A l’Assemblée nationale
Au cours de la séance du mardi 16 mai 2006, après-midi, le gouvernement français répond à Rudy Salles, député UDF des Alpes-Maritimes.1
M. Rudy Salles – La France et l’Algérie, Monsieur le Premier ministre, sont liées depuis plus d’un siècle par un passé et de riches souvenirs communs. Bien plus que de diplomatie, il s’agit d’une histoire de cœur. Mais aujourd’hui, de nombreux Français sont blessés par l’attitude du président algérien Bouteflika. Il y a eu en 2000 les insultes contre les harkis, puis, cette année, la fermeture autoritaire des écoles francophones d’Algérie. Un nouveau pas a été franchi récemment, quand le président algérien a accusé la France de « génocide de l’identité algérienne » pendant la période de colonisation, et ce quelques jours avant de venir se faire soigner dans un hôpital de cette métropole qu’il avait insultée.
Quelle tournure vont prendre les relations franco-algériennes ? Un traité d’amitié devait être signé avant la fin de l’année 2005 ; doit-il toujours l’être quand un des partenaires insulte l’autre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP)
Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes – M. Douste-Blazy, en déplacement à l’étranger, vous prie de bien vouloir l’excuser. La perspective du traité d’amitié voulu par les deux chefs d’État début 2003 reste ouverte. Certes, la négociation prendra du temps, mais c’est normal pour un document de cette importance, qui prendra en considération tous les aspects de notre relation. La récente visite à Alger du ministre des affaires étrangères a d’ailleurs confirmé l’intérêt de nos deux pays pour le développement de leur relation bilatérale, qu’il s’agisse des échanges commerciaux ou des projets de coopération – y compris la coopération linguistique ou la coopération en matière d’enseignement. D’autres visites ministérielles ont témoigné de cette volonté d’aller de l’avant.
Personne ne sous-estime le poids de l’histoire, ni la perception que peuvent avoir les peuples des événements qui les ont tantôt unis, tantôt séparés. Il nous revient pourtant de donner un contenu au partenariat d’exception que la France et l’Algérie ont décidé de construire ensemble, en faisant preuve certes de vigilance, mais aussi d’ambition. Laissons aux historiens le soin d’écrire l’histoire (Protestations sur divers bancs), et au temps celui d’apaiser les douleurs. La responsabilité des autorités françaises et algériennes est de faciliter ce travail de part et d’autre, afin de progresser vers une reconnaissance objective et assumée des faits, avec le souci d’intégrer toutes les mémoires, sans discrimination et sans exclusive.
On ne construit pas une relation sur le passé ni avec des mots ; elle doit être fondée sur la confiance et tournée vers l’avenir. Notre intérêt est de valoriser ce qui nous unit, avec une double exigence de dialogue et de respect mutuel, dans un esprit d’apaisement de la mémoire. Notre histoire fut complexe, mais nous avons aussi un avenir. C’est lui seul qui doit nous guider. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)
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Réaction en Algérie
Polémique entre l’Algérie et la France : Les convictions de Paris
par Hassan Moali, El Watan le 17 mai 2006
La France officielle continue de souffler le chaud et le froid concernant son passé colonial en Algérie et la manière avec laquelle dépasser la crise diplomatique née de la loi du 23 février.
Moins d’une semaine après la réaction mesurée du Quai d’Orsay aux déclarations dénonciatrices du président Bouteflika, Catherine Colonna, ministre déléguée aux Affaires européennes, a cru bon de rabâcher l’argument en vogue au sein de l’establishment parisien, à savoir qu’il faut « faciliter le travail des historiens ».Répondant, hier, à l’Assemblée française à une question d’un député sur les déclarations du président Bouteflika, la ministre a, certes, souhaité « une reconnaissance objective et assumée des faits liés à la colonisation de l’Algérie », mais a estimé que « le rôle de Paris et d’Alger devait se limiter à faciliter le travail des historiens ». Ne voulant manifestement pas souffler sur la braise, Catherine Colonna a soigneusement évité de citer nommément la personne du président Bouteflika.
« Laissons aux historiens le soin d’écrire l’Histoire et laissons au temps celui d’apaiser les douleurs. » Une petite phrase qui revient comme un leitmotiv dans les discours des officiels de l’Hexagone depuis que le président Jacques Chirac avait lui-même recommandé aux autorités algériennes indignées de « laisser les historiens écrire l’histoire » au lendemain de la découverte de la fameuse loi du 23 février. En l’occurrence, Catherine Colonna n’a rien inventé hier, sinon qu’elle a reconnu que la France doit assumer les faits liés à la colonisation. Il reste que cette espèce de vente concomitante, qui consiste à mettre la France coloniale au même niveau de responsabilité que l’Algérie dans les méfaits qu’elle a causés au peuple algérien précisément, est intrigante.
C’est que, fondamentalement, le discours politique de la France n’a pas vraiment changé sur la question, à quelque gymnastique sémantique près. A Paris, on veut sans doute fermer le plus tôt possible la parenthèse de la « brouille du 23 février », mais certainement pas à n’importe quel prix. L’exigence d’une repentance publique et officielle, qui constitue la condition désormais sine qua non de l’Algérie, est sciemment évacuée dans les déclarations des officiels français. Ces derniers, au mieux, l’évitent, et au pire, l’accouplent à des causes subsidiaires qui n’agréent pas forcément les autorités algériennes. « La responsabilité des autorités françaises et algériennes est de faciliter ce travail, de part et d’autre, afin de progresser vers une reconnaissance objective et assumée des faits, de tous les faits, avec le souci d’intégrer toutes les mémoires, sans discriminations et sans exclusive. » Mme Colonna a donc précisé la seule voie qui pourrait mener la France à se repentir : que l’Algérie fasse de même pour les harkis et autres pieds-noirs ! Il est clair, ce faisant, que la France reste campée sur sa position et ne compte pas fléchir aussi longtemps que l’Algérie n’en ferait pas, elle aussi, acte de repentance. Quitte à ce que le fameux traité d’amitié se transforme irrémédiablement en pacte d’inimitié. Catherine Colonna n’ignore pas que « la négociation de ce texte fondamental prendra encore du temps, ce qui est normal pour un document de cette importance ». Or, Philippe Douste-Blazy lui-même avait annoncé la signature de ce traité avant la fin de l’année 2005, ce qui contredit radicalement les propos de sa collègue, en ce sens que cela suppose que le compromis était trouvé déjà à la veille de la maladie de Bouteflika.
En revanche, Mme Colonna justifie la lenteur par le fait que « personne ne sous-estime le poids de l’histoire ni la perception que peuvent avoir les peuples des événements qui les ont tantôt unis, tantôt séparés… ». Décodé, ce message suggère que c’est la loi glorifiant la colonisation qui a freiné l’élan du traité d’amitié et non pas une prétendue négociation serrée de ses clauses. Autant l’Algérie s’est sentie offensée par l’autoglorification de la France coloniale, autant la fierté du pays de Chirac est touchée par l’exhumation des méfaits de cette même colonisation. La preuve ? Voilà ce qu’a suggéré hier Catherine Colonna : « On ne construit pas une relation sur le passé ou avec des mots », ou encore : « Cette relation (entre l’Algérie et la France) doit être fondée sur la confiance et tournée vers l’avenir ». La France envoie là un message limpide à l’Algérie : il ne faut pas regarder dans le rétroviseur de l’histoire. Eh oui, il renvoie fatalement une image pas trop belle du Coq gaulois !
Hassan Moali
- Extrait du compte-rendu analytique officiel des questions au gouvernement au cours de la séance de mardi 16 mai 2006 après-midi : http://www.assembleenationale.fr/12/cra/2005-2006/221.asp#P73_12247.