Les commentaires des signataires de la pétition attestent, plus que tout, une importante demande sociale pour le projet. Elle est bien plus diverse et bien plus riche que ne le donnent à penser les idées reçues sur les uns et les autres. Et [la] mobilisation témoigne du besoin de mettre en histoire et en partage nos passés croisés, pour un avenir commun.
L’abandon a été voté, mais l’affaire n’est pas close. Nous procédons à l’examen des recours possibles et nous poursuivons nos démarches, avec la même conviction, la même détermination, certains que ce projet unique, d’intérêt national et international, verra le jour. A Montpellier ou ailleurs, dans sa forme initiale ou sous une autre. Nous réfléchissons à d’éventuels aménagements pour en faciliter l’aboutissement. Nous vous tiendrons informés sur nos démarches et sur les suites.
Montpellier, le 3 juillet 2014
Paul Siblot
pour le collectif
« Le musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie », à Montpellier, un projet ambitieux mis en péril
Peut-on sortir de la guerre des mémoires à propos des relations entre Français et Algériens ? C’est ce que veut réaliser à Montpellier une équipe pluridisciplinaire de chercheurs, avec un « Musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie ».
Sous la présidence de J.-R. Henry, directeur de recherche émérite au CNRS, leur volonté commune est de considérer l’Histoire non comme une machine au service d’une vérité préconstruite, mais comme une discipline de rigueur, cherchant à établir les faits, à expliquer leurs enchaînements, à mesurer ce que l’on sait et ce qu’il faut encore chercher. Leur souci d’administration de la preuve laisse donc ouverte par principe la critique des résultats. Il va évidemment de soi que c’est avec leurs collègues de tous les pays, et d’abord algériens, que ce travail est nécessaire, et possible. En effet, les témoins parlent, les archives s’ouvrent, les travaux s’accumulent. Cette démarche n’a d’ailleurs rien d’original : c’est celle de la science en général.
Sur un sujet aussi vif, avec les souvenirs de bien des atrocités, il fallait s’attendre à polémiques. Elles n’ont pas manqué, il y a déjà dix ans à Montpellier : la ville avait reçu l’apport à la fin de la Guerre d’Algérie d’une forte communauté de Français rapatriés, puis d’une diaspora non moins nombreuse de communautés maghrébines, liée aux conditions économiques comme à la tragédie des années noires de l’Algérie après 1990. Georges Frêche avait promis aux rapatriés, un « Musée de la présence française en Algérie », non sans insulter les universitaires qui tenaient à leur indépendance à l’égard des groupes de pression. Sa disparition accéléra une réorientation complète : non plus un lieu de mémoire communautaire, ce qui existe au CDHA d’Aix-en-Provence, mais un lieu scientifique indépendant, consacré aux relations entre la France et l’Algérie, avant, pendant et après la période coloniale.
L’élection municipale récente avec l’arrivée de l’équipe de Philippe Saurel (avec 37 % des voix au second tour) met en cause un important travail accompli qui devait déboucher sur une inauguration du nouveau Musée dans moins d’un an. Le nouveau maire et président de l’Agglomération a en effet fait connaître son intention d’implanter dans les locaux pourtant déjà aménagés du musée d’Histoire, un musée d’art moderne. Outre les quelque 6 millions de coût supplémentaire, dans des locaux non adaptés, le Musée d’Histoire est rayé de la carte : la pression de l’extrême-droite, qui s’est imposée à Béziers, bien proche de Montpellier, n’est sans doute pas étrangère à cette situation.
Le comité scientifique a lancé une lettre-pétition : jusque là, ni ses membres, ni la conservatrice n’ont été entendus par le nouveau maire. Dans les 4000 signatures en deux semaines, on trouve des noms connus de spécialistes de l’histoire de l’Algérie, Français et Algériens, comme Benjamin Stora, Mohamed Harbi, Marc Ferro, Guy Pervillé… Nombre de conservateurs de musée, l’association des professeurs d’histoire et de géographie, le conseil scientifique de l’Université Paul-Valéry, qui dispose de plusieurs équipes de recherche sur le sujet, des personnalités du monde des arts et des lettres, comme Edgar Morin, Erik Orsenna, Boualem Sansal, Gérard Mordillat, Etienne Balibar, Guy Bedos, Fellag ; la présidente de la société des études camusiennes, la veuve de Maurice Audin… Mais on est encore plus frappé à la lecture des témoignages de simples citoyens tant français qu’algériens qui expliquent : « parce que je suis pied-noir », « parce que j’ai passé 26 mois de ma jeunesse comme appelé en Algérie », « parce que les nouvelles générations, tant en France qu’en Algérie, ont besoin de savoir pour bâtir un avenir dans la paix et l’amitié ».
Pierre Boutan
membre du comité scientifique du
Musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie