4 000 articles et documents

Édition du 15 novembre au 1er décembre 2025

Madagascar 1972-2025 : comment ne pas se faire voler sa Révolution ? par Marie Ranjanoro

L'écrivaine malgache met en perspective historique le soulèvement à Madagascar en septembre et octobre 2025.

Marie Ranjanoro est née en 1990 à Madagascar. En 2019, elle a créé avec Hoby Ramamonjy le podcast féministe Basy Vavy. Après des nouvelles dans plusieurs revues, elle a publié en 2023 le roman Feux, fièvres, forêts sur la mémoire du massacre commis par la France à Madagascar en 1947. Elle nous donne ici un texte qui met en perspective historique les récents évènements politiques survenus dans l’île qui aboutirent à l’exfiltration du président Andry Rajoelina par l’armée française.

Jeunes manifestants à Madagascar, octobre 2025

En 2024, une étincelle prend sur une île de l’océan Indien. Elle serait passée inaperçue – noyée dans le chaos du Levant et du bloc social-démocrate occidental en phase finale d’effondrement – si dans son sillage, elle n’avait pas allumé la mèche conduisant à une barricade truffée de bâtons de dynamite. Cette île, le Sri Lanka, et à sa suite le Bangladesh, le Kenya, l’Indonésie, le Népal, puis Madagascar, le Maroc et le Pérou s’embrasent dans une clameur commune, sous un seul étendard, celui du Mugihara, le bateau pirate du manga One Piece.

Que s’est-il passé à Madagascar depuis septembre ?

Partout la répression est féroce, cruelle, acquise aux techniques de « maintien de l’ordre » longuement mûries par les démocraties néo-libérales qui ont abreuvé leurs pays-clients de méthodes et d’armes, d’une expertise de la guérilla urbaine, de l’usage savant d’un lumpenprolétariat violent au service de l’intérêt des puissants. Mais en face, la résistance tient bon. Partie de mouvements étudiants, les jeunes, ceux que l’on a appelé la génération Z, nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, ceux dont on a dit qu’ils étaient la génération la moins politisée, grands ados apathiques vissés à leurs écrans, ont en quelques semaines renversé le narratif politique dans chacun de leurs pays. A Madagascar, il aura suffi de trois semaines pour que les lycéens de Tamatave et les étudiants polytechniciens d’Ankatso et Vontovorona, rapidement rejoints par les syndicats, les commerçants et les organisations de la société civile, parviennent à mettre en fuite le président Andry Rajoelina, sa cour et son opaque financier, le milliardaire Maminiaina Ravatomanga.

Entre le 25 septembre 2025, date de la première manifestation et le 11 octobre 2025, fuite du désormais ex-président Rajoelina, les revendications des jeunes sont restées claires et sont même montées en intensité à mesure que la société civile rejoignait les rangs de la contestation. En 24h, le Président a limogé son ministre de l’Énergie, puis son gouvernement mais la voix de la rue était claire : c’était sa propre destitution qui était demandée. C’est maintenant que désormais tout se joue. En 65 ans, depuis son indépendance, Madagascar aura connu sept grands renversements de pouvoir par la rue (1972, 1981, 1989, 1991, 2002, 2009 et 2025). Mais seuls 1972 et 2025 s’inscrivirent dans une logique rhizomatique, sans leader, sans coloration politique, et dans l’impensable révolte des jeunes contre un pouvoir gérontocratique profondément enraciné dans la coutume malgache. Se pourrait-il que la Gen Z vienne enfin venger la révolution volée de leurs aînés ?

1972 : la première « révolution » générationnelle malgache

Les émeutes anti-gouvernementales de mai 1972 représentent un point de rupture révélateur, souvent comparé à une « troisième indépendance » du pays. La première, celle de 1947, fut violemment réprimée ; la seconde, obtenue en 1960, fut accordée dans un contexte de transition négociée ; la troisième, celle de 1972, reste difficile à nommer tant ses implications sont encore débattues.

Le contexte social et politique : la fin de la Première République

L’indépendance officielle de 1960 donne naissance à une Ière république malgache encore largement sous tutelle française, avec à sa tête, le président Philibert Tsiranana, issu de l’aile gauche du PADESM – Parti des Déshérités de Madagascar – résolument opposé aux velléités indépendantistes du MDRM lors de l’insurrection de 1947. Si Tsiranana s’arroge le soutien populaire en nommant à son gouvernement les tout juste relaxés Ravohangy et Rabemananjara, il faut noter dans la composition de ce premier gouvernement la présence détonante de deux ministres français, Eugène Lechat et Xavier Delmotte, aux portefeuilles pour le moins signifiants puisqu’étant ceux des équipements et télécommunications pour l’un et de l’agriculture pour l’autre[1]. Ces remarques qui semblent anecdotiques soulèvent pourtant un consensus général sur l’absence d’un réel sursaut nationaliste malgache, y compris à la suite des épisodes particulièrement sanglants et humiliants de 1947. Dans les faits, après 1947 ou 1960, il semblerait qu’il n’y ait jamais eu d’indépendance. Le clientélisme entre la France et Madagascar migre vers des formes encore plus perverses que celle d’une métropole à son outre-mer.

Un soulèvement sans chef, né dans la rue et l’université

Le mouvement étudiant né à Antananarivo se transforma en quelques semaines en une révolte populaire de grande ampleur, exprimant un profond malaise national. Si de nombreuses analyses ont été consacrées aux causes structurelles et conjoncturelles de ce soulèvement – notamment dans l’ouvrage Madagascar Mai 1972, dirigé par Brigitte Rasoloniaina (Hémisphères, 2023) – il s’agira ici d’en évoquer un élément déclencheur spécifique : l’inégalité entre les diplômés de la faculté de médecine d’Ankatso, inaugurée en 1961, et ceux de l’ancienne école de Befelatanana, issue de l’Assistance médicale indigène de l’époque coloniale. Tandis qu’Ankatso formait des médecins spécialisés, francophones, souvent destinés à la pratique urbaine voire à une carrière internationale, les diplômés de Befelatanana étaient cantonnés aux soins de base en milieu rural, avec une reconnaissance moindre. Toutefois, cet élément ne constitue qu’un foyer parmi d’autres dans un ensemble de facteurs imbriqués. Le mécontentement généralisé s’alimentait également des nombreuses injustices marquant la Première République, notamment la hiérarchisation linguistique issue de la diglossie franco-malgache. Cette dernière conférait au français un statut dominant dans les sphères de pouvoir, de l’administration à l’éducation, au détriment du malgache. Mais cela ne saurait occulter d’autres facteurs décisifs : les déséquilibres régionaux, la pauvreté persistante dans le Sud, la crise éducative, le décalage entre promesses méritocratiques et réalités sociales, ainsi qu’une fracture générationnelle profonde. L’après-1972 inaugura une succession de gouvernements oscillant entre politiques de malgachisation et de francisation, souvent mises en avant comme symboles de changement, tout en dissimulant la pérennité des rapports de force et des inerties structurelles.

Trois semaines de révolte, puis la reprise en main militaire

Le scénario politique de 1972 suit l’idylle des révoltes spontanées et des lendemains glorieux. Après les révoltes paysannes de 1971, l’implication des syndicats étudiants en 1972 concourent à la chute en quelques semaines seulement du gouvernement Tsiranana. Contre le système de coopération, la présence militaire française, l’économie au service d’une élite et pour une réelle indépendance, la valorisation des territoires ruraux, l’égalité et la justice sociale, les cieux s’ouvrent afin de s’imaginer tous les possibles dans une Deuxième République proclamée en 1975. Nous sommes alors en plein Guerre Froide, la fin d’un clientélisme français signifie aussi la sortie du bloc de l’Ouest, le refus de l’autorité libérale, la possibilité politique d’une alternative économique. Flirter avec le bloc de l’Est, s’affirmer en tête des Non Alignés, Madagascar se veut promise à un avenir libre de toute ingérence occidentale. C’est en tous cas l’ambition du Général Richard Ratsimandrava, qui se voit remettre les pleins pouvoirs par le Général Gabriel Ramanantsoa, président de transition entre Tsiranana et la mise en place d’un directoire militaire. En charge de la protection des postes de gendarmerie du sud de l’île, alors commandant durant la révolution de 1972, Ratsimandrava avait rétabli l’ordre en interdisant les chasses à l’homme du parti et en sanctionnant ses hommes les plus zélés. Au pouvoir, il entend refonder la nation malgache autour de la collectivité villageoise coutumière du fokonolona, décentraliser les institutions crispées autour de la capitale, nationaliser et planifier l’agriculture et l’économie jusqu’alors informelles, de subsistance et coupées du commerce extérieur. Cette esquisse d’un Madagascar plus juste, plus libre et en mesure de s’émanciper du joug colonial, mourra avec lui, assassiné dans sa Peugeot 404, le 11 février 1975, seulement 6 jours après son accession au pouvoir.

2025 : la Gen Z contre le néocolonialisme énergétique

Retour en 2025. La revendication première de cette mobilisation historique concerne le non-accès à l’eau et à l’électricité, deux services essentiels non couverts pour lesquels la population paye pourtant une dîme particulièrement lourde au regard de son pouvoir d’achat.

Un soulèvement né du quotidien : coupures, précarité, colère

Cette incurie essentielle s’inscrit dans un contexte où le gouvernement vient de confier la gestion de la compagnie nationale des eaux et de l’énergie, la JIRAMA, à Ron Weiss, ressortissant israélien précédemment CEO du Rwanda Energy Group et cadre dirigeant de la Israel Electric Corporation. La collusion du pouvoir malgache avec le pouvoir colonial israélien, incidemment, se fait à plusieurs étages : cession d’un contrat d’exploitation agricole de plus de 90 Mds $, achat d’armes coercitives auprès de l’industrie militaire (balles caoutchouc, gaz lacrymogènes, grenades de désencerclement…), logiciels de cyber-surveillance de masse… Mais l’entité coloniale sioniste n’est que la dernière arrivée dans le long chapelet de puissances aux dents longues qui s’étaient partagé le bout de viande : Vinci, Bouygues, le Groupe Bolloré, EDF et Total pour les Français, Daewoo (Corée du Sud), QMM (Canada) et Rio Tinto (Brésil) pour le reste du monde.

La question coloniale revient au cœur du débat

Au cœur de cette mobilisation historique, se logent non seulement des enjeux de précarité énergétique, mais aussi le spectre tenace de l’ingérence française et de son « néo » colonialisme. Les conséquences politiques à l’échelle du continent africain pour la France qui vient de perdre son carré d’or sahélien (Mali, Niger, Burkina-Faso et Tchad), seraient désastreuses. Une prophétie auto-réalisatrice veut que la visite d’un président français à Madagascar précède presque immédiatement la déchéance de son homologue local. Pour 2025, en tous cas, elle ne fut pas démentie. Pour l’occasion, les 30 millions de citoyens malgaches s’étaient vu offrir un jour chômé. On fit nettoyer les rues, et distribuer des drapeaux français aux badauds (payés, selon les rumeurs, 10 000 Ar pour acte de présence, soit deux jours de salaire). Un jour chômé dans toute l’île de Madagascar, du nord au sud, sur 1 580km de long, jusque dans les provinces les plus reculées, où il ne mettrait pas le pied, et où certains s’étaient même convaincus que c’est au deuil du Pape François qu’ils devaient ce congé. Mais il s’agissait bien de la visite d’Emmanuel Macron à Madagascar, invité en ami, accueilli en conquérant. Il concluait un hiatus de 20 ans[2], dans les pas de son sur-successeur Jacques Chirac, dernier président français à s’être présenté sur la Grande Île. Six mois plus tard, la rue se soulevait aux slogans de « Dehors la France », « Reprenez votre concitoyen » : il existe hors de France un autre président disposant de la nationalité française, qui n’est autre qu’Andry Rajoelina.

Trois semaines encore : la chute de Rajoelina et la reprise en main militaire

Trois semaines, comme en 1972, c’est tout ce qu’il a fallu à nos jeunes, au prix certes de violences inouïes, pour renverser un pouvoir que l’on croyait verrouillé de toutes parts. Andry Rajoelina, lui-même ancien jeune, ancien espoir de renouveau, auto-proclamé fer de lance d’une génération avide de changement, était arrivé en 2009 par la rue. Profitant d’une énième dérive autoritaire de son prédécesseur et mentor, Marc Ravalomanana, il rallie à sa cause les masses affamées comme la caste militaire, et leur main secourable, celle du CAPSAT (Corps d’Armée des Personnels Administratifs et Techniques). Puis s’enchainent 5 ans de « transition démocratique » qui le maintiennent sans élection au pouvoir avant l’intervention de la communauté africaine qui arbitre en faveur de nouvelles élections sans lui ni son rival. En 2019, celui qui a baptisé son parti TGV (Tanora Gasy Vonona – Jeunes Malgaches Déterminés), se propulse à la vitesse d’une machine au pouvoir. C’est avec la même rapidité qu’en 2009, que la rue, celle de 2025, le fait vaciller, rejointe par le corps stratégique du CAPSAT toujours, puis fuir à bord d’un avion militaire français. Elle fut déterminante cette annonce, prononcée dans l’émotion d’une caserne bondée, celle du colonel Mickaël Randrianirina, connu des services pour sa position anti-Andry qui le conduira au tribunal militaire, en prison puis placardisé en province, dans l’épineuse région de l’Androy, avant de devenir en 2025, la figure débonnaire d’une armée lasse de servir un pouvoir central inique.

1972–2025 : deux révolutions captées par la même matrice néocoloniale

En 1972 comme en 2025, la France soutient le pouvoir jusqu’à sa chute, et pour cause, il s’agit pour elle d’un enjeu crucial de maintien de l’île sous son giron.

La constante française : de la Françafrique à la « coopération » militaro-énergétique

En 1972, et depuis 1947, Philibert Tsiranana et le PADESM sont des représentants de l’autorité coloniale, opposés à l’émergence d’un parti indépendantiste comme le MDRM. Le PADESM, fort en province, assume son alignement assimilationniste et assure la transition en douceur du statut colonial à celui d’Union française. Andry Rajoelina, de son côté, doit son coup de force de 2009 à un allié français de taille, Nicolas Sarkozy, le faiseur de démocrates. Il est le premier à légitimer le coup de force du jeune loup malgache, tandis que la communauté internationale dénonçait encore son putsch. Le 11 octobre dernier, une rumeur tenace circule dans les couloirs des rédactions journalistiques. Tandis que Nicolas Sarkozy s’avance vers les couloirs de la Santé, on chuchote qu’il aurait joué une dernière carte en faveur de Rajoelina, alors acculé dans le palais présidentiel, pour qu’Emmanuel Macron dépêche un avion militaire sur la Grande Île afin de l’exfiltrer en toute discrétion vers La Réunion, où on le somme de se diriger vers un terrain plus neutre. Il choisira Dubaï… A l’image d’un Louis XVI montant à l’échafaud, « A-t-on des nouvelles de Lapérouse ? » prend en 2025, de forts accents de Françafrique. Mais en 1972 comme en 2025, la loyauté française ne dure que le temps du réalisme politique, dès les premiers signes d’une bascule en la défaveur de leur champion, Tsiranana comme Rajoelina, sont priés de tirer la révérence, et à charge du nouvel homme fort de la République de traiter avec l’hydre française.

La rue, sans Dieu ni maître

En 1972, les étudiants imprimaient chaque soir les tracts du lendemain, qui partaient par le taxi brousse ou la poche sympathisante d’un steward ou d’une hôtesse de l’air par les vols – alors quotidiens – vers la province. En 2025, ce sont Instagram, Facebook, TikTok, Discord et WhatsApp qui diffusent en continu et jusque dans les chambrées froides de la diaspora, le programme des manifestations et les revendications toujours plus incisives. Depuis Paris, rien n’est plus simple que d’envoyer de l’argent en un clic pour alimenter les caisses de grèves. Depuis Tana, on documente jour par jour les exactions du pouvoir, les emprisonnements abusifs, la collusion de la police et des casseurs, via les yeux innombrables des téléphones portables – appareil si tu casses, un autre sort de l’ombre à ta place. Dans le monde entier, c’est toute une nation diasporique qui a suivi mile par mile, le plan de vol du milliardaire Ravatomanga en fuite dans son avion privé – le même qui avait exfiltré son ami Carlos Ghosn au Liban – durant toute une nuit d’insomnie à traquer l’appareil sur Flight Radar. Protéiforme, anonyme, égalitariste, ce sont ces idéaux et ces modus operandi qui ont fait de la mobilisation Gen Z une redite inattendue des mouvements historiques de 1972. Depuis, le chapelet de ce qu’on appelle avec lassitude le « rotaka » en malgache, n’étaient que la prosopopée lâche des velléités prédatrices d’hommes providentiels à la chaîne, d’opportunistes aux dents longues, de Che Guevara d’opérette. Presque toujours, la rue ne fut qu’un instrument du challenger contre le dernier dictateur en date. Albert Zafy contre Ratsiraka, Ravalomanana contre Ratsiraka, Rajoelina contre Ravalomanana… Les rappels d’une foule en délire réclamant inlassablement la reprise du même opéra tragi-comique, la tradition faisant reprendre au jeune démocrate précédant le rôle du vieux dictateur suivant. Mais en 1972 comme en 2025, c’est une vague sans ambition séditieuse qui s’abat sur le théâtre tout entier. Si les slogans visent sans ambages le Président et son affairiste, la revendication est antisystème, anti-coloniale, prenant racine dans l’urgence quotidienne pour viser les fondations toutes entières de ce négoce des puissants.

L’hypothèse d’une révolution confisquée

En 1972, deux étudiants deviennent malgré eux le symbole de l’embrasement. Les oreilles traînantes de la police repèrent deux jeunes gens particulièrement prônes à être repris par leur camarades dans leur ferveur et l’articulation de leur discours. Micheline Ravolononarisoa et Michel Rambelo, ceux que l’Histoire retiendra comme Michou Vavy (femme) et Michou Lahy (homme), sont alors visés spécifiquement par la police et envoyés au terrible bagne de Nosy Lava. Cette infâme prison politique, érigée par les Français, remplie du cri sanglant des insurgés de 1947, venait tout juste d’être condamnée, avant de servir à faire taire ces deux piliers de la vague estudiantine. Ils y passeront plusieurs semaines en attendant la victoire de leurs camarades. C’est sur le tarmac de l’aéroport d’Ivato que Michou Vavy prononcera son célèbre discours libertaire (reconstitué dans le film L’Île Rouge de Robin Campillo en 2023). En 1972 comme en 2025, c’est l’armée qui fera basculer le cours de l’Histoire. Refusant une fois de trop de tirer sur la foule, les militaires rejoignent les rangs du peuple. Tsiranana et Rajoelina sont mis en fuite. La rue a gagné. En 1972, une guerre civile entre les loyalistes et les révolutionnaires fera rage, arbitrée par le Général Ramanantsoa qui remettra le pouvoir à Ratsimandrava. Celui-ci, assassiné à l’aube de son avènement sera épargné du spectacle triste de sa révolution volée. A l’échec du paradis socialiste proclamé par son opaque successeur, l’Amiral Rouge Didier Ratsiraka.

Que reste-t-il de 1972 dans la jeunesse de 2025 ?

A l’heure où j’écris ces mots, se tiennent dans toute l’île des séminaires de la révolution, organisées par le collectif Gen Z, consultations éplorées entre les jeunes de Tana et ceux de province, dans une langue que j’imagine chevrotante, entre Merina, malgache des hauts plateaux et dialectes côtiers. Mais quelle que soit la tonalité du vocabulaire employé, la seule question qui demeure est : et maintenant ? C’est un jeune colonel aux yeux clairs qui a défrayé la chronique française, déjà salivante de son fantasme d’une Afrique coutumière des putsch militaires (vieil Œdipe non-soigné vis-à-vis du Général De Gaulle sans doute). Mais c’est pourtant la figure inquiétante du premier ministre civil nommé à ses côtés qui nous reste en travers de la gorge. Cheveux en brosse, lunettes noires, veste de costume bombée par un ventre repu, la silhouette d’Herintsalama Rajaonarivelo – banquier de son état – nous semble beaucoup trop familière. Autour de lui flotte un parfum ancien, gagné sans doute dans les cercles d’affaires, les couloirs du pouvoir, le cuir des voitures de luxe qu’il a fréquenté durant de longues années. Sur les réseaux sociaux du collectif Gen Z, en lettres capitales sur le fond rouge d’un poing levé s’étale une maigre mise en garde : « AUCUNE MAGOUILLE, AUCUN RETOUR D’ANCIENS DINOSAURES NE PASSERA INAPERCU. » Mais les jeunes sentent déjà que leurs inénarrables aînés ont déjà repris la main. « Merci pour la place nette les enfants, maintenant les grandes personnes vont parler entre elles. » Comment faire pour ne pas laisser glisser le pouvoir tout juste arraché ? Comment endiguer la mécanique trop bien huilée d’une révolution que l’on a trop vite fait de se faire voler ? Comment et que faire pousser dans les grandes flaques du sang versé ? En 1972, les révolutionnaires avaient connu la colonisation, évoluaient dans un monde en ébullition froide, dans la perspective de modèles économiques alternatifs. La génération Z est née après internet, dans le siècle victorieux du capitalisme total, sans aucune échappatoire possible, ne serait-ce qu’à imaginer. C’est cet imaginaire qu’il faut nourrir, l’alimenter de nos utopies libertaires, égalitaires, féministes, border leurs rêves avec les nôtres qui furent cent fois brisés, leur narrer des contes, des royaumes sans rois, sans faim, sans chaînes, faire comme si nous aussi, nous y croyions encore. Et peut-être qu’à force, ils y croiront aussi.


[1] « Le nouveau gouvernement malgache ne comprend que des membres du PSD » Le Monde du 31 août 1965.

[2] A l’exception de François Hollande, en novembre 2017, pour un sommet de la Francophonie, accompagné de sa proverbiale pluie.


Facebook
Email

Abonnez-vous à la newsletter

Envoyer un mail à l’adresse
, sans objet, ni texte.
Vous recevrez sur votre mail une demande de confirmation qu’il faudra valider.

Ou alors, remplissez ce formulaire :