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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Loi, histoire, mémoire, un article d' »El Watan » de juin 2005

La loi du 23 février 2005 était au cœur du débat qui a eu lieu au Sénat, samedi 11 juin 2005. Nous reproduisons ci-dessous un article de Nadjia Bouzeghrane publié dans le quotidien algérien "El Watan" le 16 juin 2005 qui en fait le compte-rendu. Les lois peuvent-elles imposer une vision de l'histoire ? Peuvent-elles rétablir la justice ? Est-ce leur rôle ou plutôt celui de la mémoire ? Le législateur peut-il qualifier des faits historiques ? Comment l'historien peut-il travailler face aux enjeux de mémoire ? Autant de questions abordées lors de ce débat.

Loi, histoire, mémoire

par Nadjia Bouzeghrane, publié dans « El Watan » le 16 juin 2005.

Le débat sur la loi du 23 février 2005 portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » revient dans l’hémicycle du Sénat à la faveur d’un débat public sur de grands moments du passé de la France : l’esclavage, la Seconde Guerre mondiale et la période coloniale.

Ce débat intitulé « Loi, histoire, mémoire », présidé par Christian Poncelet, président du Sénat, est intervenu en clôture de la journée Le printemps des démocraties, un « rendez-vous citoyen » du Sénat, qui a eu lieu samedi dernier. Les lois peuvent-elles imposer une vision de l’histoire ? Peuvent-elles rétablir plusieurs années, voire plusieurs siècles plus tard, la justice ? Est-ce là le rôle de la loi ou plutôt celui de la mémoire ? Le législateur peut-il qualifier des faits historiques ? Comment l’historien peut-il travailler dans le cadre de ces lois et face aux enjeux de mémoire ? Autant de questions abordées par des spécialistes et de grands témoins réunis dans un hémicycle occupé au dernier siège par un public intéressé et attentif. « L’histoire est plus équitable que la mémoire dans la mesure où elle suppose une mise à distance », a souligné Christian Poncelet, citant le philosophe Paul Ricœur, récemment décédé, à l’ouverture du débat modéré par Jean-Pierre Elkabbach, PDG de la chaîne de télévision Public Sénat. « Je ne pense pas que la vérité historique puisse être décrétée par la loi ou le politique », a affirmé l’ancien ministre polonais des Affaires étrangères, Bronislaw Geremek. « Le juge n’est pas un historien », a souligné Guy Canivet, président de la cour de cassation. Evoquant les grands procès qui ont eu lieu ces dernières années (Papon, Bouvier…), le président de la cour de cassation a indiqué que « ces procès n’ont pas prétendu apporter la vérité historique. La justice a appliqué la méthode du procès et non de l’histoire. Ce sont des faits d’hommes et des charges appuyés par des témoignages qui ont été jugés. Les décisions rendues sont des condamnations précises contre des hommes ; cependant des condamnations peuvent construire l’histoire ».

Les historiens « pris en tenailles »

Marc Ferro, historien, ancien professeur d’histoire à Oran, considère que les historiens sont « pris en tenailles entre l’ordre politique qui veut nous dire ce qu’il faut dire ou ne pas dire, et l’ordre juridique qui s’est annexé un pan que l’histoire a négligé ». Il estime que « dans ces procès, les historiens sont tenus en laisse, ils doivent prêter serment ». L’historien relève une troisième composante, la société et sa mémoire. « La société cherche à se déculpabiliser de ce qu’elle a pu commettre. » Le philosophe René Rémond, membre de l’Académie française, président de la Fondation nationale des sciences politiques, souligne que l’historien cherche à établir les faits, le juge cherche la culpabilité. Il ajoute : « Lorsque l’historien s’insurge quand le législateur qualifie, ce n’est pas une attitude corporatiste, l’historien remplit une fonction sociale, ce qui ne veut pas dire que le législateur n’a pas de responsabilité. » La députée Christiane Taubira, à l’origine de la loi, en mai 2001, sur « la traite négrière et l’esclavage, crimes contre l’humanité », indique que « la mémoire est toujours instrumentalisée, soit pour reconstruire l’unité nationale, ou pour attiser des affrontements », mais qu’« on a besoin de savoir pour se restructurer ». En introduisant la question sur le colonialisme, Jean-Pierre Elkabbach signale que « l’Algérie reste au cœur des débats au moment où doit être signé le traité d’amitié entre la France et l’Algérie ». Evoquant la réaction du FLN à la loi du 23 février 2005, le modérateur ajoute que « lui-même (le FLN, ndlr) a fort à faire », souhaitant qu’il puisse donner aux historiens la liberté d’accès à ses archives.

« Une loi d’injonction »

Après avoir souligné que « la critique porte tout autant sur les abus de mémoire du côté algérien », l’historien Claude Liauzu rappelle qu’en vertu de la loi de 1881 sur la liberté de l’enseignement de l’histoire, l’Etat n’a pas à dire comment l’histoire doit s’enseigner. La loi du 23 février 2005 est « profondément mensongère quand elle prétend que la colonisation n’a eu que des aspects positifs ». Elkabbach l’interrompt : « Pour vous, elle n’a eu que des aspects négatifs. » Et Claude Liauzu de répondre : « Nous ne sommes pas manichéens. L’Inspection générale de l’enseignement a souligné que cette loi est dangereuse. » Sur la neutralité des historiens, Liauzu répond : « Nous avons un devoir déontologique. Les signataires de la pétition représentent des courants divers. » Que fait-on de l’article 4 lui demande Elkabbach. « Il faut l’abroger », répond Claude Liauzu. En avril, Claude Liauzu a lancé avec deux autres historiens, Gérard Noiriel et Gilbert Meynier, un mouvement de protestation qui a pris une grande ampleur contre les articles 4 et 13 de la loi du 23 février 2005. L’article 4 qui enjoint aux enseignants de reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », stipule que : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » L’article 13 réhabilite les anciens de l’OAS en les rétablissant dans leurs droits à la retraite. Thierry Le Bars, juriste, précise que le sens de ce texte de loi 3 est clair, l’interpréter, c’est le déformer. Le rôle positif en français et pour les juristes veut dire que ce rôle a été positif. Cela veut dire que les personnes qui font les programmes scolaires et celles qui les appliquent doivent expliquer à leurs élèves que la colonisation et le colonialisme ont été une action positive. Certains nous disent que le texte veut dire qu’à côté des aspects négatifs, il y a eu des côtés positifs qu’il ne faut pas oublier d’enseigner. Un représentant d’une association de pieds-noirs, s’adressant à Christiane Taubira, lui demande pourquoi la loi du 23 février 2005 suscite autant de réactions alors qu’elle est un « copié collé » de celle du 10 mai 2001 sur la traite négrière et l’esclavage. Christiane Taubira lui répond que « c’est en partie vrai, mais qu’ à la différence de la loi du 10 mai 2001 sur la traite négrière et l’esclavage, qui recommande la connaissance de cette période noire de l’histoire noire de l’humanité, la loi du 23 février 2005 assigne les professeurs d’histoire à une façon d’enseigner l’histoire. Dans la loi du 10 mai 2001, on n’est pas dans la logique de sommation, on attend que les historiens nous éclairent ». Invité à conclure le débat, René Rémond affirme que la loi du 23 février 2005 est « indéfendable dans sa rédaction car l’article 4 contient une prescription ».


[*50 ans : Les harkis (1956 – 2006)

Un colloque sur les harkis doit avoir lieu au printemps 2006 à l’initiative des associations harkis et droits de l’homme, LDH, Ligue de l’enseignement et UNIR. Pour ce faire, une série de réunions préparatoires non publiques, ouvertes aux membres des associations organisatrices et à leurs invités sont programmées. La première de ces réunions aura lieu le samedi 25 juin 2005 de 9h30 à 16h avec pour thème : « Les harkis pendant la guerre d’Algérie. »*]

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