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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Mohammed Harbi : “la connaissance de l’Histoire permet d’engager une thérapie collective”

Un entretien avec Mohammed Harbi, ancien dirigeant du FLN, historien. Le Monde - 1er janvier 2002

Le recul du temps suffit-il à expliquer la résurgence de la mémoire de la guerre d’Algérie en France en 2001 ?

Non, les causes de ce phénomène sont multiples : il y a d’abord eu le travail silencieux des anciens appelés, qui, traumatisés par cette guerre, sont sortis du refoulement, poussés par une nouvelle génération d’historiens. Parallèlement, les archives du service historique de l’armée de terre se sont ouvertes, des colloques ont été organisés, les journalistes ont travaillé. Des déterminants extérieurs se sont ajoutés, notamment le procès Papon, qui, confrontant la France à la mémoire de Vichy, a buté sur la mémoire algérienne lorsque le rôle de l’ancien préfet de police dans la répression du 17 octobre 1961 a été évoqué. Le fait que les élites politiques responsables des événements aient cédé la place a sans doute aidé ce travail de mémoire.

Quel usage les Français peuvent-ils faire de ce débat ?

L’essentiel est d’analyser les faits pour dépasser le stade des lamentations. La connaissance de l’Histoire permet d’engager une thérapie collective afin que de telles horreurs ne se reproduisent pas. Les jeunes ont du mal à imaginer que la patrie des droits de l’homme a pu pratiquer la torture. Les manuels scolaires, qui n’intègrent pas l’histoire coloniale à l’Histoire de France, ne les aident guère. Or la France a gardé de son histoire coloniale des empreintes, notamment la présence de populations qui sont devenues françaises et dont l’intégration suppose une approche différente de son histoire.

La connaissance du passé algérien peut-elle aider ou entraver cette intégration ?

Avec le temps, le savoir procure beaucoup plus de sérénité que le refoulement. Mieux vaut reconnaître le dol pour cautériser les plaies. Il reste qu’aujourd’hui un jeune Français issu de l’immigration peut vivre sa condition comme une continuité du fait colonial. Dans l’approche que les gouvernements ont des immigrés, le colonialisme n’est pas mort.

En quoi le débat en cours peut-il nous aider à comprendre les événements algériens actuels ?

L’Algérie a un rapport à la violence qui provient de la colonisation. Celle-ci est partie prenante de l’actuel état de barbarie, notamment parce que des élites ouvertes au monde ont été détruites. Pour autant, il serait arbitraire de rattacher purement et simplement la situation d’aujourd’hui à la colonisation. La société algérienne a, avec certaines formes de violence, un rapport qui lui est propre, comme en témoigne son histoire précoloniale.

Les débats actuels en France forcent les Algériens à se poser des questions sur eux-mêmes plutôt que de toujours chercher des responsables à l’étranger. Les gens commencent à penser que la société algérienne porte en elle des stigmates qu’elle doit éliminer. La guerre de libération a créé en Algérie un système barbare de représailles et de contre-représailles qui ne pouvait être stoppé par une loi d’amnistie et dont nous vivons encore les conséquences. Après 1962, la transformation du pays a été conçue comme une simple substitution : les nouvelles élites ont chaussé les pantoufles du colonisateur et ont entretenu les mêmes types de rapports avec la population.

Un travail de mémoire peut-il être entrepris en Algérie ?

J’ai toujours pensé que Français et Algériens devaient écrire ensemble cette Histoire, comme les historiens français et allemands l’ont fait pour les guerres mondiales. Il est d’ailleurs impossible de faire autrement : si chacun s’enfonce dans l’histoire nationale, nous ne ferons que reculer. »

Propos recueillis par Philippe Bernard

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