Un édito rédigé par Malik Salemkour, vice-président de la LDH, pour le Collectif Romeurope, en réaction à la décision du gouvernement français de maintenir pendant deux ans les discriminations envers les Roms roumains et bulgares :
Mesures transitoires : maintien d’une scandaleuse discrimination
En réponse à une question orale au Sénat1, le Gouvernement a enfin reconnu le 17 janvier avoir informé la Commission européenne de sa décision de reconduire pour deux ans, jusqu’au 31 décembre 2013, les mesures transitoires qui restreignent l’accès à l’emploi en France des ressortissants roumains et bulgares.
Le Collectif Romeurope avec les principales organisations syndicales
avaient saisi le Premier ministre pour connaître ses intentions, en démontrant l’inutilité et les effets pervers de ce dispositif injuste et demandant d’y mettre fin. Aucune réponse officielle ne nous est parvenue encore à ce jour.
Toutes les instances européennes avaient invité les 10 derniers Etats à les abroger. A plusieurs reprises, le Parlement européen comme la HALDE à l’époque ont dénoncé leur caractère discriminatoire entre Européens. La Commission européenne elle-même a établi un rapport en novembre 2011 qui prouve que la liberté de circulation de ces travailleurs avait eu un impact positif sur la croissance et était neutre sur la situation du chômage des pays qui ont ouvert leur marché de l’emploi aux Roumains et Bulgares.
Hélas, en catimini, le Gouvernement a décidé d’ignorer tous les arguments de raison avancés et continue de stigmatiser de manière mensongère ces citoyens européens:
« Ce régime transitoire a été maintenu pour les années 2012 et 2013 en raison de la conjoncture économique, des perspectives d’accroissement du taux de chômage et du taux de chômage déjà élevé des ressortissants roumains, lequel s’établit à 14 %, contre 9 % pour l’ensemble de la population. « 1
La mise en avant du taux de chômage des Roumains relève d’une manipulation inacceptable.
Ce taux est justement élevé du fait de ces mesures transitoires. Trop nombreux sont les Roumains, comme les Roms déjà présents en France, qui ne peuvent accéder à un titre de séjour parce que par exemple les emplois de services, les CDD, l’intérim leur sont interdits. Ouvrir tous les métiers dans les mêmes conditions que les autres Européens augmenterait naturellement leur taux d’emploi.
Se servir de la conjoncture économique est irrecevable.
Comment oser utiliser cet argument alors que l’Italie qui connaît une situation sociale bien plus dramatique vient elle au contraire d’abandonner toutes restrictions à leur marché du travail.
Le raisonnement du Gouvernement témoigne d’une défiance stigmatisante envers les Roumains et Bulgares. Une peur injustifiée de l’invasion, de grandes migrations infra européennes que rien ne justifie. Cela n’est constaté dans aucun des pays de l’Union qui n’ont pas posé de telles restrictions. De même, la liberté de circulation et d’accès à l’emploi en France des Polonais, des Hongrois ou encore des Slovènes n’a pas conduit à une arrivée massive sur notre territoire. Considérer que cela serait le cas avec les Roumains et les Bulgares témoignent de la part du Gouvernement de préjugés discriminatoires indignes, que l’on constate régulièrement dans la logique de bouc émissaires qui frappe les Roms ressortissants de ces deux pays.
La défense des Roms migrants présents en France est un combat pour l’égalité, pour une France moteur d’une Europe sociale sans discrimination, bien loin de ce que met en oeuvre ce Gouvernement…
Le 23 (?) janvier 2012
Vice président de la LDH
Lettre ouverte adressée au premier ministre le 21 décembre 2011 pour lui demander de mettre fin aux mesures transitoires discriminatoires visant les ressortissants roumains et bulgares :
A l’attention de :
– M. François FILLON, Premier Ministre
– M. Claude GUÉANT, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration
– M. Xavier BERTRAND, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé
– M. Jean LEONETTI, ministre auprès du Ministre d’Etat des Affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes
Paris, le 21 décembre 2011
Objet : Demande de levée immédiate des mesures transitoires imposées aux ressortissants roumains et bulgares
Le premier janvier 2007, la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’Union Européenne. Leurs ressortissants bénéficient donc en théorie des mêmes droits que les autres citoyens européens et notamment de l’un des piliers de la construction de l’Europe : la liberté de circulation et d’installation.
En théorie seulement, car les traités d’adhésion de la Roumanie et de la qBulgarie à l’Union Européenne prévoient la possibilité pour les Etats membres de déroger temporairement au droit communautaire et de restreindre l’accès au marché du travail des ressortissants de ces nouveaux pays membres.
Plusieurs États européens ont décidé de lever totalement les restrictions d’accès à leur marché du travail, d’autres l’ont ouvert seulement partiellement notamment pour certaines qualifications. Aujourd’hui dix Etats membres maintiennent des mesures transitoires, dont la France.
Ainsi, les Roumains et Bulgares, pourtant européens, se voient appliquer en pratique la même réglementation que les étrangers ressortissants de pays tiers à l’Union européenne : ils doivent, pour occuper un emploi salarié, demander une autorisation de travail auprès de la DDTEFP (Direction du travail de l’emploi et de la formation professionnelle) et solliciter un titre de séjour auprès de la préfecture. A ceci s’ajoute le paiement d’une taxe par l’employeur à l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) qui s’élève à 50% du premier salaire versé, soit plus de 500 euros pour un contrat temps plein payé au SMIC. Les délais d’examen des demandes sont longs (3 à 9 mois en pratique). Ces procédures contraignantes compliquent singulièrement l’accès au marché du travail français. Et même si en 2008 la France a établi une liste de 150 métiers dits « ouverts » aux ressortissants roumains et bulgares, les conditions d’accès restent tout aussi difficiles.
Ces citoyens européens sont bloqués dans leurs démarches d’insertion sociale et économique par ces mesures transitoires. La situation actuelle a pour effet de stimuler le travail au noir et d’aggraver la précarité. Partout en France, le même constat est fait : les citoyens roumains et bulgares les plus pauvres qui ont fait un parcours d’immigration économique vers la France pour s’y installer et trouver de meilleures conditions de vie restent exclus du marché du travail et donc de toutes ressources pour subvenir à leurs besoins. Cela les oblige à des solutions d’hébergement précaires dans des bidonvilles ou squats en marge de nos villes. Ils subissent des conditions d’existence indignes, conjuguées à la menace permanente des expulsions, dans des conditions de plus en plus violentes.
Le Collectif Romeurope constate que lorsque les personnes ont réussi à surmonter ces dispositions contraignantes et à trouver un emploi, une insertion sociale est alors réalisable avec la possibilité d’accéder enfin à un logement digne.
Cette période transitoire initiale de 3 ans a été prolongée de deux années et s’achève le 31 décembre 2011. Dans quelques jours, ces citoyens européens auront enfin la possibilité de pouvoir accéder pleinement au marché du travail européen.
Pourtant, la France a annoncé qu’elle envisageait de prolonger à nouveau ces dispositions transitoires pour une nouvelle période de deux ans. Elle doit justifier pour cela vis à vis de la Commission européenne que la fin de ces mesures entraînerait de graves perturbations sur le marché du travail.
Or, l’accès au travail et aux dispositifs d’accompagnement vers l’emploi (les services de Pôle emploi et la formation professionnelle), de quelques milliers d’individus n’entraînerait pas de telles perturbations.
La Commission européenne l’a souligné dès novembre 2008 et le réaffirme dans son dernier rapport de novembre 2011 : les nouveaux ressortissants communautaires ont participé de manière active à la croissance soutenue de l’économie européenne, sans impact sur le taux de chômage des pays d’accueil. En outre, elle a constaté que les flux de mobilité sont beaucoup plus conditionnés par l’offre et la demande générales de main-d’oeuvre que par les restrictions qui ont selon elle deux effets négatifs : freiner les ajustements du marché du travail et accentuer le travail non déclaré. Ces arguments ont encore été repris dans une résolution du Parlement européen présentée par les groupes PPE, S&D, ALDE et Verts/ALE et adoptée lors de sa séance plénière de décembre.
La Commission européenne et le Parlement européen préconisent donc la levée des mesures transitoires comme l’a également recommandé la HALDE dans sa délibération du 26 Octobre 2009 qui dénonçait la discrimination spécifique faite à l’encontre des Roms, ressortissants de Roumanie et Bulgarie, notamment du fait de ces mesures.
Les principaux syndicats soutiennent cette analyse. Ensemble, nous demandons donc à la France de ne pas prolonger inutilement ces mesures transitoires imposées aux ressortissants roumains et bulgares qui
empêchent l’insertion sociale de ces personnes, favorisent le travail non déclaré et contredisent le principe d’égalité de traitement entre citoyens européens.
– Pour le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope,
Malik SALEMKOUR, Vice-Président de la LDH. Contact presse : 06 07 12 64 37
– Pour la CGT, Francine BLANCHE, membre de la Direction confédérale, responsable nationale Droits sociaux et discriminations. Contact presse : 06 80 62 02 74
– Pour la CFDT, Jean-Louis MALYS, Secrétaire Général en charge pour la lutte contre les discriminations. Contact presse : 06 08 53 77 01
– Pour l’Union Syndicale Solidaire, Catherine LEBRUN, Secrétaire Général.
Contact presse : 01 58 39 30 18
– Pour la Fédération SUD Education, Dominique BELLIDON, chargé de la scolarisation des enfants roms. Contact presse : 06 74 00 15 77
Collectif National Droits de l’Homme Romeurope
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