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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024
Zineb Ali Benali (Photo : Riad)

libération de l’histoire au colloque d’Alger (1er–3 juillet 2012)

Ainsi que l'avait souhaité Benamar Mediene, certaines des interventions au colloque “Algérie 50 ans après : libérer l’Histoire” organisé à Alger par La Tribune et le CNRPAH du 1er au 3 juillet 2012, à la veille du cinquantenaire de l'indépendance, ont permis de sortir de "la vision sacralisante de l’histoire"1. Au yeux de l’universitaire, la "sacralité" et l’"instrumentalisation" entravent la libération de l’histoire, en raison de la notion même de "génération de novembre" qui, selon ses propres dires, n’a pas lieu d’exister, car, "au déclenchement de la guerre de libération, il y avait des hommes et non une génération entière". Les interventions au colloque de deux universitaires illustrent cette évolution : Zineb Ali Benali a évoqué les femmes violées par l'ALN, et Dalila Aït-El-Djoudi a traité des prisonniers français de l'ALN. Ci-dessous les entretiens qu'elles ont accordés à La Tribune et qui ont été recueillis par Badiâa Amarni.
Zineb Ali Benali (Photo : Riad)
Zineb Ali Benali (Photo : Riad)

«Ecrire la vérité sur les femmes violées par l’ALN»

par Zineb Ali Benali

professeur de littérature à l’Université Paris VIII
1

  • Pourriez-vous d’abord nous parler de votre intérêt à l’histoire ?

Je suis professeur de littérature, je m’intéresse aux littératures francophones qui s’écrivent mais également à la littérature orale, parce que tout ce que font les femmes m’intéresse notamment la façon dont elles racontent le monde, et leur vision du monde, la guerre, les chants etc. Je travaille aussi bien sûr sur un corpus en arabe qu’en chaoui. Et là ce que j’ai choisi de présenter c’est la lutte de libération, du côté des femmes, avec une question théorique du genre, c’est-à-dire les rapports inégaux entre hommes et femmes, avec une question de méthode c’est comment écrire le monde, l’oubli, la perte. C’est-à-dire que les femmes n’ont pas la même place que les hommes dans l’histoire et comment essayer d’aller contre ça? Donc j’ai fait un développement théorique et j’ai pris ensuite deux exemples de moudjahidate. Je suis partie d’une question d’une moudjahida qui m’a dit que reste-t-il de moi ? Et ce terrible que reste-t-il de moi ? cela veut dire qu’elle fait le bilan à partir de maintenant sur le passé et, en fait, dans le constat il y a peut être une perte. L’autre exemple que j’ai pris ce sont les femmes harkis. Les harkis sont aussi les perdants de la guerre, surtout de notre côté. Il y a eu dans un petit village rural qui s’appelait Katina, dans le département de Constantine, des femmes organisée en harka, ça a duré un an et demi, de 1959 à 1961, après elles ont été éliminées. Donc, elles sont perdantes de la guerre, ça c’est clair, ce sont les traitresses, et tout ce qu’on voudra, mais moi ce qui m’intéresse, et en m’interrogeant sur l’itinéraire des femmes dans la guerre, c’est qu’est ce qui a fait que ces femmes sont allées là dedans ? Qu’est-ce qui fait qu’elles se sont senties concernées ? Et quand je regarde leurs photos je vois des femmes avec des vêtements un peu hétéroclites. Elles peuvent avoir l’uniforme militair français, elles peuvent avoir une arme et elles ont les signes de la ruralité, des foulards, des tatouages. Et la façon qu’ont ces femmes sur les photos est intéressante, elles sont là, elles sont tendues, elles peuvent regarder ceux qui les regardent ou elles peuvent ne pas les regarder. Voilà, tout ça moi ça me parle et j’essaye de faire parler, et je me dis comment je peux construire une démarche d’écriture qui ne me fera pas rater les femmes de Katina? C’est ces itinéraires de femmes qui m’intéressent et qui ont fait bousculer le destin.

  • Vous avez évoqué les cas de femmes violées ?

Il y a eu des viols de femmes. Je le sais par des entretiens, par des confidences très rapides faites par des femmes ou par des entretiens que des historiens sont en train de mener, qu’il y a eu des viols du côté du FLN et moi je sais par exemple que dans la région des Chaouia il y a eu dès le début des exécutions et des condamnations pour les violer ; mais ça ne veut pas dire les éliminer. Dans le journal de Mouloud Feraoun il évoque des femmes qui sont plus ou moins violées, on va dire des femmes de confort qui sont du côté du FLN et du côté des Français et qui sont exécutées, qui sont égorgées, etc. C’est là une vérité de l’histoire dont on ne parle pas et qu’il faut évoquer. Tout homme armé dans un contexte de violence est un violeur en puissance. C’est une vérité un peu à l’emporte pièce mais je crois qu’il faut en parler, et c’est les rapports de genre de la violence et de l’inégalité qui permettent de penser cela. Donc finalement l’image idyllique de la guerre de libération ne tient pas là. Et cela ne réduit pas pour autant ce rôle formidable d’un peuple qui a osé mettre dehors la quatrième armée du monde de l’époque. Mais il faut aussi qu’on regarde nos erreurs, nos fautes, essayer d’en parler et bien sûr de l’inscrire dans l’histoire. Le viol des femmes par les gens de l’ALN ça a existé, ça ne diminue pas l’élan formidable du FLN, ça ne diminue pas la lutte, bien au contraire, mais il faut dire qu’il y a eu des erreurs, des bêtises, des fautes et des crimes.

  • Quel regard portez-vous sur l’écriture de l’histoire en Algérie ?

Pendant longtemps, il y a eu une sorte presque de figement de cette histoire en ce sens que le travail des historiens n’était pas visible. Maintenant il commence à être visible. Moi je crois qu’il y a une historiographie algérienne très intéressante. Quand je dis algérienne, elle est écrite par les Algériens, et par les historiens du monde entier aussi bien en France, qu’aux Etats-Unis, qu’en Allemagne, en Italie etc. Cette historiographie existe et c’est une historiographie d’enquête, qui se veut aussi rigoureuse que possible. Ce qui manque c’est la médiation, c’est l’enseignement dans le primaire, et le secondaire qui est actuellement catastrophique. Ça reste à faire. Ce qui est formidable aussi c’est l’édition. Il y a énormément de mémoires, de gens qui racontent leur histoire, et ça c’est important, ça met à la disposition des historiens mais également des gens comme vous et moi, les mémoires des gens qui ont été acteurs dans l’histoire. Ce n’est pas suffisant mais c’est déjà un grand pas. Et surtout il faut faire vite. Le travail d’archivage, de collecte des témoignages, et de documents est très important, il se fait de façon massive mais il faudrait que les historiens soient plus nombreux là-dessus.

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Dalila Aït-El-Djoudi (Photo : DS. Zoheir)
Dalila Aït-El-Djoudi (Photo : DS. Zoheir)

«Les prisonniers de l’ALN font partie des oubliés de la guerre d’Algérie»

par Dalila Aït-El-Djoudi

chercheur associé à l’IEP d’Aix-en-Provence et enseignante en histoire2

  • Vous dites que les prisonniers de l’ALN font partie des oubliés de la guerre d’Algérie. Pourriez-vous nous dire un peu plus à ce propos ?

Oui les prisonniers font partie des oubliés tout simplement parce qu’il n’y a pas eu d’études menées à ce sujet et, comme je l’ai dit précédemment dans mon exposé, c’est en travaillant sur l’image des combattants français, dont les relations entre les militaires des deux camps (puisque je m’intéresse à l’histoire militaire comparative), que j’ai trouvé des documents qui relatent cette question des prisonniers et qui m’a tout de suite interpellée et intéressée. Ce qui m’a frappé le plus lors de mes recherches concernant ces prisonniers c’est la divergence entre les directives internes, qui étaient destinées à l’opinion publique internationale, et les circulaires qui étaient destinées aux combattants eux-mêmes, aux cadres de l’Armée de libération nationale, et ce qui m’a surpris ce sont les témoignages des anciens combattants quand ils évoquent des faits de fraternisation, lorsque les combattants des deux camps se font , on va dire, des faveurs à certains moments pour laisser la vie sauve à l’autre lorsqu’il s’agit d’un prisonnier, ou lors d’un accrochage par exemple. Et ce sont toutes ces anecdotes, qui font l’histoire, qui sont intéressantes et qui enrichissent les documents d’archives.

  • Vous avez axé, dans votre intervention, sur les traitements réservés aux prisonniers français notamment par le colonel Amirouche dans la wilaya III ? Qu’en est-il d’autant que les prisonniers algériens ont subi les plus pires des tortures?

Oui tout à fait. Les Algériens avaient bien conscience de la différence de traitement, et, par rapport à la lutte qui était menée, les commissaires politiques avaient la charge justement de montrer à l’opinion publique internationale que les prisonniers étaient bien traités. C’était vraiment une image importante pour eux et c’est ça qui est évoqué concernant les anecdotes sur Amirouche, authentifiées par de nombreux témoins plutôt fiables. Puisque, là aussi, il faut s’interroger sur la fiabilité des témoignages, parce que lorsqu’on recoupe une multitude de témoignages qui vont dans le même sens en lien avec des directives ou des documents, ça permet d’avoir un peu plus de vérité. Entres autres ce qui revient dans les anecdotes c’est que le colonel Amirouche a offert sa montre à un des prisonniers. Là ça fait partie du mythe, ça fait partie de la propagande officielle et ça c’est vraiment quelque chose qui s’est transmis d’anciens combattants à anciens combattants et c’est évoqué par tout le monde. Donc comme je le disais, après il y a eu des fiches des services de renseignements qui montraient qu’effectivement cela avait eu lieu. Cela ne signifie pas que le colonel Amirouche ait destiné effectivement ce même traitement à tout le monde. Ça a eu lieu parce que, à un certain moment, il a voulu marquer le coup pour l’opinion publique internationale mais, comme je le disais tout à l’heure, dans une autre directive plus secrète à usage interne les propos étaient différents.

  • Qu’est ce qu’il y a lieu de faire pour remédier à cette omission dans l’écriture de cette facette de l’histoire ?

Je tente d’écrire actuellement un ouvrage sur cette thématique et d’approfondir ce chapitre que j’avais déjà abordé initialement lors de ma thèse. Donc c’est mon objectif actuellement, étant donné que c’est un champ vaste et ouvert pour remédier à cette lacune.

  1. L’intervention de Mme Ali Benali Zineb s’est déroulée le lundi 2 juillet entre 9h et 11h, lors de la séance 5 présidée par BENDANA Kmar.

    Source de l’interview : http://www.latribune-online.com/suplements/dossier/69692.html.
  2. L’intervention de Mme Aït-El-Djoudi s’est déroulée le lundi 2 juillet entre 11h30 et 13h, lors de la séance 6 présidée par MELASUO Tuomo.

    Source de l’interview : http://www.latribune-online.com/suplements/dossier/69686.html.
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