
Le 28 mai 2025, à l’émission « Le cours de l’histoire » de Laurent Mauduit sur France culture, Malika Rahal est revenue sur ce qu’elle a voulu faire dans son livre, Mille histoires diraient la mienne, publié aux éditions de l’EHESS, sur ses origines, son enfance, sa famille et son apprentissage du métier d’historienne.
Ecouter « Le cours de l’histoire » avec Malika Rahal
- Malika Rahal, historienne, directrice de recherche au CNRS et directrice de l’Institut d’histoire du temps présent
Présentation de l’émission sur le site de France culture
Dans Mille histoires diraient la mienne. L’historienne, les témoins et leurs récits, Malika Rahal se prête au jeu de l’ego-histoire, telle que l’a définie l’historien Pierre Nora en 1987 dans l’ouvrage collectif Essais d’ego-histoire : « Expliciter, en historien, le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire qui vous a fait. » Malika Rahal en propose une version plus personnelle et littéraire, qu’elle rapproche de l’autobiographie. L’enjeu est de savoir d’où parle l’historienne et de s’imposer la même exigence que celle qu’elle impose aux témoins qu’elle interroge dans le cadre de ses recherches. L’histoire du temps présent est en effet largement basée sur le recueil de témoignages, de souvenirs, et en tant que telle laisse une certaine place à l’émotion et au récit de soi. L’exercice ego-historique ou autobiographique semble donc tout indiqué pour une historienne du temps présent. « Je suis issue d’une famille très bizarre, avec une branche du Nebraska, une branche d’Algérie, et beaucoup d’oncles et tantes qui racontent souvent les mêmes événements, mais avec chacun leur expérience différente. [Ce sont] des histoires que j’ai entendues raconter au fil du temps, dans des versions qui ont évolué. Finalement, j’ai expérimenté des choses en famille avant de les apprendre d’une façon théorique, notamment le fait qu’on n’est pas obligé de chercher le vrai et le faux, de déterminer là où les gens se trompent ou mentent. On peut s’intéresser à la façon dont ils déforment une histoire au fil du temps, car cela nous renseigne sur l’époque où l’on est et sur les motivations du moment du récit », constate l’historienne.
Lauragais, Algérie et Nebraska
Malika Rahal est née en 1974 à Toulouse dans une famille d’immigrés atypique, algérienne par son père, Abdelkader Mohieddine Rahal, et états-unienne par sa mère, Sheryl Ann Ehlers. Côté paternel, la famille Rahal est aisée et cultivée, et gravite autour de la ville de Nedroma, à l’ouest de l’Algérie. La figure de son père, mort en 1989, occupe une place importante dans Mille histoires diraient la mienne : surnommé « l’Indien », en référence à un programme de radio libre qu’il anime dans les années 1980, il développe une pensée politique et engagée, tiers-mondiste et anticolonialiste. Quant à l’oncle de Malika Rahal, Zoheir, il marque l’histoire familiale par son statut de martyr disparu de l’Armée de libération nationale (ALN).La branche maternelle de la famille de Malika Rahal descend de colons européens protestants installés dans le Nebraska aux États-Unis. Ses grands-parents y tiennent une ferme. Enfant, elle passe régulièrement des vacances dans cette exploitation, en alternance avec l’appartement algérois de ses grands-parents paternels. Ce n’est que plus âgée qu’elle s’interroge sur l’héritage colonial de l’histoire de sa famille maternelle. L’historienne parle d’une « identification contradictoire » dans le Nebraska, où elle entretient des liens d’affection avec la population de pioneers tout en s’identifiant spontanément aux Amérindiens : « Pour moi, l’identification éthique et politique était avec les Indiens, d’une part, et les Africains-Américains, de l’autre. […] Il ne s’agissait pas de revendiquer une identité qui n’était pas la mienne ou de me l’approprier indûment, mais de m’associer à leur histoire, à leur oppression. »
Objets, épices, tissus, corps, photographies, archives familiales, lieux, musique et langues… Pour raconter l’histoire et la culture qui lui ont été transmises, Malika Rahal dessine une cartographie sensible qui englobe d’un même mouvement sa famille et l’histoire de la guerre froide, de l’indépendance algérienne, et les années 1980 dans un petit village français du Lauragais.
Le métier d’historienne du temps présent
Après des études d’histoire et de sociologie à Bordeaux, Malika Rahal devient professeure d’histoire dans le secondaire, en Seine-Saint-Denis. Parallèlement, elle étudie l’arabe, langue que son père ne lui a pas transmise, et entame une thèse d’histoire sur l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) sous la direction de Benjamin Stora, qu’elle soutient en 2007 à l’INALCO. Au cours de ces années de recherche et de formation, elle fait plusieurs voyages en Algérie pour recueillir des témoignages. Dans sa pratique d’historienne du temps présent, qu’elle définit comme « ce temps dont les témoins et acteurs sont encore en vie », Malika Rahal se penche constamment sur les liens entre les vivants et les morts : quand les vivants peuvent nous renseigner sur les morts, les morts continuent à influer sur les vivants. De même, le travail de l’historienne du temps présent a un impact sur la façon dont l’histoire se raconte : « Le fait d’écrire et d’enquêter modifie les rapports entre les témoins » et suscite des récits inédits, observe l’historienne.
Pour en savoir plus
Malika Rahal est historienne, directrice de recherche au CNRS et directrice de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP). Elle est spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie.
Ses publications :
- Mille histoires diraient la mienne. L’historienne, les témoins et leurs récits, Éditions de l’EHESS, 2025
- Algérie 1962. Une histoire populaire, La Découverte, 2022
- L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du nationalisme algérien, Barzakh, 2017
- Ali Boumendjel : une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, 2010 / Barzakh, 2011