Polémique autour des “morts de l’Algérie française”
Près de cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, ce passé ne passe toujours pas. Et une nouvelle vive polémique se profile. En cause, la demande que vient d’adresser le président du Collectif aixois des rapatriés, Robert Saucourt, à la maire de la ville d’apposer une plaque « en mémoire des morts de l’Algérie française ». La députée maire Maryse Joissains-Masini (UMP) a d’ores et déjà donné son accord de principe, ce que nous a confirmé son cabinet hier.1
Selon une information publiée sur le site Internet de L’Express, la maire envisageait même de baptiser une rue du nom de Bastien-Thiry, cet officier de l’armée de l’air qui fomenta l’attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle en 1962, ce qui lui valut d’être fusillé l’année suivante. Dans un communiqué, Joissains-Masini « dément avoir reçu une quelconque demande à ce nom ».
En revanche, elle ne conteste pas les propos qui lui sont attribués au sujet de Bastien-Thiry : « Après tout, on ne peut pas lui reprocher de mauvaises actions. Il a simplement agi selon ses convictions. » Sollicitée hier, l’élue nous a fait savoir quelle se refusait « à tout commentaire ».
Nostalgiques de l’OAS
Celui qui voulu tuer de Gaulle ne sera donc pas célébré sur les murs d’Aix-en-Provence, au grand dam des nostalgiques de l’OAS (Organisation armée secrète) qui continuent à perpétuer son souvenir.
Mais sans doute ceux-ci trouveront-ils une consolation dans la formulation du texte retenu pour la plaque qui doit être apposée dans le cimetière Aixois avec, donc, « l’accord de principe » de la première édile : « Aux Morts de l’Algérie française ». Robert Saucourt nous a indiqué vouloir ainsi « rendre hommage à tous ceux et toutes celles qui sont morts pour l’Algérie française et sont tombés sous les coups du FLN ».
S’il n’est donc pas question nommément de Bastien-Thiry et des membres de l’OAS condamnés et exécutés par la France pour leurs activités terroristes, il indique que, grâce à cette plaque, « chacun ira chercher les morts qui l’intéressent et chacun y retrouvera ses morts ». On ne saurait être plus clair. Le poids des mots, le choc des symboles, en quelque sorte.
L’accord de principe donné par Maryse Joissains-Masini surprendra peut-être certains, notamment parmi ses collègues députés. Car l’élue est au nombre des parlementaires qui ont signé, en janvier 2007, une proposition de loi « tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d’actes de terrorisme ». Il s’agissait, selon les députés signataires, d’apporter « une réponse forte et sans équivoque aux ennemis de la liberté ».
La proposition de loi n’a, bien sûr, pas été adoptée. Dans l’exposé des motifs, les élus, dont Joissains-Masini, s’indignaient alors : « Que dire de ces terroristes condamnés à la prison à vie qui continuent à communiquer au grand jour depuis leur cellule avec leurs complices, à donner des interviews voire à publier leurs mémoires ? » En effet. Ne manquerait plus que leur soit rendu un hommage, fut-il implicite, comme aux terroristes de l’OAS.
Maryse Joissains-Masini, maire (UMP) d’Aix-en-Provence : «Une rue Bastien-Thiry ? Pourquoi pas ?»
Maryse Joissains, maire UMP d’Aix-en-Provence, envisage sérieusement de dédier une artère de sa ville à Jean-Marie Bastien-Thiry : « Pourquoi pas ?, déclare-t-elle à L’Express. Personnellement, je n’ai rien contre. Après tout, on ne peut pas lui reprocher de mauvaises actions. Il a simplement agi selon ses convictions ». Cet officier, partisan de l’Algérie française, avait organisé l’attentat du Petit-Clamart, qui, le 22 août 1962, avait failli coûter la vie au général de Gaulle. Il avait ensuite été arrêté, condamné à mort par une cour militaire, puis exécuté en 1963. Aix-en-Provence est l’une des villes de France qui compte le plus de rapatriés d’Afrique du Nord.
- Quelle stratégie suivez-vous quand il s’agit de nommer une rue ?
Il n’y a pas de règle. Disons que, dans le cas d’un petit square ou d’une rue courte, on se fait plaisir en optant pour une personnalité locale. Et pour une grande artère ?
Je choisis des personnalités de plus grande notoriété, un Prix Nobel, un scientifique ou une figure qui a exalté des valeurs patriotiques. Il faut qu’elles constituent un motif de fierté, un repère et un modèle pour les générations à venir. Il faut aussi qu’elles fassent l’objet d’un consensus.
- Précisément. Pourquoi ne pas indiquer quelques éléments biographiques sur les plaques ?
Je le souhaiterais, en effet. Moi-même, il m’est arrivé d’inaugurer une rue dédiée à une personne que je ne connaissais pas…
- Certaines villes provençales traduisent systématiquement les noms de rue en langue d’oc. Pas Aix…
Non. Je ne suis pas favorable à cette double appellation : nous sommes une ville ouverte sur l’extérieur.
- Alors pourquoi ne pas honorer davantage de personnalités étrangères ?
De manière générale, je privilégie les Français. On est chez nous.
- Vous avez pourtant laissé entendre que vous seriez disposée à dédier une voie à Jean-Paul II…
Oui. Car il s’agit d’un homme qui fait l’unanimité et n’appartient pas aux seuls catholiques.
- Certains choix religieux ont pourtant provoqué des contestations…
A deux reprises, en effet. Le 15 janvier 2007, nous avons baptisé un rond-point du nom du père Aguesse. Des radicaux de gauche m’ont alors accusée d’entorse à la laïcité. C’est ridicule! Il s’agissait simplement d’une personne très appréciée dans son quartier. Etre laïque, ce n’est pas être antireligieux, et c’est une radicale qui vous le dit ! Des réactions du même ordre s’étaient produites, en 2006, avec la rue Saint-Georges.
- Y a-t-il des rues que vous voudriez débaptiser ?
Il y en a une, en effet, qui me pose problème. Elle porte le nom d’un magistrat dont je tairai le nom 3, mais dont on dit plus de bien qu’il ne le mérite. Toutefois, je ne débaptiserai pas cette rue, car, apparemment, l’homme fait l’objet d’un consensus.
- Avez-vous déjà refusé des propositions qui vous étaient adressées ?
J’ai été saisie du cas d’une personne dont le passé pendant la Seconde Guerre mondiale n’était pas tout à fait clair. J’ai donc opté pour la prudence.
- Il était censé y avoir une place François-Mitterrand, face au Pavillon noir, dans le nouveau quartier Sextius-Mirabeau. Elle figure d’ailleurs sur les plans. Mais on ne trouve aucune plaque sur le site.
L’ancien maire socialiste ne l’a pas inaugurée. Je ne vois pas pourquoi je le ferais, moi ! Il est un peu tôt, à mes yeux, pour considérer que l’ancien président se situe au-dessus des clivages politiques.
- Est-ce la seule raison ?
Aix ne compte pas non plus de rues dédiées à d’autres grandes figures de la gauche, comme Mendès France ou Blum, qui sont pourtant morts depuis longtemps… Je n’ai pas d’affinités particulières à leur égard.
- Vous avez également été saisie d’une demande pour Bastien-Thiry, cet officier pro-Algérie française qui avait tenté d’assassiner le général de Gaulle.
En effet. Ce dossier, sensible, est à l’étude depuis deux ans. Personnellement, je n’ai rien contre. Après tout, on ne peut pas lui reprocher d’avoir accompli de mauvaises actions. Il a simplement agi conformément à ses convictions. On ne peut pas dire qu’il a été indigne dans son comportement.
- Mais il a essayé d’assassiner le chef de l’Etat !
Et il a lui-même été exécuté par le pouvoir, comme le duc d’Enghien l’avait été par Bonaparte. C’est pourquoi je fais instruire le dossier, dont m’ont saisie les anciens combattants. Personnellement, je ne connais pas assez son histoire : j’étais jeune, à l’époque. Alors je dis : pourquoi pas ? Je n’ai pas d’opposition de principe. D’autant qu’il y a beaucoup de pieds-noirs à Aix.
- Dans ce cas-là, pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant les élections ?
C’est une bonne question, car cela aurait pu me rapporter des voix. Mais je vous l’ai dit : je recherche le consensus ; je suis garante de la tranquillité de la ville.
- Alors, vous savez que vous devrez renoncer : Bastien-Thiry ne fera jamais l’objet d’un consensus !
Non, mais est-ce normal ?
Aix-en-Provence, ses maires et ses nostalgiques de l’« Algérie française »
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Dès 1965, la ville accueille au sein du cimetière Saint Pierre le premier mémorial créé en France pour les rapatriés. Le maire de l’époque, Henry Mouret (SFIO, 1945-1967), avait refusé ostensiblement de serrer la main du général De Gaulle lors d’une visite à Aix, en signe de protestation contre sa politique algérienne.
Le maire suivant, Félix Ciccolini (apparenté SFIO, 1967-1978) baptise une rue de la nouvelle ZUP du nom du maréchal Alphonse Juin, indéfectible soutien de la « cause » « Algérie française ». En 1973, la municipalité promeut un match de football Alger-Oran, au Stade municipal, avec les anciens joueurs européens de ces clubs. En liesse, le public chante « C’est nous les Africains ».
Par la suite, Alain Joissains (RPR, 1978-1983) – ancien commando des troupes de marines durant la guerre d’Algérie, ex-mari et conseiller le plus proche de l’actuel maire Maryse Joissains – donne à une place d’Aix le nom de Bachaga-Boualam.
Le Bachaga Boualam est dans l’imaginaire « Algérie française » le symbole de ce qui aurait pu permettre le maintien de la France en Algérie.
Puis vient Jean-Pierre de Peretti (UDF, 1983-1989) – ancien de l’armée de l’air durant la guerre d’Algérie.
Jean-François Picheral (PS, 1989-2001) – médecin militaire au sein de la Légion étrangère durant la guerre d’Algérie – crée la Maison Maréchal-Juin destinée aux associations pieds-noirs et harkis, notamment le Cercle algérianiste et l’Association pour le souvenir de l’Empire français. En 1994, il est à l’origine d’une reconstitution historique au Stade Carcassone intitulé « Retour à Sidi-Ferruch », lieu historique qui a vu le 14 juin 1830 le débarquement des forces françaises en Algérie, début de la conquête coloniale française de l’Algérie. Comme 20 ans plus tôt, la foule en liesse clôt la journée en chantant « C’est nous les Africains ». Jean-François Picheral est toujours sénateur.
Enfin vint Maryse Joissains-Masini (RPR-UMP, élue en 2001) – ancienne épouse d’Alain Joissains (qui est son directeur de cabinet et fidèle conseiller) –, cosignataire de la 695 du 5 mars 2003 qui devait devenir par la suite l’article 4 de la loi du 23 février 2005 reconnaissant “l’œuvre positive des Français en Algérie”. 5
Elle n’oublie jamais de fleurir monuments et autres mémoriaux.
Maryse Joissains-Masini l’humaniste
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Rappelez-vous, il y a quatre ans déjà, une quarantaine de parlementaires de l’UMP déposaient une proposition de loi visant à rétablir la peine capitale pour les terroristes. Parmi eux des députés des Bouches-du-Rhône avaient signé ce texte dont Maryse Joissains-Masini. La député-maire trouvait même ce texte trop mou et déclarait « si cela ne tenait qu’à moi j’étendrais ce projet aux assassins d’enfants ». Sur l’utilité d’une telle peine face aux risques terroristes Mme Joissains est claire ça ne sert à rien : « Je le sais bien, mais ce que je cherche, moi, c’est l’éradication. Ce ne sont pas des êtres humains, ils ne méritent pas de vivre », et de poursuivre « pas question pour moi de philosopher ».
Pourtant Madame la maire est une grande humaniste « La prison c’est la négation de tout dignité, c’est monstrueux. Je ne suis évidemment pas pour la guillotine. Aujourd’hui, il existe des moyens de retirer la vie de manière douce ». [La Provence, 12 juin 2004]
Les valeurs familiales
«La député-maire UMP d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini, a déposé une proposition de loi qui fera sûrement date7
. Cette copine de Chirac veut permettre aux chefs de Cabinet et autres dircabs des collectivités territoriales d’intégrer la fonction publique sans passer de concours. […]
«Elle propose simplement deux conditions à remplir pour accéder directo au statut d’attaché ou d’administrateur territorial : disposer d’un diplôme universitaire « consacrant un cycle d’étude » et avoir été membre d’un Cabinet pendant « cinq années consécutives ».
« Un pur hasard : c’est tout juste le profil de son époux Alain Joissains, son dircab à la mairie d’Aix-en-Provence depuis 2001, et de sa fille Sophie, sa chef de cab’ à la communauté du pays d’Aix depuis la même année.»
- L’information est confirmée sur le site internet du Figaro :
La plaque de la polémique à Aix
[ 06/06/2008 – 14:52 ]Le Collectif aixois des rapatriés vient de demander officiellement au député-maire (UMP) d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini, qu’une plaque soit apposée « en mémoire des morts de l’Algérie française ». Le président de l’association, Robert Saucourt, assure avoir d’ores et déjà obtenu « l’accord de principe » de l’élue. L’initiative risque de raviver les polémiques sur un sujet sensible. Car la formulation retenue, aux « morts de l’Algérie française », fait notamment référence aux membres de l’OAS condamnés à mort et fusillés en métropole.
- L’interview figure dans le dossier consacré le 29 mai 2008 (N° 2969) aux noms de rue à Aix-en-Provence. Cependant, le site internet de L’Express avait, dès le 21 mai, publié une brève : «Maryse Joissains, maire UMP d’Aix-en-Provence, envisage sérieusement de dédier une artère de sa ville à Jean-Marie Bastien-Thiry … »
- Il s’agit probablement de la place du Procureur-Général-Beljean, créée en 1997 par le maire socialiste Jean-François Picheral. Ce magistrat a été directeur du cabinet du ministre socialiste de la Justice Robert Badinter, en 1981, puis procureur général de la cour d’appel d’Aix de 1982 à 1987, au moment où Alain Joissains, mari du maire actuel, a été condamné en appel, à Lyon, pour une affaire de détournement de fonds, et radié du barreau.
- Référence: http://blogenrade.canalblog.com/archives/2008/01/29/7672040.html.
- Sur ce sujet, on lira avec profit cette page.
- Référence : http://blogenrade.canalblog.com/archives/2007/10/28/index.html.
- [Note de LDH-Toulon] – Il s’agit de la proposition de loi N° 2646, enregistréee à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2005, «visant à l’intégration directe
dans la fonction publique territoriale des directeurs ou des chefs de cabinet des collectivités territoriales ».
Référence : http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion2646.asp.