Dans le chapitre «Algérie» de ses Mémoires d’espoir 1, le général de Gaulle a écrit : «La fin de la colonisation est une page de notre histoire. En la tournant, la France ressent à la fois le regret de ce qui est passé et l’espoir de ce qui va venir.»
Le regret n’est pas, à notre avis, de ressasser l’époque où la France, après la conquête de l’Algérie par les armes, en 1830, en avait fait une part de son territoire national.
Présente à l’Exposition coloniale internationale de Paris en 1931, après la célébration du centenaire de la colonisation française l’année précédente, l’Algérie «peuplée de colons et d’indigènes», comme on disait à l’époque, se voulait, d’après le secrétaire général du gouvernement général, «la prolongation de la France aux bords de la Méditerranée».
Il faudra l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en juin 1958, pour que les «indigènes» deviennent des citoyens ayant les mêmes droits et devoirs que les Français. Mais après des décennies de frustrations, d’humiliations, de répression, que de sang versé par les Algériens, y compris pour la France dans les deux grandes guerres mondiales, avant d’obtenir leur indépendance en 1962.
«L’espoir de ce qui va venir» fut exprimé par le général de Gaulle le 18 mars de cette même année, à la signature des accords d’Evian, par ces quelques phrases : «Qui sait même si la lutte qui se termine et le sacrifice des morts tombés des deux côtés n’auront pas, en définitive, aidé les deux peuples à mieux comprendre qu’ils sont faits, non pour se combattre, mais pour marcher fraternellement ensemble sur la route de la civilisation ?»
Malheureusement, à la lutte de libération menée par le FLN et l’ALN, la tentative de subversion «perpétrée par quelques chefs dévoyés», déclenchée par les soldats perdus de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) sous le prétexte qu’il était possible d’inverser le cours de l’histoire, ajouta la haine et la hargne à la violence dans une guerre civile très dévastatrice. Celle-ci frappa la population algérienne avec une rare violence et poussera les Européens à l’exil dans une détresse totale. L’amertume était grande chez les «pieds-noirs», meurtris, mais aussi chez les Algériens.
Pour toutes ces raisons, ayant été acteur et témoin en Algérie de ces «événements» dans les années 60-62, notamment en tant que secrétaire général du MPC, le Mouvement pour la coopération, qui soutenait la politique algérienne du général de Gaulle, en participant à la lutte anti-OAS, je me suis associé à l’appel lancé par «l’Association des amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons». Celui-ci rappelle que six enseignants français et algériens furent assassinés par l’OAS le 15 mars 1962. Bien d’autres Français furent tués par l’OAS : l’avocat Popie, le commissaire Gavoury, le commandant Poste et nombre de gaullistes, de libéraux, de syndicalistes, de commerçants, des hommes politiques, des femmes de ménage… et une vingtaine de mes compagnons parmi les 1 700 victimes estimées.
Avec la Ligue des droits de l’homme, le Mrap, la Ligue de l’enseignement, l’Institut Charles-André-Julien, le Collectif des historiens contre la loi du 23 février 2005, l’Association de solidarité franco-arabe, nous nous sommes élevés contre la tentative de réhabilitation des commandos de l’OAS, jugés et exécutés pour les attentats et assassinats qu’ils ont commis, y compris en tentant à plusieurs reprises de tuer le général de Gaulle, président de la République.
L’espoir, pour ceux qui ont subi cette violence, serait d’arriver à dépassionner le débat de cette guerre d’Algérie qui a meurtri plusieurs générations d’Algériens et de Français, pour en arriver à ce devoir de mémoire dans la sérénité.
En juin 1972, j’ai participé à l’émission télévisée d’Antenne 2, «Plein cadre», intitulée «La rencontre de l’apaisement», réalisée en Algérie par Gilbert Denoyan et Guy Saguez, avec un ancien OAS, officier d’active, Robert Richard, et Ali Abderhamani, responsable FLN chargé du renseignement à Alger. Cette émission fut diffusée le 23 juin et largement commentée par la presse, car elle prouvait qu’il était possible de se comprendre entre anciens adversaires. Voici ce qu’en écrivait Serge Bromberger dans Le Figaro :
«Tous trois arrivèrent à une conclusion qui était conforme au titre de l’émission :
«Il ne sert à rien aujourd’hui de se lancer nos cadavres à la tête», a dit l’officier de l’OAS.
«Aucun Algérien n’a souhaité une Algérie sans pieds-noirs. L’OAS a eu cependant un mérite, c’est de cristalliser la population musulmane et de casser l’unité européenne», déclara l’interlocuteur algérien.
«Bitterlin assure qu’il était temps de tourner la page mais qu’il y avait ceux qui voulaient garder les plaies ouvertes.
«Est-ce à dire que le temps de la sérénité est venu au coeur de tous ceux qui ont participé à la guerre d’Algérie ? Sans doute y faudra-t-il encore un peu plus de temps ?»
Plus de trente ans ont passé depuis cette rencontre dans la Mitidja. La page de la colonisation est bien tournée. Que viennent enfin l’apaisement et la réconciliation, et non la perpétuation du souvenir de cette déchirure franco-française.