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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2025

Michèle Audin (1954 – 2025), « une vie brève »

Mathématicienne, écrivaine et historienne brillante, Michèle Audin est morte le 14 novembre 2025, à l’âge de 71 ans. Passionnée notamment par l’histoire de la Commune de Paris, elle était la fille de Maurice Audin, mathématicien communiste algérien, enlevé et assassiné par l’armée française en juin 1957 à Alger, et de Josette Audin, qui se battit toute sa vie pour obtenir vérité et justice. Et la sœur de Pierre Audin, lui aussi mathématicien et lui aussi engagé pour l’émancipation, qui a été fier de recevoir enfin en 2022 son passeport algérien, et qui est décédé en 2023. Nous publions le communiqué de l’Association Josette et Maurice Audin, l’article que L’Humanité lui a consacré et l’hommage rendu par les éditions Libertalia.


Communiqué de l’Association Josette et Maurice Audin


Michèle Audin (1954-2025)


L’Association Josette et Maurice Audin est encore une fois en deuil.

Après sa mère Josette en 2019, après ses frères Louis en 2006 et Pierre en 2023, Michèle Audin nous a quittés ce 14 novembre.

Mathématicienne éminente, elle était aussi une écrivaine reconnue, membre de l’Oulipo, et une passionnée d’histoire(1). Son engagement pour la cause des femmes a été permanent(2).

Michèle a constamment accompagné sa mère et ses frères dans leur lutte de plus de soixante ans pour que la vérité soit dite sur la disparition de Maurice Audin. Elle était aux côtés de Josette et Pierre le 13 septembre 2018 lors de la visite d’Emmanuel Macron au domicile de Josette Audin. Le Président de la République avait alors reconnu la responsabilité de l’État dans le système d’enlèvements, de tortures et d’exécutions instauré par l’armée française en Algérie pendant la guerre d’indépendance. C’était la première réponse positive à 62 ans de combat inlassable de la famille et de ses nombreux soutiens.

Ce long combat, Michèle l’a mené discrètement, ses interventions publiques étant essentiellement consacrées à son œuvre littéraire et scientifique. Mais elle l’a mené résolument, participant à la création de notre association en 2004 et la soutenant activement depuis, ne manquant aucune de nos réunions. Deux actes très forts en témoignent. D’abord le refus en 2009 de la légion d’honneur que voulut lui décerner le Président de la République, Nicolas Sarkozy(3), ce dont elle s’est expliquée dans une lettre qu’elle lui a adressée(4). Ensuite la publication en 2013 de Une vie brève(5), le très émouvant livre qu’elle a consacré à son père.

Trop brève, la vie de Michèle l’aura été aussi, hélas, la maladie étant venue interrompre brutalement une activité toujours aussi intense et créative.

À sa fille Juliette, à son mari Claude, à toute sa famille, aux côtés de ses amies, de ses amis, de ses collègues, de ses lectrices, de ses lecteurs, de toutes celles et tous ceux qui continuent à lutter pour la paix, la liberté et la fraternité entre les peuples, l’Association Josette et Maurice Audin exprime sa sympathie et son soutien.

Paris, le 15 novembre 2025

[1]   Ses nombreux travaux d’historienne ont porté sur les mathématiques, les sciences et la commune de Paris, à laquelle elle a consacré un site : macommunedeparis.com

[2]   Elle a notamment présidé l’association femmes & mathématiques en 1990 et 1991 (https://femmes-et-maths.fr/deces-de-michele-audin/).

[3]   https://mediaclip.ina.fr/fr/r21351208-au-nom-du-pere-la-mathematicienne-michele-audin-refuse-la-legion-d-honneur.html

[4]   https://blogs.mediapart.fr/edwy-plenel/blog/020109/la-lettre-de-michele-audin-nicolas-sarkozy

[5]   Chez Gallimard : https://www.gallimard.fr/catalogue/une-vie-breve/9782070468201


Michèle Audin, écrivaine, mathématicienne, est décédée

par Aurélien Soucheyre, publié dans L’Humanité le 15 novembre 2025.

Source

La mathématicienne, fille de Maurice et Josette Audin, était aussi écrivaine, membre de l’Oulipo, et historienne passionnée par la Commune de Paris. Elle est décédée le 14 novembre à 71 ans.

Il y a les littéraires. Il y a les matheux. Et puis il y avait Michèle Audin, qui savait jouer avec brio de ces deux langues. Mêler les chiffres et les lettres, inventer des structures alliant rigueur, poésie et travail mémoriel était devenu son terrain d’art et d’expérimentation. Dans son équation personnelle, il y avait d’abord eu un gros manque, un moins l’infini même : son père, le mathématicien et militant communiste Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, en 1957. Elle avait seulement trois ans. Il avait eu le temps de lui apprendre à lire, à écrire, et à compter, un peu.

Ce sont les chiffres qu’elle explore d’abord, professionnellement en tout cas, en devenant une brillante mathématicienne, spécialiste de la géométrie symplectique et professeure à l’Institut de recherche mathématique avancée de Strasbourg à partir de 1987. Pour sa « contribution à la recherche fondamentale en mathématique et à la popularisation de cette discipline », le président de la République Nicolas Sarkozy lui propose en 2008 la Légion d’honneur. Michèle Audin la refuse aussi sec. La raison ? Un an auparavant, sa mère Josette Audin avait écrit à l’Élysée, demandant que vérité soit faite sur le meurtre de Maurice Audin, dont le corps et les assassins n’ont jamais été retrouvés. Le chef de l’État n’avait même pas daigné répondre. Il faudra attendre 2018 pour qu’Emmanuel Macron reconnaisse enfin la responsabilité de l’État et de l’armée française dans ce crime colonial. Une victoire à l’issue de la si longue quête de la famille Audin pour la justice, même si bien des zones d’ombre demeurent.

Membre de l’Oulipo

Plus tôt, en 2013, Michèle Audin avait écrit Une vie brève (Gallimard – Collection l’Arbalète), récit pudique consacré à ce père assassiné à 25 ans, et ce qu’il reste de lui tel qu’il était. « Ni le martyr, ni sa mort, ni sa disparition ne sont le sujet de ce livre. C’est au contraire de la vie, de sa vie, dont toutes les traces n’ont pas disparu, que j’entends vous parler ici », racontait-elle. Mais c’est son tout premier récit, sur Sofia Kovalevskaïa, grande mathématicienne victime de sexisme, qui lui vaut immédiatement d’être repérée par l’Oulipo, l’ouvroir de littérature potentielle fondé par Queneau, où elle est élue en 2009.

Dès lors, Michèle Audin s’autorise toutes les audaces, en croisant prose et arithmétique, en inventant la très géométrique contrainte littéraire de Pascal et en usant d’onzine et de sixtine, jusqu’au roman La formule de Stokes (Cassini, 2016), où l’héroïne est carrément une formule mathématique ! À l’entrelacement des disciplines, va très vite s’ajouter celui des époques. Passé, présent et futur sont des temps métissés. Michèle Audin, prise de passion par la Commune de Paris, y consacre à la fois des romans, des travaux d’historienne, et un blog passionnant, d’une érudition phénoménale, reprenant le fil de la révolution de 1871 en la racontant au jour le jour pour le cent- cinquantenaire de la Commune, en 2021. Une entreprise titanesque, qui avait trouvé écho sur le site de l’Humanité, avec une chronique quotidienne.

Avec le peuple de 1871

D’où lui venait cet intérêt ? D’elle-même, Michèle Audin faisait le lien avec ses parents et l’Algérie. « J’ai été élevée dans une famille communiste. Une certaine idée de la Commune de Paris faisait partie de la culture ! », nous lançait-elle en 2021. Ou encore : « Comme l’a dit l’homme responsable du massacre des communards : “Le sol de Paris est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insurgés qui osaient se déclarer partisans de la Commune”. Il s’agissait de terroriser la population, pour interdire d’autres insurrections. C’est analogue, par exemple, aux massacres menés en Algérie, eux aussi par l’armée française, à Sétif et Guelma en mai 1945. »

C’est aussi le peuple révolutionnaire de 1871 et son ambition démocratique et sociale qui happe Michèle Audin, ce peuple en mouvement du roman Comme une rivière bleue (Gallimard, 2017). Ce peuple vaincu qui se cache après la défaite dans Josée Meunier, 19 rue des Juifs (2021), où l’écrivaine, à la manière de Georges Perec, « épuise » la litanie méticuleuse d’une perquisition, et décortique la vie d’un immeuble, d’un appartement à l’autre, et d’une révolution à l’autre : 1830, 1848, 1871… Ici, elle invente une histoire d’amour au sujet d’un personnage réel, Albert Theisz, délégué à la poste de la Commune de Paris, et témoin de mariage entre Charles Longuet et Jenny Marx.

Historienne de la Semaine Sanglante

Sa rigueur toute mathématique la pousse parallèlement à devenir pleinement et très efficacement historienne. Michèle Audin avait déjà édité des textes d’Eugène Varlin, publiés en intégralité pour la première fois grâce à elle (Libertalia 2019). Elle avait aussi exhumé les lettres d’Alix Payen, ambulancière de la Commune (2020). Mais en 2021, elle se lance, avec l’ouvrage La semaine sanglante, dans un décompte précis des victimes. « Bizarrement, personne n’a fait cette histoire depuis Du Camp et Pelletan (1879-1880). À part une revitalisation des comptes de Du Camp par Tombs aussi tardivement qu’en 2010 », s’étonnait-elle alors.

La voilà plongée dans les archives, les registres de chaque cimetière, les documents des pompes funèbres. « On s’aperçoit vite qu’il n’est pas possible d’arrêter de compter les morts le 30 mai, comme l’ont fait Du Camp, puis Tombs. Par exemple, rien qu’au cimetière Montmartre, arrivent, le 31 mai, 492 nouveaux corps d’inconnus », signale-t-elle, avant de calculer, registres à l’appui, que 10 000 personnes ont été inhumées « pendant et après » la Semaine sanglante. À la fin, Michèle Audin est formelle : « il y a eu certainement 15 000 morts » lors de la répression versaillaise. Tout chiffre en dessous n’est pas sérieux.

Elle était la fois discrète, respectueuse et directe, sans filtre quand elle avait quelque chose à dire. Michèle Audin avait plus récemment publié une belle géographie des luttes avec Paris, Boulevard Voltaire (2023) et s’était penchée sur le quotidien de Strasbourg sous l’Occupation, avec La maison hantée (Les éditions de minuit, 2025). Une capitale alsacienne qu’elle connaissait bien, et où elle morte. Elle avait 71 ans. 71, comme l’année de la Commune.


Hommage des éditions Libertalia

par Nicolas Norrito

J’ai rencontré Michèle Audin au printemps 2017, au moment de la réédition des Souvenirs d’une morte vivante, de Victorine Brocher. Elle avait identifié un souci dans le livre : dès l’édition de 1909, il manquait une page et, génération après génération, on avait tous reproduit le même texte fautif. Elle était comme cela, Michèle, précise et minutieuse.
Elle avait alors 64 ans. Jeune et fringante retraitée de l’enseignement supérieur, après une brillante carrière de mathématicienne, elle se consacrait pleinement à un roman à paraître sur la Commune de Paris, Comme une rivière bleue (Gallimard, automne 2017). Elle avait acquis une documentation colossale sur les communard·es, son érudition était stupéfiante.

Ensemble, nous avons publié cinq livres. Le premier, elle l’a consacré à Eugène Varlin. Elle avait une tendresse particulière pour le jeune relieur internationaliste fauché par les versaillais à l’âge de 33 ans. Elle le trouvait beau, christique, épatant d’abnégation et de courage militant.

Elle a ensuite rédigé une monographie d’Alix Payen, une ambulancière de la Commune oubliée. Elle décidait tout le temps des titres de nos livres et avait choisi celui-ci, superbe : C’est la nuit que le combat devient furieux. En 2021, pour le 150e anniversaire de la Commune, Michèle a publié La Semaine sanglante. Légendes et comptes. Peut-être son livre le plus important depuis Une vie brève (Gallimard, 2013), petit roman dédié à son père, le mathématicien Maurice Audin, assassiné en 1957 en Algérie par l’armée française. Pour La Semaine sanglante, elle a consulté les registres des cimetières, croisé toutes les archives, analysé tous les écrits afin de dénombrer les victimes de la répression versaillaise. Son combat, c’était de rendre hommage aux humbles, au petit peuple de Paris, aux morts sans sépulture, à celles et à ceux qui ne figurent pas dans les manuels. Un an plus tard, en 2022, pour parfaire ce travail, nous avons réédité La Semaine de Mai (1880), de Camille Pelletan, dans une version largement augmentée.

C’est vers ce moment-là que je lui ai demandé de s’intéresser à Flora Tristan (1803-1844). Elle la connaissait peu. Comme à son habitude, elle s’est plongée pleinement dans le sujet, et ensemble nous avons réédité Autour de la France, un manuscrit d’un million de signes dans lequel tout est sourcé et recoupé.

Le 28 mai dernier, dans la perspective de l’ouverture de notre deuxième librairie, je lui ai fait une ultime proposition : je souhaitais qu’elle écrive une histoire de la Maison des Métallos et de la rue d’Angoulême, devenue rue Jean-Pierre Timbaud ; qu’elle nous raconte l’histoire de celles et ceux qui avaient vibré en ces lieux. Las, déjà malade, ne pouvant plus se déplacer (elle qui aimait tant crapahuter), elle a décliné.

Michèle mon amie, tu vas me manquer. J’aimais ta rectitude, ton petit côté autoritaire dans le boulot, ta franchise sans détour, ta joie également car tu riais tout le temps. Tu meurs trop tôt et c’est une mauvaise nouvelle pour notre camp. Nous tâcherons de poursuivre tes combats pour la vérité, la justice et l’émancipation.


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