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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
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Michelin en Indochine

La culture de l’hévéa dans les plantations Michelin est restée le symbole de ce qu'a pu être l'exploitation des “indigènes” et des ressources de l'Indochine à l'époque de la colonisation française. L'Université Populaire et Citoyenne du Puy-de-Dôme publie un ouvrage sur ce sujet souvent mal connu. Les plantations Michelin au Viêt-nam comporte deux parties. Il commence par un témoignage militant : le récit par un des acteurs, Tran Tu Binh, d'une révolte en 1930 dans la plantation de Phu-Riêng 1. Ce témoignage, traduit pour la première fois en français, est suivi d’une histoire sociale des plantations Michelin pour la période 1925-1940, par l'historien Éric Panthou. Un ouvrage courageux et important...
[Mis enligne le 26 mars 2013, mis à jour le 5 mars 2014]

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Éric Panthou, Tran Tu Binh, La Terre Rouge, Michelin au Viêt-nam : une histoire sociale, Vertaizon, éd. La Galipote, 2013, 346 p., ill.
1

  • Tran Tu Binh (1907-1967) fut condamné à 5 ans de prison pour avoir dirigé la révolte de la plantation de Phu-Riêng. Il devint ensuite un haut cadre militaire et politique du Viêt-Minh puis du pouvoir communiste au Nord Viêt-nam.
  • Éric Panthou, diplômé de 3° cycle en histoire contemporaine, a publié plusieurs études sur l’histoire sociale dans le Puy-de-Dôme et en particulier chez Michelin – il a obtenu le Prix Maitron 1994 pour son mémoire sur L’Année 1936 dans le Puy-de-Dôme. Bibliothécaire, il est membre de l’Université Populaire.

Plantation de Xa Bang
Plantation de Xa Bang

Présentation2

L’histoire sociale des plantations Michelin est un projet né il y a deux ans. L’Université Populaire et Citoyenne du Puy-de-Dôme conserve les archives de Paul Bany, ancien prêtre ouvrier qui accumula de nombreux documents liés à l’histoire sociale du département et en particulier sur Michelin. C’est dans ces archives qu’a été trouvé le texte en vietnamien et en anglais du témoignage d’un coolie ayant travaillé sur les plantations Michelin de 1927 à 1930. Ce coolie, Pham Van Phu, devenu alors militant communiste, fut l’organisateur d’une rébellion sur cette plantation et fut puni pour cela à 5 ans de bagne. C’est là qu’il prit le nom de Tran Tu Binh, «l’homme qui pouvait mourir pour la paix ». Il devint plus tard un acteur important de la révolution vietnamienne, tant lors de la guérilla qu’après l’indépendance du Nord Viêt-nam. Il meurt le 11 février 1967 à Hanoi.

Il s’agit bien d’un témoignage sur l’effort d’organisation des ouvriers en réaction à l’implacable exploitation à laquelle ils étaient confrontés. Tran Tu Binh conclut d’ailleurs son récit en qualifiant Phu-Riêng à l’ère coloniale d’« enfer sur terre ». C’est aussi une réponse convaincante apportée à ceux qui, depuis Jules Ferry, ont défendu « la mission civilisatrice de la France » et à ceux qui voulaient il y a peu inscrire dans le marbre et faire enseigner « le rôle positif de la présence française outre-mer ». Ce récit, considéré comme un des plus fiables sur la vie des coolies dans les plantations vient, il y a quelques semaines, d’être retenus par les meilleurs spécialistes sur l’Histoire du Viêt-nam parmi les ouvrages de références pour qui veut découvrir ce pays. C’est dire l’intérêt de cette première traduction en français.

Cette histoire était presque inconnue en France. Ce témoignage raconte ce qu’une partie de la presse ou des rapports d’inspecteurs du travail révélaient, et que les historiens ont depuis amplement confirmé.
Le témoignage de Tran Tu Binh est suivi d’une étude historique extrêmement rigoureuse écrite par Éric Panthou.

A partir des principaux travaux, tant en français qu’en anglais qui portent sur la vie dans les plantations d’hévéas en Indochine, et à partir d’un travail de confrontation de sources issues des archives, Eric Panthou apporte ici de nouvelles analyses mettant en évidence le particularisme des plantations Michelin. On découvre la dureté des conditions de travail et la permanence d’un cadre de contraintes et de violences s’exerçant sur les ouvriers tout au long de la période considérée de 1926 à 1939. Le recours aux informations issues des archives Michelin permet à l’auteur d’affirmer que la firme clermontoise s’est voulue, tardivement, un modèle dans le domaine sanitaire et médical. Toutefois, il apparaît qu’elle a par ailleurs négligé le bien-être matériel et moral de ses ouvriers, n’estimant sans doute pas nécessaire d’engager des dépenses importantes pour entretenir et conserver une main-d’œuvre abondante et très peu coûteuse. Elle a dans le même temps développé un contrôle du travail s’appuyant sur les méthodes de Taylor, inadaptées aux conditions de la région et à la main-d’œuvre employée.

Michelin a considéré qu’il suffisait de dépenses importantes dans le domaine sanitaire (hôpital et drainage pour réduire le fléaux du paludisme qui a causé 18% de morts en 1927 sur l’une de ses plantations !) pour obtenir la paix sociale et des rendements élevés. Mais à côté, il a délaissé l’habitat, ne connaissait pas les mœurs et coutumes des coolies, et considérait toute protestation comme émanant des communistes donc non entendable. Tout cela a contribué aux plus graves soulèvements sociaux dans les plantations et à ce que les autorités soient de plus en plus critiques à son égard comme en témoigne l’extrait du rapport du Gouverneur de Cochinchine, Pagès, reproduit plus bas…

Cette étude établit aussi le succès économique de ces plantations. L’extrême faiblesse des salaires des coolies combinées à la forte demande en faveur du caoutchouc naturel, ont contribué à faire de ces plantations des domaines extrêmement rentables. Ceci explique sans doute pourquoi Michelin est resté au Viêt-nam jusqu’au bout, c’est-à-dire la chute de Saigon, le départ des américains et l’expropriation des plantations du sud Viêt-nam par le nouveau pouvoir communiste.

Cette étude va bien au-delà du cas Michelin. Elle montre comment le nouveau statut de la main-d’œuvre, instauré par le Gouverneur d’Indochine Alexandre Varenne en 1927, accentue la soumission des coolies aux planteurs du point de vue juridique.

C’est à une nouvelle interprétation de la politique sociale de la Société Michelin à laquelle cette étude nous invite. Cette compréhension du passé permet aussi de faire le lien entre le combat des populations hier dessaisies de leurs terres au Viêt-nam, et le combat actuel d’hommes et femmes au Nigeria victimes de la destruction de leur forêt pour y installer une plantation Michelin. De même, le lien existe avec le combat qui dure depuis plus de cinq ans, de milliers d’Intouchables du village de Thervoy en Inde. Ceux-ci sont en effet, aussi, victimes de la destruction de leur forêt nourricière et de leurs ressources en eau, pour que soit construite une usine Michelin. Ces luttes d’hier et d’aujourd’hui permettent de ré-interroger l’exemplarité sociale et environnementale dont Michelin entend se prévaloir.

LocNinh, maisons de coolies
LocNinh, maisons de coolies

Un document : extrait d’un rapport du gouverneur de la Cochinchine au gouverneur général de l’Indochine en 1937.3

Saigon, le 27 Mai 1937,

Objet : Incident sur la plantations de Michelin à Dâutiêng (province de Thudaumôt).

[…] « Depuis lors4, il ne s’est pas passé un trimestre, sans que l’Autorité provinciale ou l’Inspection du Travail n’aient eu à intervenir entre la Société et les coolies qui, sans jamais se plaindre d’une manière précise contre leurs employeurs, ont toujours articulé cependant le grief contre eux d’être durs et inhumains. Les rapports ci-joints vous donneront par le menu les détails des incidents des dernières semaines et peut-être viendra-t-il à votre esprit de penser qu’ils auraient pu être considérées comme prémonitoires et éveiller davantage l’attention de l’Autorité locale. Mais, je n’ai pas besoin de vous en donner l’assurance, celle-ci n’a pas été surprise par les événements. Ils faut avoir le courage de le dire, il existe malheureusement sur les plantations Michelin un esprit « planteur » absolument lamentable et cette Société dont le nom honore l’industrie française n’envoie en Indochine à la tête de ses plantations que des hommes sans expérience du pays et ne recrute que des assistants sans valeur. A côté d’un hôpital magnifique et d’installation industrielles remarquables, la Société a complètement négligé de procéder à des installations procurant un minimum de bien-être aux coolies. Elle a été la dernière à transformer les campements collectifs d’habitation de la main-d’œuvre en petites maisons individuelles, mais celles-ci ont été faites avec une économie sordide.

La morgue et l’esprit féodal deux deux Directeurs successifs de la plantation ont contribué, d’autre part, à faire de la Plantation Michelin une exploitation en vase clos, ignorante de la vie réelle des Annamites, sous l’autorité des assistants français condescendants lointains et sans antennes. Je n’entends pas dire par là que des sévices ou des brutalités aient été exercées contre les coolies d’une manière épidémique ou endémique. Non. Mais je veux signifier ainsi que de tout temps, les coolies de Dâutiêng m’ont apparu être traités comme des prisonniers, comme de pauvres loques que les assistants accablaient de leurs mépris et de leurs injures à défaut de coups.

Bien entendu, des observations avaient été faites aux Directeurs précités par l’Inspecteur du travail ou par moi-même, mais ils n’en avaient cure, prétendant par une attitude orgueilleuse et incompréhensive des intérêts profonds qu’ils représentaient, maintenir un État dans l’État, sauf à crier périodiquement au Fou et au gendarme quand le besoin s’en ferait sentir. […]

Campement à Bien Hoa
Campement à Bien Hoa

Table des matières

– Première partie: Phu-Riêng la Rouge. Récit d’une révolte sur une plantation Michelin en 1930, par Tran Tu Binh.
– Seconde partie: Aux sources du particularisme des plantations d’hévéas Michelin en Indochine, de leurs origines à 1939, par Éric Panthou.

  1. Aux origines des plantations Michelin

    La soif de terres agricoles

    Les raisons de cet engagement en Indochine
  2. Réussite économique et conflits d’intérêts

    Une affaire très rentable

    Une tension croissante avec les autres producteurs
  3. Le statut de la main-d’œuvre contractuelle sur les plantations

    L’intervention de l’État sous l’égide d’Alexandre Varenne

    Travail contractuel, travail contraint?

    Un niveau de vie misérable
  4. Efficacité et productivité: le particularisme Michelin dans la plantation d’hévéas?

    Taylorisme et «esprit Michelin»

    Durée du travail: une exploitation extrême

    Sélection ethnique et ségrégation pour mieux contrôler les ouvriers

    Les effectifs
  5. L’état de la main-d’œuvre

    Nourriture et hébergement: Michelin n’est pas un exemple

    Une mortalité effroyable dans de nombreuses plantations

    Des efforts importants mais tardifs dans le domaine de la protection sanitaire

    Un fort renouvellement de la main-d’œuvre
  6. Les plantations Michelin, lieu emblématique de la violence coloniale?

    Impunité pour la violence des blancs

    L’encadrement indigène livré à lui-même

    Symptôme du malaise: les fuites massives
  7. L’échec humain des plantations Michelin selon les autorités
  8. Les plantations Michelin, terrain de luttes historiques pour les communistes

    La révolte de Phu-Riêng en 1930

    On tire sur les coolies de Dâu-Tiêng

    Une agitation continuelle


Société Agricole et Industrielle de Bencui - Village de coolies contractuels
Société Agricole et Industrielle de Bencui – Village de coolies contractuels

  1. Prix 20 € + 4.30 € de port. Adresser un chèque de 24.30 € à l’ordre de « UPC 63 – Plantations Michelin », à : UPC 63 – 3, rue Gaultier de Biauzat – 63000 Clermont-Ferrand. ">
  2. Par Jean-Michel Duclos, Président de l’Université Populaire et Citoyenne du Puy-de-Dôme.

    Les photos, ajoutées par LDH-Toulon, proviennent du site http://belleindochine.free.fr ; elles ne sont pas liées aux plantations Michelin.

  3. Source : Archives Nationales du Viêt-nam.
  4. Allusion à des incidents survenus en décembre 1932 et ayant entraîné la mort de trois coolies, abattus par des gardes à l’entrée de la plantation, uniquement pour avoir voulu aller protester auprès de l’inspecteur du travail, contre la baisse, illégale, de leurs salaires.
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