Le chef d’Etat, en visite dans la grande île, rend hommage aux victimes de 1947
par Antoine GUIRAL – [Libération, vendredi 22 juillet 2005]
Jacques Chirac prépare sa sortie… et sa modeste place dans l’Histoire. Après avoir été le premier Président à reconnaître les crimes de l’Etat français sous Vichy, le voilà qui se penche sur le passé colonial de la France. Et tance les élus de l’UMP qui tentent de réhabiliter certains aspects de la colonisation, notamment par la loi du 23 février 2005 qui incite «les programmes scolaires» à «reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer», ou ceux d’extrême droite qui prétendent transformer en héros des bourreaux de la guerre d’Algérie avec des stèles à la gloire de l’OAS. A Madagascar, où il a reçu hier à son arrivée, au nord-ouest de l’île, un accueil triomphal de la part de près de 100 000 personnes, le chef de l’Etat a abordé à deux reprises une des pages les plus sombres de l’histoire de la colonisation française du XXe siècle : les massacres de 1947, qui auraient fait de 15 000 à 100 000 morts. Alors que Madagascar était une colonie française, une insurrection indépendantiste fut réprimée de manière sanglante par l’armée.
Hommage. «Il n’y a aucune raison de ne pas tenir compte de l’histoire. De vouloir ignorer tel ou tel aspect d’une évolution. Nous devons être conscients des bons et des mauvais moments et les assumer. ça ne veut pas dire nourrir indéfiniment de l’aigreur et de la haine. L’histoire est ainsi faite d’affrontements et de réconciliations. Elle n’est pas faite automatiquement d’oubli», a affirmé le chef de l’Etat lors d’une conférence de presse à Majunga, aux côtés du président malgache Marc Ravalomanana. Dans la soirée, à Antananarivo, Jacques Chirac s’est montré encore plus précis au cours d’un dîner avec son homologue. Sans aller jusqu’à exprimer explicitement de la repentance, il a évoqué «le caractère inacceptable des répressions engendrées par le système colonial». Et en visant ceux qui, en France, ont la tentation de minimiser certains méfaits de la IVe République dans les colonies, il a rendu «hommage» aux victimes de 1947 car «rien ni personne ne peut effacer le souvenir de toutes celles et tous ceux qui perdirent injustement la vie».
Contrairement à l’Algérie, où les régimes successifs entretiennent la mémoire des meurtrissures de la lutte d’indépendance, Madagascar, confrontée à une extrême pauvreté généralisée, semble avoir d’autres priorités que de s’appesantir sur l’histoire. «Tout ça c’est du passé, moi je regarde l’avenir. […] Je suis né en 1949, pas en 1947. On ne peut pas oublier ce qui s’est passé mais moi je pense d’abord aux générations futures», a ainsi assuré le président malgache aux côtés de Chirac un brin interloqué.
Papamobile. Quoi qu’il en soit, les voyages à l’étranger ont le don de requinquer le chef de l’Etat. Impopulaire et discrédité en France par ses échecs à répétition, il s’est offert un de ces bains de foule à l’africaine dont il raffole. Juché sur une sorte de papamobile à ciel ouvert, il a distribué, deux heures durant et sous une chaleur saisissante, saluts et bises à la foule massée sur une dizaine de kilomètres. Avec des hordes d’enfants, pieds nus pour la plupart, courant derrière son véhicule, il a défilé sous des banderoles à sa gloire («Merci pour la visite, président Chirac», «Vive la coopération franco-malgache», «Chirac-Ravalomanana confiance-volonté») avant de s’extasier devant les danses traditionnelles puis les patates douces, les oignons et les haricots du marché de Majunga. Là, il a offert un chèque de 8 millions d’euros «pour doter cette superbe ville» d’un nouveau marché.
Antoine GUIRAL
Chirac à Madagascar fait repentance
[Clicanoo, quotidien de la Réunion, le 22 juillet 2005]
Une visite express dans la Grande Île en forme de mea culpa pour Jacques Chirac. S’il n’est pas allé jusqu’à adresser ses louanges dans la langue du pays, le chef de l’État s’y est pris de la plus belle manière avec Marc Ravalomanana, histoire d’oublier quelque peu son loupé diplomatique lors de l’accession au pouvoir du président malgache, en décembre 2001.
« Il faut avoir conscience du caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial. En 1947, le sentiment national montait sur la Grande Île où s’enchaînèrent des événements tragiques. Rien ni personne ne peut effacer le souvenir de toutes celles et de tous ceux qui perdirent injustement la vie ». Cinquante-huit ans que les Malgaches attendaient ça… Que les familles des 10 000 à 15 000 victimes le réclamaient… Après Vichy, après Sétif, Jacques Chirac a poursuivi hier soir à Tana son acte de repentance et celui de la France. Certes, on est loin d’excuses en bonne et due forme. Certes, ce geste reste avant tout symbolique. « On ne peut pas oublier. Mais pour moi, ce n’est pas un blocage. Actuellement, nous travaillons au renforcement des relations bilatérales entre les deux pays, nous nous concentrons là-dessus », lâchait Marc Ravalomanana, quelques heures plus tôt, à Mahajanga. Pourtant, si les deux dirigeants s’en défendent, un tel discours apparaissait primordial avant toute relance des relations franco-malgaches, objectif majeur de cette rencontre officielle.
« Tout ce qui brille n’est pas or »
Et il ne s’est pas arrêté là, le président de la République française. Bain de foule, poignées de mains, embrassades… A Mahajanga, en plein marché, sous un soleil de plomb et face à plusieurs milliers de personnes, l’homme a bien failli faiblir, mais il n’a pas cédé. « J’ai été profondément ému, touché par cet accueil », reconnaissait quelques instants plus tard le chef de l’État. Pour le duo Chirac-Ravalomanana, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Nos relations sont excellentes », lance le premier, louant la décentralisation, la démocratisation et l’essor économique à la malgache. « Les relations entre la France et Madagascar sont en bonne santé. Le ciel est bleu ! « , répond le deuxième. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? A condition d’oublier les querelles passées, une population à 70 % sous le seuil de pauvreté, les Comoriens pointés du doigt, etc. D’ailleurs, une banderole -balayée d’un revers de main par Marc Ravalomanana – le résumait bien, hier matin, à Mahajanga : « Bienvenue, monsieur le Président. Mais sachez que tout ce qui brille n’est pas or… «
Thomas Quéguiner