne sont surtout pas « nos » ancêtres. Bien sûr, comme toujours avec Sarkozy, il s’agit de faire parler de soi : le lendemain, à Calais, c’étaient les frontières qu’il ferait barricader et l’immigration qu’il stopperait. A chaque jour sa bouffonnerie. On a le débat politique qu’on peut et que sans doute on mérite.

Car après tout, cette tirade ne vient pas de nulle part, elle ne tombe pas là par hasard ; il n’y a encore pas très longtemps, jamais un candidat à la présidentielle ne se serait laissé aller à ce genre de pitrerie dans le seul but d’attirer l’électeur. Ce que dit cet épisode, c’est à quel point les préoccupations identitaires ont gangrené le débat politique mais en débordant très largement du cercle traditionnellement concerné par cette obsession : l’extrême-droite n’a plus – si tant est qu’elle l’ait déjà eu – le monopole de l’assignation identitaire. Une exigence devenue la norme et qui lorgne fâcheusement du côté de l’école, traditionnel objet de toutes les surenchères.

Tout en haut de la liste, Le Pen est désormais dépassée, notamment par Copé qui envisage de faire débuter la semaine dans toutes les écoles par un lever des couleurs, devant les élèves en uniforme chantant la Marseillaise. Un grand projet éducatif qui, pour une fois, ne s’inspire pas de la Corée du sud mais de la Corée du nord. Pour burlesque qu’elle soit, l’initiative avait déjà été évoquée dans le cadre des travaux de la non moins burlesque commission sénatoriale sur « la perte des repères républicains » dans les établissements scolaires (2015). Une mesure qui, à bien des égards, est en germe dans la décision de Peillon, ministre de l’Education nationale en 2012, de faire déployer le drapeau français devant chaque école (le drapeau européen n’étant prescrit que pour la figuration et encore certains maires s’abstiennent-ils de le faire arborer), ou encore dans l’obsession maladive de l’actuelle ministre Najat Vallaud-Belkacem pour la Marseillaise, objet de toutes ses sollicitudes, au point de faire de l’année 2016 une « année de la Marseillaise ». Dans une approche voisine, les commémorations historiques sont devenues le plus officiellement du monde des commémorations « patriotiques », avec participation obligée des écoliers : lors du centenaire de la bataille de la Marne (septembre 2014), le discours de Valls sur « l’audace du génie français [se lançant dans la bataille] sabre au clair », n’était-il pas d’une veine toute sarkozyenne ?

De la même manière, « nos ancêtres les Gaulois » ont reçu un sacré coup de jeune dans le cadre de la polémique qui a accompagné la rédaction des nouveaux programmes d’histoire, polémique qui, dans une large mesure, a finalement tourné au bénéfice des tenants d’une histoire nationale autour de laquelle l’enseignement de l’histoire à l’école élémentaire reste structuré. Rappel de quelques interventions de NVB et des pressions exercées sur le Conseil supérieur des programmes (CSP) :

  • « enjeu essentiel […] la transmission de notre histoire commune et du récit national » (24/04/2015)
  • « il faut revenir à la chronologie pour permettre aux élèves d’acquérir des repères temporels solides. Ensuite, il faut y mettre ce qui fonde l’identité de la France […] L’enseignement de l’histoire doit bien être un récit qui raconte notre appartenance à la communauté nationale, pas seulement une succession de dates. » (11/05/2015)
  • « car c’est bien sur l’Histoire de France qu’il faut faire porter l’essentiel de notre effort. (…) C’est pourquoi la compréhension de notre histoire nationale, centrale dans le primaire, est le fil conducteur des programmes au collège, l’Europe et le reste du monde étant abordés à partir des influences réciproques entre eux et notre pays. » (Lettre de mission au CSP, 01/07/2015)
  • (…) les programmes d’histoire ont été retravaillés pour n’éluder aucun sujet fondamental, en faisant de l’histoire de France le cœur des enseignements de l’école élémentaire, et en explicitant au collège ce que la France a apporté à l’Europe et au monde, ce qu’elle en a reçu, ses pages glorieuses comme ses pages plus sombres. » ( Présentation des programmes, le 18/09/2015)

Un débat finalement tranché par Hollande (07/05/2015, pour qui l’enseignement de l’histoire a pour fonction de rappeler « les heures glorieuses de notre passé (…) que l’histoire doit être enseignée par la chronologie [autour] d’un récit national ». On le voit : Sarkozy n’est pas seul.

Comment cette conception rabougrie de l’histoire des hommes a-t-elle pu devenir centrale dans une campagne électorale censée, par définition, préparer l’avenir ? Comment un projet politique peut-il être à ce point corrompu par la quête effrénée d’origines imaginaires ? Dans un contexte mortifère où la référence nationale – nécessairement un repli national – encombre tout l’échiquier politique, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, c’est le principe même de la nation qu’il faut interroger. Une construction artificielle, récente dans l’histoire de l’humanité, au pouvoir de nuisance plus d’une fois démontré : la nation n’est pas la solution, elle est le problème. Prétendre ne pas vouloir en laisser le monopole à l’extrême-droite, comme on l’entend souvent à gauche, relève de l’inconscience : c’est bien la référence constante à la nation (et ses multiples déclinaisons : peur de l’étranger, des réfugiés, fermeture des frontières, rejet de l’islam perçu comme un intrus, préférence nationale etc) qui n’en finit pas de faire progresser Le Pen dans les sondages d’opinion.

Bernard Girard – Professeur d’histoire

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