Amnesty international : les violations des droits humains se sont multipliées depuis l’intervention de la France, il y a cinq mois
Amnesty International publie un nouveau document sur la situation au Mali : des civils font partie des dizaines de personnes torturées, tuées et victimes de « disparitions », notamment en détention, depuis le lancement de l’intervention militaire française au Mali il y a cinq mois
Intitulé “Mali. Conclusions préliminaires d’une mission de quatre semaines. Atteintes graves aux droits humains”, ce document est diffusé à la veille du déploiement par les Nations unies d’une force de maintien de la paix au Mali le mois prochain. Il est le fruit d’une mission de recherche effectuée en mai et juin dans le pays.
Le bilan des forces de sécurité maliennes en ce qui concerne les droits humains depuis janvier est tout simplement déplorable. Elles continuent à porter atteinte à ces droits sans sembler craindre d’avoir à rendre des comptes.
Veiller à ce que tous les responsables présumés de violations des droits humains rendent des comptes devant la justice ne sera pas une tâche aisée, mais cela est indispensable à la stabilisation durable et à la renaissance d’un pays déchiré par le conflit depuis plus de 18 mois.
Alors que le déploiement de la mission de stabilisation des Nations unies au Mali approche, il est essentiel de veiller à ce que l’armée malienne et toutes les autres forces armées concernées respectent et protègent les droits humains, afin que les habitants du nord du pays puissent être rassurés quant à leur sécurité.
chercheur à AI, membre de la mission actuellement sur place
Lors de la mission de recherche, Amnesty International a recensé des dizaines de cas de détenus torturés ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements après avoir été arrêtés en raison de leurs liens présumés avec des groupes armés. L’organisation a également relevé plus de 20 cas d’exécution extrajudiciaire ou de disparition forcée.
Les délégués d’Amnesty International ont pu parler à plus de 80 des 200 personnes détenues dans la capitale Bamako, dont un grand nombre ont été inculpées d’actes de terrorisme et d’autres infractions.
Beaucoup ont dit avoir été torturées ou maltraitées, et plusieurs se seraient vu refuser des soins médicaux. Un certain nombre de ces détenus portaient des marques et des cicatrices de brûlures et de coupures – notamment sur le dos, le torse et les oreilles.
Au moins cinq détenus sont morts en avril 2013, la plupart en raison, semble-t-il, des épouvantables conditions de détention et de privations de soins médicaux.
Akassane Ag Hanina a été appréhendé dans la ville de Tombouctou et est arrivé le 4 avril 2013 à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, où il est mort sept jours plus tard. Avant sa mort, il avait dit à d’autres détenus que des soldats l’avaient roué de coups à Tombouctou.
Lorsque les délégués d’Amnesty International se sont rendus dans ce centre de détention, plusieurs enfants soldats, dont certains âgés de 13 ans seulement, étaient incarcérés avec des adultes.
Les autorités maliennes ont reconnu que des violations des droits humains avaient été commises, et assuré que plusieurs cas faisaient actuellement l’objet d’enquêtes, mais personne n’a jusqu’à présent été déféré à la justice.
Amnesty International est par ailleurs préoccupée par le fait que l’armée française, ainsi que les troupes de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine déployée par les pays d’Afrique de l’Ouest (MISMA) – comprenant notamment des soldats tchadiens et nigériens – ont remis des prisonniers aux autorités maliennes alors qu’elles savaient ou auraient dû savoir que ces détenus risquaient d’être torturés ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements.
Au cours de la mission, les délégués d’Amnesty International ont par ailleurs recueilli des témoignages concernant des enlèvements et des homicides arbitraires commis par le Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), un groupe armé d’opposition ; les victimes étaient des civils accusés d’avoir soutenu les forces françaises et maliennes.
Des groupes armés d’opposition, parmi lesquels le MUJAO et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un groupe armé touareg, ont en outre été accusés d’avoir agressé sexuellement des femmes et des jeunes filles, et d’avoir utilisé des enfants pour porter des armes, surveiller des postes de contrôle et cuisiner. Des mineurs ont également été envoyés sur les lignes de front.
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HRW : Les rebelles touaregs et les militaires ont commis de nouvelles exactions
« Les exactions commises récemment par les deux camps et la reprise des combats près de Kidal mettent en évidence la nécessité urgente que les militaires maliens et les combattants rebelles respectent les lois de la guerre, minimisent les dommages subis par les civils et s’assurent que les prisonniers soient traités humainement. Les civils des deux côtés de la fracture ethnique ont déjà suffisamment souffert. »
chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest
De nouvelles exactions commises par les rebelles touaregs et les militaires de l’armée malienne constituent un revers pour la protection des droits humains dans le nord du Mali, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 5 juin 2013, l’armée nationale malienne a lancé une offensive militaire pour reprendre le contrôle de la région de Kidal.
Les 1er et 2 juin, les forces du Mouvement national touareg pour la libération de l’Azawad (MNLA),qui contrôlent toujours certaines zones de la région de Kidal, ontarrêté arbitrairement une centaine de personnes, dont la plupart étaient des hommes à la peau plus sombre appartenant à des groupes ethniques non touaregs. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les forces du MNLA avaient dévalisé, menacé et, dans de nombreux cas, violemment brutalisé ces hommes.
Depuis le début du mois de mai, les militaires maliens ont commis de graves exactions, notamment des tortures, contre au moins 24 hommes, rebelles présumés ou simples villageois, dans la région de Mopti, selon des récits de témoins et de victimes recueillis par Human Rights Watch. La majorité de ces personnes étaient des Touaregs ou des Bellahs, une caste touarègue.
«Les exactions commises récemment par les deux camps et la reprise des combats près de Kidal mettent en évidence la nécessité urgente que les militaires maliens et les combattants rebelles respectent les lois de la guerre, minimisent les dommages subis par les civils et s’assurent que les prisonniers soient traités humainement», a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. «Les civils des deux côtés de la fracture ethnique ont déjà suffisamment souffert.»
Les autorités maliennes devraient accélérer le redéploiement de gendarmes, de policiers et de personnels du ministère de la Justice dans toute la région nord du pays afin de dissuader les militaires gouvernementaux de commettre des abus, a déclaré Human Rights Watch. Le MNLA devrait, quant à lui, mettre fin aux exactions contre les civils et faire rendre des comptes à ceux qui en ont commis.
Kidal est la seule région du Mali dont le gouvernement n’a pas totalement récupéré le contrôle à la suite de l’opération militaire menée par la France en janvier, qui a permis de chasser les rebelles armés et les groupes islamistes du nord du pays. Depuis mai, l’armée nationale malienne semblait s’apprêter à reprendre la ville de Kidal, avant les élections prévues pour le mois de juillet. L’armée a effectué des patrouilles et d’autres opérations militaires dans toute la région du nord, où la situation en matière de sécurité demeure précaire en raison d’infiltrations régulières par des groupes islamistes armés, ainsi que du banditisme.
Les exactions commises récemment dans le nord du Mali et la reprise des combats pourraient exacerber encore les tensions ethniques qui sont déjà fortes, à l’approche des élections de juillet, a averti Human Rights Watch. Le gouvernement a déclaré que Kidal devait repasser sous son contrôle avant les élections, et le MNLA a affirmé qu’il reprendrait le combat si l’armée malienne tentait de reprendre Kidal. Des négociations pour trouver une solution politique et sortir de l’impasse à Kidal sont en cours. Human Rights Watch avait récemment appelé toutes les parties belligérantes à respecter les lois de la guerre au cas où l’armée nationale malienne lancerait une offensive contre les groupes armés d’opposition dans la région de Kidal.
Une meilleure protection des civils, ainsi que des mesures fermes de la part du gouvernement malien pour enquêter sur les exactions commises par les deux camps et poursuivre leurs auteurs en justice, sont des conditions essentielles à une amélioration de la situation en matière de droits humains dans le nord du Mali, a affirmé Human Rights Watch.
« Le Mali est confronté à de réelles menaces sécuritaires, mais brutaliser des détenus et des civils n’est pas un bon moyen d’y faire face », a conclu Corinne Dufka. « Le commandement militaire devrait honorer ses engagements à amener les soldats ayant commis des actes illégaux à rendre des comptes et à contenir cette vague d’indiscipline dans la région de Mopti ».