Communiqué du collectif
Pour le Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, à Montpellier
Cette note à l’intention de la presse a pour objet de corriger des informations erronées et d’apporter des données complémentaires, après que Philippe Saurel, maire et président de l’Agglomération de Montpellier, a déclaré vouloir substituer un musée d’art contemporain au Musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie ; ceci à un an de son achèvement.
Le projet d’abandon du MHFA à Montpellier est maintenant connu. Les journaux de la région lui ont consacré une dizaine d’articles ; la presse nationale et internationale, plus d’une vingtaine, en Algérie notamment ; les radios nombre d’émissions. Cependant des données manquent, certaines sont erronées, d’autres entraînent dès l’intitulé des confusions. Il ne s’agit plus de l’esquisse initiale d’un musée de « l’Histoire de la France en l’Algérie », mémorial de l’époque coloniale, mais d’un « Musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie », dans une perspective radicalement autre, ouverte sur le présent et l’avenir. Le projet actuel est l’aboutissement d’une réflexion menée par un comité international de spécialistes, et que les autorités de tutelle ont validée.
On s’interroge à bon droit sur la discrétion avec laquelle ces travaux préparatoires ont été conduits. Consigne en avait été donnée à tous les secteurs, architectural, administratif, muséographique, scientifique ; les acteurs s’y sont conformés. Pourquoi ce silence? On sait les relations « sensibles » entre la France et l’Algérie, et la capacité d’obstruction de groupes aussi actifs que restreints. La sérénité nécessaire au travail commandait de le tenir à l’écart des polémiques et des instrumentalisations ; la suite montre que la précaution n’était pas infondée. De ce fait, les Montpelliérains n’ont pu s’approprier un projet novateur. On peut regretter le silence, on ne peut en faire grief quand on le pratique aussi : la décision d’abandon a été prise en catimini et de façon improvisée, sans que les acteurs concernés aient été informés, sans audit préalable ni anticipation des conséquences, sans documenter les élus et les Montpelliérains. Il en résulte une vision partiale.
Donner à entendre que le ministère de la Culture aurait refusé le label « Musée de France » est inexact. Le dossier est en cours d’instruction, avec avis favorable de la DRAC. Dire que l’Algérie n’aurait pas été informée est également inexact. Elle l’a été de plusieurs façons : par des entretiens au Consulat d’Algérie à Montpellier, et auprès de hauts fonctionnaires du ministère algérien de la Culture, à Montpellier. Il n’a pas pour autant été souhaité d’implication officielle : la réflexion scientifique n’existe qu’indépendante, soustraite aux pressions extérieures par les franchises universitaires. Des chercheurs algériens ont d’ailleurs été associés au projet pour l’exposition permanente comme pour les expositions temporaires, dont la première, « Algériens et Français au miroir de la Grande Guerre », a obtenu le label « Centenaire de 1914-1918 » décerné par la Mission interministérielle chargée des commémorations.
Quant aux conséquences financières, il faut les envisager pour ce qu’elles sont. L’abandon du musée signifierait plus de 6 Millions d’euros irrécupérables (collections, muséographie et scénographie, salaires et frais de fonctionnement des personnels, sans compter le travail bénévole des scientifiques durant plusieurs années). L’affectation vers un autre lieu nécessiterait une dizaine de millions supplémentaires, auxquels s’ajoutent les indemnités d’ores et déjà dues aux entreprises, en raison de la suspension du chantier. Le réaménagement de l’Hôtel Montcalm, dont les espaces, les volumes, les éclairages, les présentations, les supports numériques et les circulations ont été réalisés pour des contenus spécifiques, cette destruction-reconstruction entraînerait a minima un budget additionnel de 2 millions. Au total, le gâchis financier pourrait se monter à une douzaine de millions pour un résultat incertain, aux frais des contribuables.
Au plan culturel les pertes ne seraient pas moindres. L’objectif est d’ouvrir l’espace d’un dialogue neuf entre historiens et spécialistes en sciences humaines des deux pays, en n’abordant plus l’histoire avec les a priori de représentations antagonistes et douloureuses. En l’ouvrant aux sociétés civiles. La réflexion est conduite dans le strict respect des faits, avec un effort réciproque d’objectivité et la plus haute exigence scientifique. Il ne s’agit pas d’un lieu de commémoration supplémentaire. Ils ne manquent pas en Languedoc-Roussillon. Mais de prendre en considération, au-delà de la « guerre des mémoires », l’ensemble des composantes de l’Histoire, sans exclusive et sans qu’aucune en fasse sa propriété. Pour ce qui concerne la France, il faut prendre en compte leur diversité, Français d’Algérie, Algériens de France, armée, harkis, appelés, organisations politiques et syndicales et la multiplicité des opinions ou des sensibilités, religieuses, humanistes, coloniales, anticoloniales : l’ensemble des engagements avec leurs contradictions, en Algérie et en France. Un demi-siècle après la fin de la Guerre d’Algérie, il est temps de dépasser la culture du ressentiment comme on l’a fait avec l’Allemagne. Des voix affirment l’impossibilité et concluent à l’échec. Pourtant, en 2012, alors que l’Algérie célébrait les cinquante ans de son indépendance, le Musée de l’Armée a présenté aux Invalides une exposition, remarquable par sa qualité et le respect des réalités historiques, sans complications insurmontables. En 2013 à Montpellier, la Comédie du Livre a été consacrée avec succès au Maghreb et à l’Algérie. On ne peut perpétuer les dénis de réalité. Renoncer à un musée qui n’est pas seulement d’histoire, mais dans le cours de l’Histoire, ne serait pas seulement un gâchis intellectuel. Ce serait aussi renoncer à une nécessité pédagogique et une véritable demande sociale.
Dire : « Que vaut-il mieux pour un centre-ville : un centre d’art contemporain capable d’attirer 800 000 visiteurs par an ou un musée de l’Algérie qui aura cinq visiteurs par jour ? » trahit une grande méconnaissance quand on sait qu’un des musées d’art contemporain les plus prestigieux parmi les nombreux existant en région, le Carré d’art à Nîmes, enregistre une fréquentation annuelle de 25 à 45 000 visiteurs. Ce serait mépriser l’importance des musées d’histoire et du travail conduit auprès des nombreux visiteurs scolaires. Tenir pour quantité négligeable les publics très divers qu’intéressent des domaines dépassant largement le cadre de la Guerre d’Algérie : histoire bien sûr, mais aussi anthropologie, sociologie, politologie, droit, expressions artistiques jusqu’aux plus contemporaines ; ou encore archéologie avec le projet d’exposition, en partenariat avec le Louvre, et en cours d’élaboration.
L’abandon de ce musée serait contraire aux intérêts de la ville. Il ternirait l’image de Montpellier. Il romprait avec l’humanisme qui a fait le rayonnement et l’ouverture au monde d’une des plus vieilles universités d’Europe. Il contredirait le besoin de Montpellier de préserver sa position de pôle en Méditerranée, et tout particulièrement dans l’éventualité d’une reconfiguration territoriale. Ce serait une faute politique. S’il était vrai, comme la presse s’en fait l’écho, que « des négociations ont lieu avec une communauté favorable à Philippe Saurel », ce dont le président local de l’Anfanoma s’autorise pour déclarer au nom des « pieds-noirs » « je pense que ce projet pourrait nous revenir », cela signifierait privilégier l’option communautaire à l’encontre des principes de la République, et revenir fatalement aux polémiques qui ont longtemps bloqué le musée. Dans un contexte de montée de l’extrême-droite, qui peut croire qu’un retournement aussi régressif servirait un musée d’art contemporain, entaché avant même que d’être entrepris ? Il suffit de lire parmi les signataires de la pétition les noms de hauts représentants du monde des arts et des lettres, de membres de l’Académie Française, de grands plasticiens contemporains, de la profession des conservateurs du patrimoine et des musées, de l’Association nationale des professeurs d’histoire et de géographie, de centaines d’universitaires, de citoyens plus nombreux encore, notamment à Montpellier, pour prendre la mesure de l’indignation. On peut souhaiter une meilleure publicité pour Montpellier.
Il n’y a aucun sens à substituer un musée à un autre, à les opposer alors qu’ils peuvent tous deux concourir à l’activité, à l’attractivité, à l’enrichissement culturel de Montpellier. Alors que la démarche originale de ce musée d’histoire lui confère un statut unique pour assumer passé, présent et avenir entre les deux pays et, au-delà, les relations avec le Maghreb ou en Méditerranée. L’évidence et l’intelligence sont de réunir les atouts et de rassembler les énergies pour promouvoir Montpellier par le haut. C’est possible. Il faut le vouloir.
Le collectif de soutien au Musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie à Montpellier
Contact : ">
On peut signer la lettre-pétition et consulter une revue de presse, à l’adresse :
http://www.change.org/fr/pétitions/monsieur-philippe-saurel-non-à-l-abandon-du-musée-d-histoire-de-la-france-et-de-l-algérie
ou en tapant dans son moteur de recherche : « non à l’abandon du musée »
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Montpellier : Musée de l’histoire de France en Algérie, des questions en suspens
En attendant le conseil d’Agglo du 16 juin, qui devrait entériner ou non l’arrêt du projet, le débat reste ouvert… Et enfle dans les médias. Explications de Jean-Robert Henry, président du comité scientifique de ce musée d’histoire contemporaine mis à mal par le nouveau président de l’Agglo Philippe Saurel.
« Monsieur Saurel a-t-il peur de ce qu’en dira l’extrême droite ? A-t-il décidé de stopper net le projet du musée de l’histoire de la France en Algérie pour gérer ces craintes ? » Jean-Robert Henry, directeur de recherche émérite au CNRS et responsable du comité scientifique de ce musée aimerait avoir des réponses à ces questions, qu’il a posées par courrier au président de l’Agglo et en public, à travers les multiples articles de presses publiés au niveau national et international.
Jean-Robert Henry : « Il cède au débat polémique »
Mais « depuis le 13 mai dernier, malgré mes demandes écrites de le rencontrer », M. Henry n’a obtenu aucune réponse. Hormis à travers les articles diffusés par les médias, où Philippe Saurel confirme ce « veto incompréhensible.Car il est homme politique et se devrait de travailler dans la continuité. Sans oublier son devoir et rôle pédagogique. Mais là, il cède au débat polémique », soupire l’historien. Qui veut croire encore à « une sortie par le haut ».
Parce qu’il sait ce musée soutenu. Qu’en 15 jours, la pétition initiée par des chercheurs montpelliérains a recueilli plus de 2 000 signatures dont celle de groupements comme l’association nationale des professeurs d’histoire et de géographie ; et de particuliers « dont l’ancien conservateur du Louvre et Éric Orsenna ». Tous conscients qu’un musée est « l’espace même où sublimer le sujet d’une guerre. Et que ce projet sur l’histoire de la France en Algérie, à l’instar du Mémorial de Caen pour la seconde guerre mondiale, est justement le lieu où faire se rencontrer toutes les mémoires ».
« Il faut se battre, sortir de l’impasse »
S’il est bien désolé que l’élu ait « pris une décision extrêmement improvisée », Jean-Robert Henry ne veut « pas accepter la défaite. Car ce combat est primordial pour la France et le Maghreb. Les liens entre pays de Méditerranée sont d’intérêts majeurs. Nous nous devons de dépasser les critères personnels. On ne peut pas rester prisonnier d’idées confites. Mais pour ce faire, il faut se battre, sortir de l’impasse ».
Dans l’attente de la décision du conseil d’Agglo, le 16 juin prochain,M. Henry précise encore ne pas dédaigner l’idée d’un musée d’art contemporain. « Il aura sa place dans Montpellier mais, pour l’instant, il est sans fonds artistique ni architectural. Alors que pour le musée de l’histoire de France en Algérie, le gros œuvre est fait, le chantier quasi bouclé. Contrairement à ce que veulent faire croire certains ». Dans l’espoir de pouvoir encore défendre le travail fait auprès de l’élu, M. Henry espère vivement que « le président Saurel saura viser haut. Qu’il ne sous-estimera pas l’enjeu de ce musée d’histoire contemporaine. Et parviendra à porter à leur terme les deux projets ».
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Montpellier exile son Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie
« Un gâchis intellectuel, financier et politique » : les membres du conseil scientifique du Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, qui devait ouvrir en 2015 à Montpellier, ne cachent pas leur colère face à la décision du nouveau maire et président de la communauté montpelliéraine d’agglomération, Philippe Saurel, de mettre fin au projet.
A peine élu, ce socialiste dissident, ancien fidèle de Georges Frêche et ex-adjoint à la culture de la maire sortante, Hélène Mandroux, a décidé d’annuler l’installation du musée prévue dans l’hôtel Montcalm, un bel édifice du XIXe siècle en plein centre-ville, et de transformer le lieu en centre d’art contemporain. Ce choix devrait être entériné à l’issue d’un vote du conseil d’agglomération prévu le 19 juin.
C’est par la presse locale que Philippe Saurel a annoncé, le 14 mai, cet abandon. Ni l’équipe de la conservatrice Florence Hudowicz ni le conseil scientifique composé d’universitaires et d’historiens français (parmi lesquels Marc Ferro, Benjamin Stora, Jean-Robert Henry), algériens (Ahmed Mahiou, Ahmed Djebbar) et français d’Algérie (Georges Morin), n’ont été consultés.
Dans une lettre ouverte au maire, datée du 16 mai, le conseil scientifique fustige ce procédé « abrupt et improvisé » et pointe le « gâchis que représente l’enterrement d’un projet sans équivalent en France ». Une pétition, lancée il y a quelques jours pour s’opposer à la décision du maire, a déjà recueilli 1 800 signatures.
« J’ai pris mes responsabilités », plaide Philippe Saurel, qui met en avant l’absence de label délivré à ce projet « aussi bien par Frédéric Mitterrand que par Aurélie Filippetti ». En réalité, le ministère de la culture devait examiner cet automne l’obtention du label « Musée de France ». « Cela fait douze ans que ça dure, poursuit l’élu, et on n’en voit pas le bout. Au-delà de la façade crépie de neuf, à l’intérieur, tout est dans le même état qu’en 2010. Il n’y a que 2 ou 3 millions qui ont été dépensés pour les collections, le reste concerne les travaux, et cela me permet de faire une belle opération immobilière », assume-t-il.
Effet Front national
L’histoire de ce musée remonte à 2002 lorsque Georges Frêche, président de la communauté d’agglomération de Montpellier, décide de créer un « musée de l’histoire de la France en Algérie ». « Il avait cédé au lobby des rapatriés qui voulaient faire un lieu à la gloire de l’Algérie française », explique Georges Morin. En 2010, son successeur, Jean-Pierre Moure, choisit de nommer une conservatrice, de solliciter des historiens et de réorienter le projet en rebaptisant le musée « histoire de la France et de l’Algérie ». « Il s’agissait d’élargir la problématique initiale, de tout mettre sur la table afin de prendre en compte toutes les mémoires », insiste M. Morin. Deux ans de travaux scientifiques et d’aménagement, trois mille pièces rassemblées, trois millions d’euros déboursés pour l’achat de tableaux, de photographies et d’objets, des prêts calés avec le Musée du quai Branly et le MuCEM, une exposition permanente en cours d’élaboration et une première exposition temporaire (« L’Algérie et la France au miroir de la Grande Guerre »), labellisée par la Mission du centenaire : le musée semblait sur les rails. Sur le blog qu’il tenait pendant la campagne des municipales, Philippe Saurel s’était dit favorable au projet :« J’estime qu’en histoire il n’y a rien de pire que le non-dit. »
Pourquoi ce revirement ? Un membre du conseil scientifique du musée, qui ne veut pas être cité, y voit un effet Front national. « La victoire de Ménard à Béziers a terrorisé tout le monde dans la région. Pour avoir la paix, on refuse de regarder l’histoire en face. » Un autre évoque « un retour de la politique clientéliste à la Georges Frêche » et la pression des associations de rapatriés. « Les pieds-noirs ont bien compris que ce projet était vicié depuis l’origine », finit par lâcher le maire qui qualifie le dossier d’« extrêmement polémique ». Et ajoute : « Je ne marcherai pas sur la mémoire des Français d’Algérie. Le projet a changé d’âme le jour où Frêche est mort ; il est devenu moins chargé de sens, plus historique et plus général. »
Benjamin Stora ne décolère pas : « La France ne veut pas entendre parler d’une présence culturelle algérienne, c’est inouï. » Pour ce spécialiste du Maghreb et des guerres de décolonisation, « les élus municipaux anticipent d’éventuelles réactions non consensuelles, il y a comme une forme de peur ».
Philippe Saurel fait remarquer que sa décision de stopper le musée « n’a soulevé aucune protestation, ni des associations ni des élus des communes de l’agglomération, mais seulement du conseil scientifique. Que vaut-il mieux pour un centre-ville : un centre d’art contemporain capable d’attirer 800 000 visiteurs par an ou un musée de l’Algérie qui aura cinq visiteurs par jour ? J’ai été élu pour gouverner, je gouverne. »
Pour son projet alternatif, M. Saurel envisage de passer une convention avec le fonds régional d’art contemporain et de réactiver une ancienne convention avec Beaubourg. Quant au Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, le maire propose de le délocaliser à l’ouest de la ville dans les locaux désertés du Musée de l’infanterie.