Lettre ouverte à Manuel Valls, ministre de l’Intérieur
Saint-Denis, le 30 mars 2013
Objet : Insertion des familles Roms et scolarisation de leurs enfants
Demande d’audience avec des familles et enfants concernés
Monsieur le Ministre,
Vous avez déclaré récemment dans un grand quotidien que la création de villages d’insertion pour des familles roms « ne peut concerner qu’une minorité car, hélas, les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution ». Cette généralisation nous interroge.
A plusieurs endroits d’Ile de France, en Essonne, Seine Saint-Denis ou dans le Val d’Oise, des membres de notre association de défense des droits des enfants accompagnent certaines de ces familles et peuvent attester du contraire. Des parents font preuve d’une grande détermination à s’insérer mais sont empêchés par les restrictions de droit au séjour, d’accès au travail et par les évacuations à répétition de leurs campements. Nous accueillons donc avec espoir votre intention annoncée d’explorer de nouvelles voies comme « l’ouverture du droit au séjour et au travail pour les personnes employables et qui souhaitent s’intégrer » et espérons que vous proposerez prochainement des modifications
du CESEDA1 dans ce sens.
Nous espérons également que vous allez, avec les autres ministres du gouvernement, inciter les collectivités territoriales à créer des villages d’insertion pour ces familles, qui permettent un hébergement dans des conditions plus dignes que dans les campements de fortune actuels. Des crédits sont disponibles à cet effet au niveau de l’Union européenne : sollicitons-les.
Quant aux enfants, nous pouvons attester avec encore plus de force qu’ils veulent aller à l’Ecole, mais sont le plus souvent empêchés, non pas tant par leurs parents – même si ces derniers peuvent parfois privilégier des stratégies de survie plutôt que la scolarisation de leurs enfants – mais trop souvent par des refus d’inscriptions de maires peu respectueux de la loi, ou encore lorsqu’ils sont scolarisés, parce qu’ils voient leur scolarité interrompue par les évacuations de leurs camps et la destruction de leurs affaires. Les conditions de vie difficiles ainsi que la peur et l’angoisse générées chez ces enfants par la présence policière quasi quotidienne sont également des obstacles forts à une scolarité dans de bonnes conditions. Ces obstacles relèvent de l’action de la puissance publique et conduisent, dans une sorte de maltraitance institutionnelle, à priver ces enfants de leurs droits d’accès à une scolarité pérenne comme tous les autres enfants.
Votre volonté affichée d’une scolarisation accrue des enfants roms ne peut donc que recueillir notre approbation. Elle commence par une intervention rapide des préfets partout où des maires refusent d’appliquer la loi, et par l’application de la circulaire du 26 août 2012 : plus aucune évacuation de terrains ne doit être menée sans solution qui assure la continuité de la scolarisation des enfants et des solutions de relogement dignes pour leurs familles.
Nous constatons malheureusement, une nouvelle fois avec l’évacuation ce jeudi 28 mars du camp du Moulin Galant dans l’Essonne, que la circulaire n’a pas été appliquée. Une réunion en préfecture a été convoquée en urgence la veille, sous la pression d’une occupation d’un bâtiment désaffecté à Corbeil. Contrairement aux promesses qui ont alors été faites aux familles, aucune solution digne de ce nom ne leur a été proposée au moment de l’évacuation : 3 nuitées en hôtel social très loin de l’école que fréquentent ces enfants, personne pour les y accompagner, puis… le 115, c’est tout. Des OQTF2 ont été distribuées, y compris à une jeune mère en service civique dont les efforts d’insertion ne sont plus à démontrer depuis 5 ou 6 ans … OQTF heureusement annulée 2 jours plus tard !
Ce n’est que maintenant que des perspectives de solution semblent en discussion au Conseil général de l’Essonne pour certaines familles, alors qu’elles ont été dispersées, certaines dans des hôtels sociaux très loin de Corbeil, d’autres parties d’elles-mêmes, dont on a perdu la trace, et alors que les enfants ont subi de plein fouet le contrecoup de cette nouvelle expulsion et sont très déprimés ; sans qu’on sache exactement comment les joindre ni qui pourra les accompagner pour faire valoir leurs droits compte-tenu des solutions proposées, ni quand ces solutions pourront être mises en oeuvre… Une situation
de grand désordre donc, au détriment évident des droits de ces enfants, irrespecteuse de l’anticipation voulue par la circulaire du 26 août.
Il y a là une contradiction incompréhensible. On n’insère pas des personnes en
détruisant systématiquement tous leurs efforts visant à s’insérer dans une vie sociale qu’ils ont parfois déployée depuis des années comme au Moulin Galant et ailleurs. Certains enfants entrent dans une véritable spirale négative suite aux évacuations et déscolarisations répétées ; comment s’étonner si par la suite on les trouve sans lien, sans attache et sans avenir, à errer dans les espaces publics et y commettre des actes répréhensibles ? On ne peut prétendre lutter contre la délinquance dans laquelle ces populations prétendument se complairaient, si dans le même temps on crée les conditions de déscolarisation qui favorisent la délinquance future de leurs enfants. C’est là une question de sécurité de notre société. On ne peut pas non plus prétendre insérer ceux
d’entre eux qui le souhaitent si l’on fait de leurs enfants des illettrés.
Nous vous invitons, Monsieur le Ministre, à mettre en cohérence d’une part votre volonté affichée dans la circulaire et réaffirmée dans la presse de favoriser la scolarisation des enfants et l’insertion des personnes qui le souhaitent, et d’autre part certaines pratiques de préfectures et de représentants d’autorités publiques sur le terrain.
Nous avons apprécié que le Premier ministre confie à la DIHAL3 une mission envers ces populations et souhaitons que les différents départements ministériels du Gouvernement parviennent à une réelle mise en oeuvre des circulaires promulguées en 2012.
Nous vous proposons également, Monsieur le Ministre, conformément aux articles 3 et 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant qui s’impose à nous tous, d’entendre de vive voix ce qu’ont à vous dire les enfants roms qui vivent dans leur chair la réalité de ces situations afin que vous puissiez enfin mettre en oeuvre une politique respectueuse de leur intérêt supérieur, qui contribuerait au final à l’intérêt futur de notre société.
Nous sollicitons donc de votre bienveillance une audience où nous viendrions
accompagnés de certains de ces enfants et de ces jeunes que nos membres, avec d’autres ONG et associations, accompagnent au quotidien.
Espérant une réponse favorable de votre part, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’expression de notre considération la meilleure
Pour le conseil d’administration de DEI-France Sophie Graillat
Présidente
Copies à : Monsieur le Président de la République
Monsieur le Premier ministre
Monsieur le Défenseur des droits
Madame la Présidente de la CNCDH4