Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.
Le 5 décembre 2005, pour la première fois, Aimé Césaire refuse un visiteur. Nicolas Sarkozy avait pourtant sollicité l’entretien et Aimé Césaire l’avait accepté de bonne grâce. Mais le communiqué tombe : « Je n’accepte pas de recevoir le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. […] Auteur du Discours sur le colonialisme, je reste fidèle à ma doctrine et anticolonialiste résolu. Je ne saurais paraître me rallier à l’esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005.»
Cette loi et son article 4 disposant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer », les Martiniquais n’en veulent pas.
Le ministre de l’Intérieur doit renoncer au voyage officiel prévu aux Antilles début décembre. Le zoukeur martiniquais Eric Virgal lance le tube « Sarko kayé » (« Sarko a pris peur ») :
Promenons-nous à Fort-de-France
Pendant que Sarko n’y est pas
Si Sarko était là, il nous insulterait
Si Sarko était là, on le Karchériserait…
L’opposition à l’article 4 continuant à se développer, Jacques Chirac est contraint de recourir à une astuce procédurière pour en abroger la partie la plus contestable. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur et président de l’UMP, va pouvoir effectuer début mars 2006 sa tournée aux Antilles, au cours de laquelle il sera reçu par Aimé Césaire.
Quelques jours avant son arrivée, le ministre fait paraître une « Lettre aux Antillais » dans le quotidien France Antilles : «J’ai fait un long cheminement personnel sur cette question sensible. […] Aujourd’hui, je cerne mieux la profondeur de la blessure qui s’est révélée ; je perçois avec acuité le lien qui a pu être fait entre le colonialisme et l’esclavage.»
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Un an plus tard, Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de la République, déclare : « Au bout du compte, nous avons tout lieu d’être fiers de notre pays, de son histoire, de ce qu’il a incarné, de ce qu’il incarne encore aux yeux du monde. Car la France n’a jamais cédé à la tentation totalitaire. Elle n’a jamais exterminé un peuple. Elle n’a pas inventé la solution finale, elle n’a pas commis de crime contre l’humanité, ni de génocide … » 2
Non ! Nicolas Sarkozy n’a pas fait de «long cheminement personnel» ! Il n’a pas lu le Discours sur le colonialisme.
Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot ?
- Voir l’article d’Olivia Marsaud sur Rfi : http://www.rfi.fr/actufr/articles/075/article_42356.asp.
- Discours de Caen, le 9 mars 2007.