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Édition du 1er au 15 février 2025

L’université de Villetaneuse a tenté de censurer une conférence sur la Palestine, par Pascal Boniface

Depuis le 7 octobre 2023, plusieurs présidences d’universités françaises ont réprimé les mouvements étudiants de protestation contre la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza. Elles ont aussi à plusieurs reprises interdit purement et simplement des conférences sur le sujet au prétexte d’une menace sur la « sécurité », comme ces dernières semaines à Sciences Po et à Strasbourg. Dans le témoignage qu’on va lire, le géopolitologue Pascal Boniface raconte dans quelles conditions a été « annulée » sa conférence prévue le 21 janvier 2025 sur la campus de l’université de Villetaneuse. Et comment les protestations ont contraint la présidence à finalement autoriser la tenue de cette conférence, à une date encore indéterminée.


Je devais faire le mardi 21 janvier 2025 une conférence à Villetaneuse à la demande d’une association étudiante, l’IRDEF USPN (International Relations and Defense, Sorbonne Paris Nord) qui m’avait invité en novembre. J’ai très régulièrement des invitations dans les universités, je ne peux pas répondre positivement à toutes, mais j’essaie d’aller régulièrement au contact des étudiants partout en France, et au-delà. C’était en l’occurrence particulier parce qu’il s’agissait de l’Université Sorbonne Paris Nord de Villetaneuse, où j’avais moi-même été étudiant et où j’ai débuté ma carrière d’enseignant. Ça fait longtemps que je n’y étais pas allé donc j’étais très heureux d’y retourner et de revoir un décor qui a été le mien pendant très longtemps et qui a accompagné ma formation. Le 12 décembre, la présidente de l’université donnait son feu vert pour que la conférence ait lieu.

Le 9 janvier, je publiais l’ouvrage Israël-Palestine : une guerre sans limites ?. L’association étudiante reprenait le titre du livre comme intitulé de la conférence. 300 personnes s’y étaient inscrites. La conférence devait avoir lieu le 21 janvier à 17h. Mais, coup de Trafalgar, et ironie du sort, alors que je venais d’enregistrer un podcast avec Daniel Schneidermann sur le « charlisme », et sur la contradiction de s’affirmer « Charlie » tout en voulant empêcher les autres de s’exprimer, j’apprends par les étudiants de l’association IRDEF que la conférence venait d’être annulée pour des « raisons de sécurité » par la présidence de l’université. Elle n’a en réalité par été annulée, mais interdite par la nouvelle présidente de l’université élue le 9 janvier et qui prenait ses fonctions. Elle n’a visiblement pas perdu de temps pour prendre des décisions et donc interdire la conférence pour un motif de sécurité…

Quelques réflexions à ce propos. Si les raisons avaient principalement relevé de la sécurité, la présidence aurait pu me prévenir et aurait fait preuve de transparence. Or, non seulement ce motif a été un prétexte pour interdire la conférence, mais la présidente de l’université n’a même pas eu la courtoisie de m’appeler. Elle n’a pas non plus donné d’explications auprès des étudiants qui pourtant avaient organisé cette conférence de longue date, en engageant du temps et des frais pour sa promotion.  

C’est un clair acte de censure à l’université, et cela me semble, au-delà de mon cas personnel, très grave. L’université est un lieu de débat, de liberté, où les esprits doivent s’éveiller. L’absence d’explication, et le mensonge sur les réelles raisons de l’interdiction révèlent par ailleurs une absence de courage de ses opinions. L’exemple pour la jeunesse d’une présidente d’université qui n’a pas le courage d’assumer la vérité me semble déplorable, et elle doit certainement penser que les étudiants sont assez stupides pour gober un tel mensonge. Ni un enseignant, ni la présidence d’une université ne devrait considérer ainsi les étudiants. Je passe sur l’absence totale de courtoisie que l’on doit enseigner également à l’université. Les étudiants ont été déçus et très en colère.

Constater une telle censure à Villetaneuse est pour moi un crève-coeur. Cette université représentait un ascenseur social. Je suis très attaché à cette université. Sans elle je ne serais pas devenu ce que je suis. C’est un exemple du climat qui règne en France sur ce sujet. Il est temps de se réveiller et de prendre conscience de la pente de moins en moins douce vers laquelle on tend, vers un étouffement des libertés en France.

Mais l’annulation de la conférence a créé un effet « Barbra Streisand ». Les étudiants se sont mobilisés. Si les médias n’en ont pas parlé, le bruit s’est largement répandu sur les réseaux sociaux. Le député de la circonscription Éric Coquerel (LFI) a protesté. Le maire de Villetaneuse Dieunor Excellent (divers gauche) a demandé que la conférence puisse se tenir. Ma vidéo sur Tiktok à ce propos a été vue près de 300 000 fois et sur YouTube 140 000. Mon tweet sur cette affaire a été vu 220 000 fois. Finalement, la présidente de l’université, après avoir reçu les étudiants, a accepté que la conférence puisse avoir lieu.

Au-delà de mon cas personnel, on constate une atmosphère de néo-maccarthysme et qu’il est de plus en plus difficile de s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien en France, d’y exprimer des opinions. Il existe une sorte d’omerta, de censure qui à mon avis ne conduit pas assainir les relations au sein de notre société. Certains diront qu’il ne faut pas nourrir l’antisémitisme, or ce n’est pas en interdisant des conférences sur le thème du conflit israélo-palestinien qu’on luttera efficacement contre l’antisémitisme. Je n’ai jamais été condamné pour antisémitisme, je sais que certaine me traitent d’antisémite parce que je critique Benyamin Netanyahou, mais on décèle aisément la facilité d’un tel argumentaire qui ne vise pas en réalité à lutter réellement contre l’antisémitisme, mais à museler toute critique d’Israël.

Pascal Boniface


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