Génocide en Namibie: Berlin rejette toute indemnisation 1
Deux groupes de population indigène de Namibie ont déposé vendredi un recours collectif contre l’Allemagne devant un tribunal de New York pour obtenir réparation d’un génocide commis pendant la période coloniale
Pour les historiens, il ne fait pas de doute que le massacre des Héréros et des Namas a été le premier génocide du XXe siècle. Le 2 octobre 1904, le lieutenant général Lothar von Trotha donnait l’ordre de tuer tous les Héréros. 15 000 des quelque 65 000 à 80 000 personnes que comptait alors ce peuple d’éleveurs de l’actuelle Namibie ont survécu au massacre, qui a également coûté la vie à 10 000 des quelque 20 000 Namas.
Un siècle plus tard, le génocide des Héréros et des Namas est toujours l’objet de négociations bilatérales entre Windhoek et Berlin. L’Allemagne reconnaît l’existence du génocide. Mais refuse toujours le principe d’une indemnisation. Vendredi, des représentants des deux peuples ont déposé à New York une plainte collective réclamant excuses et indemnisations à l’Allemagne.
Marches de la mort, internement
Petit retour en arrière. La colonisation allemande de la Namibie remonte à 1883. Le commerçant allemand Adolf Lüderitz acquiert quantité de terres au sud-ouest de l’Afrique. En 1884, l’empereur Guillaume II lui accorde sa protection. C’est le début de la colonisation. La résistance des populations locales est brutalement réprimée. Lorsque en 1904, les Héréros se soulèvent, Lothar von Trotha décide leur extermination laissant mourir dans le désert d’Omaheke dont il a bouclé les accès les dizaines de milliers de Héréros qui y avaient cherché refuge après une défaite militaire. «Le désert va achever le travail d’extermination qu’ont entamé les armes allemandes», écrit-il dans un rapport.
Lothar von Trotha est responsable de quantité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Namibie: massacres, marches de la mort, violences sexuelles, internements en camps de concentration, travail forcé, expériences médicales sadiques… En 2011, l’hôpital berlinois de la Charité rendait à leurs descendants les ossements de 20 Héréros – témoignage de ces atrocités – qui se trouvaient encore dans les caves de l’hôpital.
A l’époque des faits, l’Allemagne n’a pas cherché à cacher le génocide
La colonisation prend fin en 1915, dans le sillage de défaites allemandes de la Première Guerre mondiale. La Namibie passe sous mandat de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, puis sous colonisation sud-africaine. L’indépendance est proclamée en 1990.
«A l’époque des faits, l’Allemagne n’a pas cherché à cacher le génocide», explique Medardus Brehl, spécialiste des génocides de l’université de Bochum. «On a vu le développement de toute une littérature vantant la disparition de «Noirs sans culture» par les soins de la «culture allemande.» Après 1945, le génocide est oublié à l’ombre de l’Holocauste. «Ce n’est qu’à la fin des années 1960 qu’on commence à s’intéresser de nouveau aux atrocités de la colonisation», explique l’historien. Sur place, en Namibie occupée par l’Afrique du Sud, le sujet est éclipsé par l’apartheid.
Négociations depuis deux ans
En Allemagne, la question des Héréros et des Namas n’atteint le débat politique que cent ans après les massacres. Le génocide a été reconnu par le Bundestag et le Ministère des affaires étrangères. Des négociations sont en cours depuis plus de deux ans entre Berlin et Windhoek. Elles visent à un règlement général de la question, l’objectif étant que l’Allemagne présente des excuses officielles, assorties d’une poursuite de l’aide au développement.
Ces aides ne parviennent pas aux Héréros, qui sont réprimés par les ethnies dominantes
Depuis l’indépendance, la Namibie (2,5 millions d’habitants, dont 200 000 Héréros et 20 000 descendants des colons sur un territoire deux fois grand comme l’Allemagne) a reçu 870 millions d’euros de la République fédérale. «Ces aides ne parviennent pas aux Héréros, qui sont réprimés par les ethnies dominantes, s’indignent leurs représentants. Ce que nous voulons, ce sont de meilleures infrastructures pour notre peuple, une meilleure éducation et une augmentation du niveau de vie.» Outre des indemnités, les Héréros réclament d’être associés aux négociations en cours. «Les Héréros sont politiquement marginalisés en Namibie, c’est aussi une conséquence du génocide», confirme Medardus Brehl.
Au cours du week-end, Ruprecht Polenz, CDU, chargé des négociations pour l’Allemagne, a de nouveau rejeté toute idée d’indemnisation aux descendants des survivants.
- Source : le quotidien Le Temps du 8 janvier 2017