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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

Noël Mamère dénonce la régression française qu’est la négation notre passé par voie législative et le recul de nos libertés

Dans un article publié dans "Libération", le 22 décembre 2005, intitulé « La gauche ne doit plus tolérer cet état d'urgence sociale et d'hypnose politique qui sape les fondements du vivre-ensemble », Noël Mamère, maire de Bègles, député vert de Gironde, affirme que la défense d'une société ouverte et multiculturelle est la seule voie possible pour une démocratie. Pour lui, insulter la souffrance historique d'une partie de notre peuple, accepter le recul de nos libertés au nom de la sécurité sont un renoncement coupable. La gauche ne doit plus tolérer cette régression française qui sape les fondements du vivre-ensemble.

La gauche ne doit plus tolérer cet état d’urgence sociale et d’hypnose politique qui sape les fondements du vivre-ensemble

par Noël Mamère, article publié dans Libération, le 22 décembre 2005.

Quand un pays en arrive à nier son passé par voie législative et quand il insulte la souffrance historique d’une partie de son peuple, c’est qu’il ne va pas bien. La France, ancienne terre des droits de l’homme, ne reconnaît plus tous les siens. De la « racaille » au refus de la « repentance permanente » envers ceux dont les ancêtres furent soumis à l’esclavage et autres barbaries, le gouvernement Villepin-Sarkozy banalise l’humiliation, la ségrégation et pratique une forme d’apartheid qui n’ose pas dire son nom. En effet, y a-t-il d’autres mots pour qualifier une politique qui joue sur les concurrences internes des catégories sociales les plus vulnérables et qui exploite les troubles de cet automne dans nos banlieues pour imposer au pays de nouvelles régressions en matière de libertés individuelles et publiques ?

Sous le flot d’une avalanche législative directement inspirée de l’extrême droite, l’Assemblée nationale n’est plus qu’une entreprise de destruction du fragile équilibre de notre société. Depuis la réélection de Chirac, à coups de lois Sarkozy, Perben, Villepin, Clément, on instrumentalise la peur et on installe une stratégie de la tension faisant de l’immigré la figure de la menace et de l’étranger celle de l’indésirable. On oppose une France des «victimes» à celle des «racailles», forcément coupables. Un jour, on entend des députés parler des «familles polygames» comme si tous les Africains vivant en France l’étaient ; le lendemain, un sarkozyste de choc entretient avec malignité la confusion sur les mariages blancs ; et le surlendemain surgit la demande de déchéance de la nationalité pour ceux qui auraient participé aux violences urbaines… Comment répond le gouvernement à cette surenchère qui monte jusqu’à la nausée ? Par le chantage aux prestations sociales, par une application «plus stricte» du regroupement familial, par l’apprentissage à 14 ans pour les enfants des quartiers populaires et la fin probable du collège unique, par l’accélération de la flexibilité de l’emploi non qualifié, le durcissement policier et judiciaire, etc., etc.

Jour après jour, dans ce pays sous état d’urgence sociale et d’hypnose politique, s’accumulent les conditions qui nourrissent la révolte des populations désormais assignées à résidence. C’est bien mal connaître la réalité actuelle de notre pays que de croire la fièvre retombée. Le feu est là, qui couve toujours sous la précarité, le chômage de masse et les discriminations dont les principales composantes se nomment xénophobie et racisme. Quelles «grandes» voix s’élèvent, à part celles de quelques chercheurs, pour dénoncer le fait que dans certaines académies 10 % des collèges concentrent à eux seuls 40 % des élèves issus du Maghreb, de l’Afrique noire ou de la Turquie ? Il faut qualifier cette situation pour ce qu’elle est : un «apartheid scolaire» qui éclaire sous leur vrai jour les déclarations de Sarkozy appelant au «dépôt de bilan» des ZEP.

La révolution conservatrice est en marche qui «efface» purement et simplement la partie la plus fragile et la plus pauvre de la population, comme si elle ne pouvait s’adapter à la France du mérite, de la famille, de l’ordre et de la justice que veulent nous imposer les nostalgiques de Maurras. «Faites l’effort de vous intégrer» est la seule rengaine de ceux-là mêmes qui mettent en place des politiques de désintégration. Pourtant, comme le montre une récente étude de la Fondation nationale des sciences politiques, «les Français d’origine immigrée sont loin d’être en marge ou en rupture avec la société française et ses principales valeurs… Le communautarisme ne concerne qu’une frange extrêmement minoritaire des Français d’origine immigrée. Aujourd’hui, plus qu’un danger, c’est un fantasme».

Ceux qui nous gouvernent s’appliquent à rompre les digues qui séparaient jusqu’à maintenant la droite du lepénisme. Mensonges et propagande deviennent une habitude. Le ministre de l’Intérieur n’a-t-il pas en toute conscience trompé l’opinion sur les conditions de la mort des jeunes de Clichy, sur les 80 % d’interpellés qui auraient déjà eu affaire à la justice (annonce démentie par les magistrats), sur le «complot» des banlieues (annonce démentie par le rapport des Renseignements généraux), sur les expulsions d’étrangers réguliers (expulsions refusées par les juges) ? La France ne réagit même plus, elle semble anesthésiée par une propagande docilement relayée par des médias complaisants comme aux beaux jours du gaullisme triomphant.

Quant à l’opposition, elle tremble encore au souvenir du 21 avril, obsédée par sa peur de retomber dans le piège sécuritaire que lui avait déjà tendu la droite. Où sont ses propositions pour recoudre un tissu social et politique qui ne supportera plus de simples ravaudages ? Où est «l’opposition frontale» que réclamait Laurent Fabius ? Qui ose reconnaître que le modèle de la République «une et indivisible» est aujourd’hui dépassé, peut-être contre-productif, et qu’il est temps de dire avec Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant que «chacun est désormais un individu riche de plusieurs appartenances, sans pouvoir se réduire à l’une d’elles» et qu’«aucune République ne pourra s’épanouir sans harmoniser les expressions de ces multi-appartenances».

S’opposer, c’est affirmer contre l’esprit du temps que la défense d’une société ouverte et multiculturelle est la seule voie possible pour une démocratie. Accepter le recul de nos libertés au nom de la sécurité est un renoncement coupable et une défaite de la pensée. La gauche ne doit plus tolérer cette régression française qui sape les fondements du vivre-ensemble. Le compte à rebours est enclenché.

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