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Musées, théâtre, cinéma,
arts graphiques,
regard colonial ou décolonial ?

Quelles images musées et artistes doivent-ils donner de la période coloniale européenne ? Près de Bruxelles, le Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, a rouvert ses portes après une longue fermeture que regrettait, par exemple, en 2014, "La Libre Belgique", en raison du « parfum de colonialisme qui y règne toujours ». Dans "Le Monde", Philippe Dagen confirme que sa rénovation perpétue les idées reçues sur les colonies. Heureusement, des historiens, des artistes, comme dans la rencontre à l'ENS que nous présentons ci-dessous, secouent le vieux cocotier des préjugés coloniaux.

En Belgique, la difficile décolonisation des esprits

par Philippe Dagen, dans Le Monde du 16 février 2019 Source

En novembre 2018 a paru le rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution d’œuvres africaines, commandé par l’Elysée après le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou (Burkina Faso), en novembre 2017. Il a suscité un large débat, dont l’un des effets a été de « libérer la parole », selon la formule à la mode. Ainsi a-t-on dû lire des commentaires d’internautes du genre de celui-ci, relevé sur le site du Monde et toujours visible : « Utiliser le mot “art” pour ces objets primitifs et périssables me semble inapproprié. » Pur mépris raciste convaincu de la supériorité des Blancs sur les Noirs en toutes matières. On ne feindra pas d’en être surpris : les preuves de sa persistance sont partout dans le monde.

Dans les anciennes puissances coloniales européennes, il est indissociable du colonialisme. Celui-ci affirmait pour se justifier qu’il apportait la « vraie foi » chrétienne et le progrès à des peuples païens et ignorants. Une littérature pléthorique a répandu ces discours du XIXe siècle — temps de la conquête systématique de l’Afrique et de l’Océanie — jusqu’au milieu du XXe siècle et aux indépendances des ex-colonies. Les collections que l’hypothèse des restitutions met en cause ont été en partie constituées dans ce contexte.

Pourquoi rappeler ces évidences ? Parce qu’il apparaît que plus d’un demi-siècle après les indépendances, les entendre soit toujours douloureux pour certains et les énoncer, difficile pour d’autres. Et ceci dans le milieu des spécialistes des arts que l’on disait jadis « primitifs », par opposition à nous, les « civilisés ». Une preuve spectaculaire en est donnée depuis le 8 décembre 2018 par le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) à Tervuren (Belgique), renommé AfricaMuseum.

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Un exotisme global mis en scène

Ouvert en 1910, il est consacré à ce qui s’est appelé Etat indépendant du Congo, création et propriété du roi Léopold II (1865-1909) de 1884 jusqu’en 1908, et son annexion à la Belgique. Autrement dit le Congo belge, aujourd’hui République démocratique du Congo (RDC). Fermé en 2013 pour une rénovation d’un coût de 66 millions d’euros, le MRAC a été réaménagé, les surfaces d’exposition ont été presque doublées.

Mais pour montrer quoi et comment ? Le directeur du musée, Guido Gryseels, affirme vouloir « proposer une approche plus critique du passé colonial du Congo et de la Belgique ». Mais ce résultat peut-il être atteint à partir du moment où il a été décidé de conserver le palais de 1910 tel quel et de lui rendre même ce qu’il a perdu d’éclat avec le temps ? La question, posée par Esther King sur le site Politico, a été reprise depuis par le journaliste Cédric Vallet — son article dans le magazine d’enquête Médor s’intitule « Décolonisation impossible ! » — et par le chercheur et réalisateur Matthias De Groof dans la revue wallonne L’Art même.

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« Tel quel » signifie que, comme en 1910, la zoologie, la botanique et la minéralogie occupent autant de place, sinon plus, que les activités humaines. Cette proximité est choquante. Ailleurs, au British Museum, au Metropolitan ou au Quai Branly, les cultures non occidentales sont traitées pour elles-mêmes, comme des cultures spécifiques. Ici, les cultures congolaises ne sont que l’une des formes d’un exotisme global, mises en scène de façon « ludique » et « interactive ».

« Tel quel » signifie aussi que sont demeurées en place les allégories dorées du sculpteur Arsène Matton, dont La Belgique apportant la civilisation au Congo : un prêtre colossal et barbu qui pose sa main sur la nuque d’un Congolais deux fois plus petit que lui. Pourquoi les conserver ici ? Parce que, selon le texte de salle, elles sont « classées et ne peuvent pas être enlevées ». Ce que confirme Guido Gryseels : « Ce sont des parties protégées du bâtiment. Elles doivent y rester. » Le droit du patrimoine serait donc supérieur à toute morale ?

« Quelques » victimes, vraiment ?

Non moins ambigus sont les textes proposés au visiteur. Dans le dépliant distribué à l’accueil : « L’Histoire de l’Afrique depuis l’arrivée des Européens est assez douloureuse. » On appréciera le « assez ». Dans la section « histoire coloniale et indépendance », un panneau interroge : « Combien de victimes ? » Réponse incomplète : « A défaut de données précises, il est très difficile de connaître le nombre de victimes faites par l’Etat indépendant du Congo. Les guerres de conquête, l’exploitation, le travail forcé, les expéditions punitives, les déplacements de population, la désarticulation de l’agriculture, les épidémies et l’introduction de maladies inconnues ont coûté la vie à d’innombrables Congolais. En outre, la natalité s’est effondrée. Le déficit démographique total est catastrophique et se monte à plusieurs centaines de milliers, voire quelques millions d’individus. Selon certains, il représenterait un tiers de la population totale. » « Quelques » ? Le chiffre généralement admis est de 10 millions de morts. « Certains » ? Les historiens ayant travaillé sur ce sujet. Ils ne sont pas nommés.

C’est que, en Belgique, il existe des associations qui défendent la mémoire de Léopold II et la colonisation et refusent ce chiffre. Ainsi l’Union royale belge pour les pays d’outre-mer (Urome), pour qui « la Belgique a propulsé le Congo (…), dont les populations étaient en proie à la maladie, à des famines récurrentes, aux guerres tribales et à l’esclavage et qui sur le plan technologique avait plusieurs siècles de retard, dans la modernité en l’espace d’à peine trois générations ».

Ce genre de propos est diffusé par le journal belge Le Peuple, organe du Parti populaire, classé à l’extrême droite. Mais il est aussi en vente à la boutique du musée, qui ne veut pas déplaire aux nostalgiques du Congo belge. Voici où en est la décolonisation des esprits aujourd’hui.


Points de vue d’histoire, points de vue d’artistes
Mémoires de la guerre d’Algérie

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Jeudi 21, vendredi 22 et samedi 23 février
École Normale Supérieure,
45, rue d’Ulm 75005 Paris

Le département histoire et théorie des arts de l’ENS de Paris organise deux journées de conférences, tables-rondes, rencontres, projections, pièces de théâtre… autour du regard des artistes d’aujourd’hui sur un moment décisif de l’histoire algérienne et française : la guerre d’Algérie. L’événement ne se conçoit pas comme un colloque de chercheurs, ni comme une rétrospective historienne sur le sujet, mais il se veut une entrée en matière s’adressant à ceux qui éprouvent le besoin d’un manque à combler, d’un dialogue à relancer : aller à la rencontre de ces artistes — algériens, français, franco-algériens, descendants de combattants des deux bords, ou simplement de ces peuples, ces gens, qui ont vécu, et subi, la guerre. Bref, interroger la mémoire, les traces au fil des générations, de la guerre d’Algérie.

Programme

Voir le programme détaillé ici


• Jeudi 21 février
École Normale Supérieure
45 rue d’Ulm
20 h, au Théâtre

Compagnie Nova / mise en scène Margaux Eskenazi

J’ai la douceur du peuple effrayante au fond du crâne a

Entrée libre sur réservation :


• Vendredi 22 février
Ecole Normale Supérieure,
45 rue d’Ulm
Salle des Actes, puis Salle Dussane (projection le soir)

Matinée (salle des Actes)

9h30 – 10h30 Introduction

10h30 -12h30 Table-ronde : Jouer, filmer, avec la mémoire familiale

Modératrices : Marion Chénetier-Alev (DHTA) et Marie Pierre-Bouthier (DHTA).
Avec Alice Carré (dramaturge), Margaux Eskenazi (metteuse en scène) à propos de J’ai la douceur du peuple effrayante au fond du crâne, Damien Ounouri, cinéaste, réalisateur de Fidaï (2012).

Cette seconde partie de la discussion sera rythmée par des projections (extraits de Fidaï).

Après midi (salle des Actes)

14h30 – 16h

La mémoire qui brûle : la violence pendant la guerre d’Algérie, les silences et les traumatismes.

Modératrices : Hélène Blais (Dép. d’Histoire) et Béatrice Joyeux-Prunel (DHTA).
Avec Raphaëlle Branche, professeure d’histoire, université de Rouen, Armance Léger, ED 540 / PSL / SACRe.

16h15

Lecture/ spectacle : Bruno Boulzaguet, Mémoire chorale.
Avec Aurélien Piffaretti (jeu, guitare et chant) et Guillaume Jacquemont (jeu et chant)
Durée : 35 minutes. Entrée libre sans réservation.

Soirée (amphithéâtre Dussane)

18h15

Film, projection, L’autre côté de la mer de Dominique Cabrera.
Avec Claude Brasseur, Roschdy Zem, Catherine Hiegel, Marthe Villalonga.
Suivie d’une conversation-débat avec la réalisatrice.
Modération : Françoise Zamour (DHTA).

Durée : 1h30, plus le débat qui suit.
Entrée libre sans réservation.


• Samedi 23 février
École Normale Supérieure
45 rue d’Ulm

Matinée (salle des Actes)

10h

Catherine Brun : Histoire, oublis, récits : plaidoyer pour des mémoires (compatibles) de la guerre d’Algérie.
Modératrice : Anne-Françoise Benhamou (DHTA)

11h00 -13h00

Table ronde : La guerre d’Algérie au cinéma : reconstitution ou mise en perspective ?

Modératrice : Marie Pierre-Bouthier (DHTA/Paris 1)
Avec Narimane Mari, cinéaste, réalisatrice, Lyès Salem, acteur-réalisateur, auteur de L’Oranais (2013), Salima Tenfiche, doctorante à Paris VII.

Après midi (salle des Actes)

14h30- 16h00
Ce que l’exposition fait aux mémoires : les œuvres, le public, la censure.

Modérateurs : Vincent Sator (Galerie Sator, tbc) et Armance Léger Franceschi (ED 540 / PSL SACRe).
Avec Guillaume Lasserre, commissaire d’exposition, critique d’art, Fadila Yahou, Paris I / Hicsa.

16h30-18h

La guerre d’Algérie et les arts graphiques

Avec Jacques Ferrandez, auteur de bande dessinée, Christophe Jacquet, graphiste.

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