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“maison de l’histoire de France” : un projet dangereux

La décision de Nicolas Sarkozy, d'installer en 2012 la “Maison de l'histoire de France” sur le site parisien des Archives nationales est critiquée par de nombreux universitaires et chercheurs qui dénoncent un projet dangereux reposant sur une vision étriquée et rétrograde inacceptable. Ils condamnent cette «vitrine historique de la supposée identité nationale» et dénoncent «une histoire centrée avant tout sur l'État-nation et les grands hommes». Ils appellent en conséquence à la suspension du projet où Vincent Duclert voit un avant-poste de la présidentielle...

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La Maison de l’histoire de France est un projet dangereux

[Tribune publiée dans l’édition daté du 22 octobre 2010 du Monde]

Un projet de musée, une volonté de diffusion des connaissances historiques… Assurément, vus de loin, de tels engagements, qui laissent croire à la découverte du passé, ne peuvent que susciter la sympathie et un intérêt de principe. Pourtant la Maison de l’histoire de France dont Nicolas Sarkozy vient d’annoncer, dans son discours des Eyzies (prononcé en septembre), qu’elle doit prendre place aux Archives nationales est un projet dangereux.

Ce danger découle de trois options hautement contestables : celle d’une France étriquée, celle du discours rétrograde qui sous-tend la Maison de l’histoire de France, et enfin, celle résultant du lieu d’implantation.

Une France étriquée. Il paraît bien surprenant aujourd’hui de vouloir limiter le projet d’un grand musée d’histoire du XXIe siècle à la seule « histoire de France ». Alors que la « mondialisation » des économies et des sociétés ne cesse d’être évoquée comme une contrainte pour l’ensemble des Etats-nations, comment imaginer qu’un musée d’histoire du XXIe siècle ne donne pas à cette échelle une place centrale pour aider les citoyens à se repérer dans un espace large, dans son historicité ?

L’Europe et ses prolongements sont intrinsèquement liés à l’histoire française depuis plusieurs siècles. Surtout, les développements récents ont montré combien la construction de cet espace politique suscitait d’interrogations, de méfiance et de rejet.

Comment penser une « maison de l’histoire » sans travail sur la notion d’Europe, sur ses inflexions, constructions et variations, de même que ses impensés. Le décalage est grand entre les pratiques et objets de l’histoire telle qu’elle s’écrit aujourd’hui : histoire des rencontres, des connexions, des métissages et le cadre historiquement daté du projet, qui redouble une vision idéologique, celle de l’Etat-nation se légitimant par l’histoire. Tout cela ne correspond pas à une exigence de recherche historique.

La seule justification à limiter une « maison de l’histoire » à la France tient dans la continuité du discours néonational du pouvoir : une telle maison serait en quelque sorte la vitrine historique de la supposée « identité nationale » dont l’incantation ne cesse de mobiliser les esprits depuis 2007 avec des implications terribles pour les plus vulnérables et déshonorantes pour ceux qui leur donnent réalité.

La vitrine historique de l' »identité nationale ». Si l’échelle privilégiée est celle d’une France rabougrie, c’est, en conséquence, moins le résultat d’une réflexion pédagogique, savante et critique que de la mise en place d’un projet fondé sur la peur de l’autre et que le pouvoir exprime dans un mouvement de repli sur soi.

A une pseudo-« crise identitaire » du pays, un remède tout aussi « identitaire » est supposé nécessaire : une injection rassurante de roman national. Il suffit de lire les rapports (Lemoine 1 et 2, 2008, Hébert, 2010) qui ont préparé le projet de musée, pour y trouver cet appel à une histoire centrée avant tout sur l’Etat-nation et les grands hommes, à la recherche de « l’âme » et des « origines » de la France.

Si l’on doutait des enjeux idéologiques, la lettre de mission envoyée le 31 mars 2009 par Nicolas Sarkozy et François Fillon au nouveau ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, Eric Besson, ôterait toute hésitation. Elle comporte une section titrée « La promotion de notre identité nationale doit être au coeur de votre action ». Il y est clairement précisé que le ministère de l’identité nationale prendra part à la mise en place du musée.

Un lieu en danger. Le lieu finalement choisi, après de nombreuses propositions et discussions, est le site des Archives nationales au coeur du Marais, à Paris. Si tant est que les remarques précédentes amènent encore à vouloir discuter d’un lieu éventuel, il faut alors souligner combien une telle implantation se ferait au détriment des politiques de développement actuel des archives qui ont tant besoin de cet espace.

Or les archives sont un des instruments de l’établissement d’une histoire qui ne soit pas le seul déploiement, plus ou moins habile, des discours souhaités par les pouvoirs. Enfin, n’y a-t-il pas d’autres lieux pour exposer l’histoire que les hôtels princiers, alors que tant d’espaces du travail rappelleraient plus aisément que l’histoire est aussi faite de « vies minuscules », des hommes et des femmes ordinaires dont le quotidien et l’héritage légué à notre époque fut bien autre chose que la seule construction de l’Etat-nation et les souffrances imposées par l’histoire-bataille ?

Les soussignés appellent donc à la suspension de ce projet tant qu’il n’est pas repensé dans un esprit d’ouverture en prise avec une recherche historique de notre temps.

Isabelle Backouche (EHESS)

Christophe Charle (université de Paris-I),

Roger Chartier (Collège de France),

Arlette Farge (EHESS),

Jacques Le Goff (EHESS),

Gérard Noiriel (EHESS),

Nicolas Offenstadt (université de Paris-I),

Michèle Riot-Sarcey (université de Paris-VIII),

Daniel Roche (Collège de France),

Pierre Toubert (Collège de France).

La Maison de l’histoire de France, l’avant-poste de la présidentielle ?

[Tribune publiée le 22 octobre 2010 sur LeMonde.fr]

Comme d’autres réformes de la présidence de Nicolas Sarkozy, le projet de Maison de l’histoire de France se saisit d’un impensé national. Mais il l’aggrave en lui imposant des solutions brutales et définitives. Au départ ont été posés, dans les rapports d’Hervé Lemoine, de Jean-Pierre Rioux et de Jean-François Hébert, le constat d’une absence de musée central pour l’histoire de France et la nécessité d’en instituer un. Le président de la République fit sien ce défi. Le communiqué du ministère de la culture du 12 septembre précisa les axes du futur établissement : fédérer neuf musées nationaux d’histoire à caractère spécialisé, et implanter sur le site des Archives nationales à Paris un grand équipement muséographique dédié à l’histoire de France fonctionnant comme une institution « tête de réseau ».

Depuis cette annonce, la contestation n’a cessé de grandir, du côté d’historiens et d’enseignants contestant les logiques idéologiques aussi bien que la faisabilité technique du projet, et du côté d’archivistes et de personnels des archives refusant que le lieu historique de conservation et de communication formé par le quadrilatère des palais de Soubise et Rohan soit détourné d’une fonction archivistique encore réaffirmée avec le redéploiement des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine.

Il est nécessaire à ce stade de clarifier un dossier complexe et d’accepter une part d’humilité. Car le vide comblé par le projet présidentiel découle aussi d’une certaine impuissance à penser la représentation que pourrait prendre, hors de l’école ou de la recherche, l’histoire conçue comme connaissance du passé, mise en forme de la mémoire, anthropologie des archives, pratique intellectuelle, épreuve de vérité. On est loin, avec la Maison de l’histoire de France, de ces déclinaisons pourtant essentielles.

Il est en effet problématique d’avancer, comme le fait le ministère de la culture, que «le temps de la réflexion et de la concertation des historiens» a été ouvert par la séquence des trois rapports et clôt par la décision de la Maison de l’histoire de France. Seul, des trois rapporteurs, Jean-Pierre Rioux est historien. Des historiens ont été consultés, mais en nombre limité et la restitution de leur point de vue est lacunaire. Surtout, et c’est le point décisif, les rapports ne s’interrogent pas (ou très peu) sur cette énigme d’une nation pénétrée d’histoire au point d’en devenir une sorte de conservatoire vivant, pourvue de plus de 10 000 musées et « collections » s’intéressant au passé historique, artistique ou archéologique, et dans le même temps sans lieu muséographique central. Cette « décentralisation » profonde, couplée à la fonction d’éducation à l’histoire du réseau scolaire, méritait une véritable analyse. En lieu et place, des rapports d’auteurs soumis, pour H. Lemoine et J.-F. Hébert, à l’autorité administrative et politique. On ne peut pas fonder un projet muséographique d’histoire sur une telle dépendance. Qui plus est, fatalement, à l’égard de l’idéologie particulière d’un président de la République hanté par une volonté de dicter à la société une conception de l’histoire où la critique, taxée de « repentance » est bannie, où le lien social et politique que démontre l’attachement individuel et collectif au passé disparaît sous l’offensive récurrente de l' »identité nationale » et du sécuritaire anti-immigrés. On ne bâtit pas une nation sur le rejet de l’étranger alors même que celui-ci est constitutif du national.

LE TEMPS DE L’HISTOIRE

Il est problématique d’affirmer aussi que les Archives nationales « continueront à se développer » dans une configuration où cette future « Maison », venant se greffer sur ses missions à Paris, risque de les perturber gravement. Et d’interrompre, sur ce site même, une expérience originale d’histoire et d’archives vieille de près de cent-cinquante ans (avec la création du Musée des archives en 1867 devenu le Musée de l’histoire de France), marquée par d’indéniables succès scientifiques et populaires comme les grandes expositions des années 1990 – dont celle du bicentenaire de la naissance de la République. Mais les Archives nationales et l’ancienne direction des Archives de France n’ont pas toujours eu le souci de valoriser ces acquis et d’en montrer la cohérence. Si bien qu’aujourd’hui il n’existe pas, publiquement, d’alternative à la Maison de l’histoire de France. Les personnels et les institutions d’archives paient ici la marginalité dans laquelle ils ont été tenus depuis longtemps. Pourtant, une organisation pensée de l’espace et du savoir aurait permis d’articuler les deux projets – à condition toutefois que l’un et l’autre se fondent sur une logique scientifique, celle qui a prévalu dans les réussites muséographiques de ces dernières décennies comme l’Historial de la grande guerre de Péronne ou le Musée d’histoire contemporaine de la BDIC à Paris.

Avec la Maison de l’histoire de France et le calendrier de ses premières réalisations «dès la fin de l’année 2011», Nicolas Sarkozy et ses conseillers installent un avant-poste de la présidentielle. Une telle fonction augure mal de la réussite d’un projet qui demande au contraire de la liberté et du temps. Le temps de l’histoire surtout.

Vincent Duclert, historien1

  1. Vincent Duclert est l’auteur de L’avenir de l’histoire (Armand Colin, 2010) et de Les archives (avec Sophie Coeuré, La Découverte, 2001).
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