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Le petit journal - 2 juin 1895

Mars 1947 : Madagascar se révolte

Une insurrection de 21 mois noyée dans le sang. La répression coloniale française fera plusieurs dizaines de milliers de victimes - une des pages les plus noires de l'histoire de la Grande Île.
[Première mise en ligne, le 30 avril 2005,
mise à jour, le 29 mars 2007]

L’île (plus vaste que la France) était unifiée depuis le début du XIXe siècle, avant d’être conquise, non sans mal, par la France en 1895.

Le petit journal - 2 juin 1895
Le petit journal – 2 juin 1895

Le général Galliéni (gouverneur général de 1896 à 1903) déporte la reine Ranavalo et entreprend la « pacification » de l’île avec le colonel Lyautey.

Dans son désir d’accélérer le développement de l’île, il instaure le travail forcé et encourage la venue de colons européens. En réaction, les Malgaches rebelles forment des sociétés secrètes.

En mars 1946, deux jeunes députés malgaches, membres du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy, déposent sur le bureau de l’Assemblée Nationale à Paris, un projet de loi demandant l’indépendance de l’île dans le cadre de l’Union française. Vincent Auriol, alors président de l’Assemblée, refuse de faire imprimer ce texte car « c’était un acte d’accusation contre la France et, en somme, un appel à la révolte ». Le projet de loi est repoussé.

Aux élections législatives suivantes de novembre 1946, les trois sièges du second collège (réservés aux « indigènes »), sont remportés par les dirigeants du MDRM, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara.

En 1947, la Grande Île compte 4 millions d’habitants dont 35 000 Européens. C’est une colonie française dotée d’une assemblée élue, aux pouvoirs limités. Le refus obstiné des autorités françaises de modifier un tant soit peu le joug pesant sur les populations provoqua une révolte nationaliste.

L’insurrection de 1947

Le 29 mars 1947, l’île se soulève. L’administration n’est pas prise au dépourvu mais elle n’a rien fait pour empêcher l’insurrection.

A Diego-Suarez, Fianarantsoa et Tananarive, les insurgés sont tenus en échec. Ailleurs ils remportent des succès avant d’être refoulés. Des plantations européennes isolées sont attaquées.

La répression est impitoyable. Dès le mois d’avril, les autorités envoient à Madagascar un corps expéditionnaire de 18 000 hommes – essentiellement des troupes coloniales ; il sera porté à 30 000 hommes. L’armée française opère une répression aveugle : exécutions sommaires, torture, regroupements forcés, incendies de villages.
Elle expérimente une nouvelle technique de guerre « psychologique » : des suspects sont jetés vivants d’un avion afin de terroriser les villageois de leur région.

Convoi militaire français, à Madagascar, le 25 septembre 1947 (AFP).
Convoi militaire français, à Madagascar, le 25 septembre 1947 (AFP).

La lutte va se poursuivre dans l’Est du pays, où deux zones de guérilla résistent dans la forêt pendant plus de 20 mois.

En métropole, quelques journaux parlent du soulèvement mais le gouvernement et l’ensemble des organes de presse minimisent son importance et ne disent rien de la répression.

En vingt mois, selon les comptes officiels de l’état-major français, la «pacification» a fait 89 000 victimes chez les Malgaches. Les forces coloniales perdent quant à elles 1 900 hommes. On relève aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires.

Dès le début, le gouvernement de Paul Ramadier avait fait porter la responsabilité de l’insurrection sur les trois parlementaires malgaches du MDRM.
Les trois jeunes parlementaires, informés du projet d’insurrection, avaient diffusé dans les villages un télégramme demandant instamment à chacun d’éviter les violences. Leur appel était resté sans effet, mais pour gouvernement français ce télégramme était en fait un texte codé qui signait leur « crime ». Leur immunité parlementaire ayant été levée, ils sont arrêtés et torturés. La justice française les jugera coupables, retenant la thèse du complot du MDRM. Deux d’entre-eux seront condamnés à mort, avant d’être finalement grâciés.

En date du 10 juillet 1947, le président de la République, Vincent Auriol, écrivait : « Il y a eu évidemment des sévices et on a pris des sanctions. Il y a eu également des excès dans la répression. On a fusillé un peu à tort et à travers ».

Ils ont sauvé l’honneur

Albert Camus avait protesté dans un article de Combat du 10 mai 1947 1. Constatant que « nous faisons ce que nous avons reproché aux Allemands de faire« , il poursuivait :

« si, aujourd’hui, des Français apprennent sans révolte les méthodes que d’autres Français utilisent parfois envers des Algériens ou des Malgaches, c’est qu’ils vivent, de manière inconsciente, sur la certitude que nous sommes supérieurs en quelque manière à ces peuples et que le choix des moyens propres à illustrer cette supériorité importe peu. »

Cette même année 1947, Paul Ricoeur écrivit un texte essentiel intitulé « La question coloniale » 2. On y lit notamment :

« L’appétit forcené et souvent prématuré de liberté qui anime les mouvements séparatistes est la même passion qui est à l’origine de notre histoire de 1789 et de Valmy, de 1848 et de juin 1940.« ,

Il faut relire le résumé que Paul Ricoeur a donné de son argumentation :

• la colonisation a pour fin la liberté des indigènes ;

• la faute originelle de la colonisation précède toutes les agressions unilatérales des indigènes ;

• l’exigence, même prématurée de liberté, a plus de poids moral que toute l’œuvre civilisatrice des pays colonisateurs ;

• le racisme est le vice des Français aux colonies ;

• ce sont des minorités qui représentent la conscience naissante des peuples colonisés.

Quel a été le nombre des victimes de la répression ? 3

Les chiffres cités à l’époque devant l’Assemblée nationale parlaient de 80 000 morts, une estimation qui sera reprise par les spécialistes comme Jacques Tronchon. Encore récemment, l’écrivain Claude Simon évoquait « Madagascar, dont on a longtemps caché qu’on y a tué, en 1947, 100 000 indigènes en trois jours« .

Le problème est que ces chiffres seraient faux, selon les dernières estimations de certains historiens. Maître de conférences à Paris-I- Sorbonne, Jean Fremigacci affirme, comme d’autres historiens, que le nombre de personnes tuées lors de l’insurrection n’a pas dépassé les 10 000 (dont 140 Blancs), auquel il convient d’ajouter le nombre de Malgaches morts de malnutrition ou de maladie dans les zones tenues par les insurgés.

« Cette surmortalité reste encore très difficile à évaluer, l’hypothèse la plus vraisemblable tournant autour de 20 000 à 30 000 morts » , écrit M. Fremigacci. Il n’y a pas eu de « génocide oublié » à Madagascar, conclut l’historien, mais une faute des dirigeants politiques qui, à Paris, se sont révélés incapables d’éviter un drame annoncé.

« 40 000 ou 89 000 morts, cela change peu la force du traumatisme »

par Françoise Raison-Jourde, professeur émérite d’histoire à l’université Paris-VII4

[Le Monde du 29 septembre 2007]
  • Nous nous apprêtons à célébrer le 60e anniversaire de l’insurrection malgache de 1947. Comment expliquez-vous la dureté avec laquelle la France a écrasé l’insurrection malgache ?

La crise indochinoise qui éclate en décembre 1946 a joué un rôle. S’y ajoute le fait que Madagascar, où vivaient des milliers de créoles « petits Blancs », fonctionnait comme soupape pour la Réunion. Enfin cette île immense était pauvre mais prestigieuse.

La répression n’a pas été aussi impitoyable que celle d’Algérie, qui fut autrement organisée et terrible. Les Malgaches de l’Est ont d’abord été poussés à bout. En réaction, ils ont monté l’équivalent d’un maquis. La réaction française s’est faite en plusieurs temps, d’abord avec trop peu de troupes au moment de l’insurrection, puis avec des troupes mal armées et mal disposées, enfin avec une « guerre de fantassins », comme en 14. A Madagascar, c’est le nombre des morts de civils réfugiés en forêt, frappés par la faim et les maladies, qui est le pire.

  • Il existe une polémique à propos du nombre de morts lors de l’insurrection et de la répression qui s’en est suivie. Combien y a-t-il eu de victimes ?

Le nombre donné par l’historien Jean Fremigacci dans un numéro récent du magazine L’Histoire paraît correct à notre milieu de spécialistes : 30 000 à 40 000 morts au lieu des 89 000 annoncés à l’époque par le haut commissaire de Madagascar. Ce chiffre avait l’avantage de terroriser les Malgaches. Aujourd’hui, les vieilles élites bourgeoises des Hautes Terres s’accrochent à ces chiffres. Mais que ce soit 40 000 ou 89 000, cela change peu la force du traumatisme…

  • On a parfois évoqué un « complot des parlementaires » (députés malgaches et élus au Conseil de la République), partisans de l’indépendance de l’île sous l’impulsion du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM). Quel est votre sentiment ?

On s’accorde aujourd’hui pour dire qu’il n’y a eu complot ni de l’administration ni des parlementaires malgaches. Ceux-ci ont été chargés au maximum à leur procès, en juillet 1948. Ils ont nié avoir eu une responsabilité dans ces violences qui les ont horrifiés, et ont donc accusé la base. Ils se sont aussi soupçonnés entre eux, après avoir subi interrogatoires et violences. Une large partie du traumatisme vient de ce divorce entre tête du MDRM (citadine, lettrée) et la base.

[Propos recueillis par Gaïdz Minassian]

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  1. Article repris dans Actuelles I.
  2. Article publié dans Réforme le 20 septembre 1947.
  3. Extrait de l’article de Jean-Pierre Tuquoi, dans Le Monde du 23 juillet 2005.
  4. Françoise Raison-Jourde est professeur émérite d’histoire à l’université Paris-VII, auteure avec Pierrot Men de « Madagascar, la grande île secrète », éd. Autrement.
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