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les têtes des résistants algériens du Musée de l’homme

Le premier à avoir attiré l'attention de l'opinion publique sur la présence dans des musées français de restes mortuaires algériens est Ali Farid Belkadi qui a lancé en mai 2011 une pétition adressée au gouvernement algérien ... restée sans suite 1. Le 18 mai 2016, Brahim Senouci a lancé une nouvelle pétition que nous vous incitons à signer 2 ; cette dernière dépassait les 3 000 signataires au cours de la journée du 13 juin. Ci-dessous un appel de François Gèze, suivi d'un article de Rosa Moussaoui. Il faut les lire pour ne pas oublier ...
[mise en ligne le 9 juin 2016, mise à jour le 13]

Restitution des têtes des résistants algériens détenues au Musée de l’homme »

par François Gèze, sur son blog Mediapart, le 11 juin 2016]

Le 18 mai 2016, un écrivain et militant algérien résident en France, Brahim Senouci (bravo pour son initiative), a lancé une pétition sur le site Change.org pour demander à l’État français de faire rapatrier en Algérie les crânes des insurgés algériens de Zaatcha, massacrés par l’armée française en 1849, crânes entreposés dans les sous-sols du Musée de l’homme, à Paris. Cette pétition doit être largement signée« Restitution des têtes des résistants algériens, détenues par le Musée de l’homme ».

En voici le texte : « Les restes mortuaires de dizaines d’Algériens qui ont résisté à la colonisation française au xixe siècle, morts au champ d’honneur, sont entreposés dans de vulgaires cartons, rangés dans des armoires métalliques, au Musée de l’homme de Paris. Ces restes, des crânes secs pour la plupart, datant du milieu du xixe siècle, appartiennent à Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, dit Chérif “Boubaghla” (l’homme à la mule), au Cheikh Bouziane, le chef de la révolte des Zaatchas (région de Biskra en 1849), à Moussa El-Derkaoui et à Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui. La tête momifiée d’Aïssa Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du Chérif Boubaghla, fait partie de cette découverte, de même que le moulage intégral de la tête de Mohamed Ben-Allel Ben Embarek, lieutenant de l’Émir Abdelkader. Il faut que ces restes soient rapatriés en Algérie pour y recevoir une digne sépulture ! »

Cette pétition est très importante : elle peut contribuer à faire connaître (et reconnaître) les horreurs perpétrées en Algérie durant 132 ans par les régimes colonialistes français, de la monarchie en 1830 jusqu’au Second Empire et aux Républiques, de la IIe à la Ve. Une réalité largement effacée de l’histoire officielle française et toujours amplement occultée aujourd’hui, malgré les efforts et les nombreuses publications d’historiens et de militants, en Algérie comme en France.

J’ai eu connaissance de cette pétition, trois semaines après son lancement, grâce à un article de L’Humanité du 8 juin 2016 (« Algérie : les crânes de l’amnésie »), qui doit être aussi remerciée. Elle doit être reprise dans tous les réseaux possibles, car il est essentiel qu’elle soit signée par toutes celles et ceux qui, en France et en Algérie, jeunes et moins jeunes, sont engagés dans le combat pour la reconnaissance de la face sombre de l’histoire de la République française, celle du racisme et de la xénophobie d’État. Une reconnaissance nullement synonyme de « repentance », catégorie absurde inventée par les négationnistes de l’histoire coloniale française pour nous discréditer. Elle est simplement un outil indispensable dans la double lutte contre le racisme « postcolonial » en France même, et contre les aventures militaires du « néoimpérialisme » français dans ses anciennes colonies.

François Gèze

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Algérie : les crânes de l’amnésie

par Rosa Moussaoui,
L’Humanité, le 8 juin 2016

Une pétition 1 demande la restitution à Alger des crânes des insurgés de Zaatcha, entreposés dans les sous-sols du musée de l’Homme, à Paris.

Ils sont numérotés, entreposés dans des boîtes, dans les armoires métalliques de quelque obscur sous-sol du musée de l’Homme, à Paris. Les crânes des résistants algériens tués, puis décapités en 1849, lors de la célèbre bataille de Zaatcha, furent longtemps exposés comme des trophées de guerre, avant d’être remisés dans les collections du Muséum d’histoire naturelle. L’historien et anthropologue Ali Belkadi a retrouvé la trace de ces restes mortuaires en 2011. Aussitôt, le chercheur alertait les autorités algériennes. Une première pétition était lancée pour demander la restitution de ces têtes, dont celles des chefs de l’insurrection des Zibans. Bou Amar Ben Kedida, crâne n° 5943 dans les registres du Muséum. Boubaghla, crâne n° 5940. Mokhtar Al Titraoui, crâne n° 5944. Cheikh Bouziane, crâne n° 5941. Si Moussa Al Darkaoui, crâne n° 5942. Aïssa Al Hamadi, lieutenant de Boubaghla, tête momifiée n° 5939. D’Alger, aucune réponse n’est venue. Quant à la pétition, elle n’a reçu, à l’époque, que peu d’écho. « Personne ne s’en est vraiment préoccupé. S’agissant de l’histoire coloniale, l’oubli est une caractéristique partagée, des deux côtés de la Méditerranée. Mais, depuis, cette histoire nous hante. C’est la raison pour laquelle nous avons relancé une pétition en ligne (1), qui compte aujourd’hui 1 650 signataires », relate l’écrivain et journaliste Brahim Senouci, à l’origine de l’initiative.

Des scènes d’horreur accompagnent la défaite indigène

Épisode oublié de la conquête coloniale, la bataille de Zaatcha témoigne pourtant de la résistance farouche que les indigènes opposèrent aux troupes françaises. Résistance à laquelle répondit une répression barbare. « Lors de la reddition d’Abd El Kader, en décembre 1847, les Français crurent que c’en était fini des combats en Algérie. Mais, alors que le danger était surtout à l’ouest, il réapparaît dès 1849 à l’est, dans le Sud constantinois, près de Biskra. Là, un moqaddem, Ahmed Bouziane, dit le cheikh Bouziane, leva des troupes et se retrancha dans l’oasis de Zaatcha. L’armée française, envoyée en hâte, subit un premier revers le 17 juillet 1849 et entama alors un siège, qui ne s’acheva que le 26 novembre, après un très violent combat. La répression qui s’ensuivit fut impitoyable », résume Alain Ruscio, historien de la colonisation. Dernier capturé, le cheikh Bouziane est fusillé, ses fidèles, sa famille sont sauvagement massacrés, comme le reste de la population. « Un aveugle et quelques femmes furent seuls épargnés », se flatte le général Herbillon dans un rapport daté du 26 novembre 1849.

Un témoin de l’époque, Louis de Baudicour 2, décrit les scènes d’horreur qui accompagnent la défaite indigène. « Les zouaves, dans l’enivrement de leur victoire, se précipitaient avec fureur sur les malheureuses créatures qui n’avaient pu fuir. Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme une grâce d’être achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille. » Après leur exécution, les chefs de l’insurrection sont décapités. Leurs têtes, plantées au bout de piques ou de baïonnettes, sont exhibées en signe de victoire. « Pour qu’il ne restât aucun doute aux Arabes sur le sort justement mérité des principaux fauteurs de l’insurrection, leurs têtes furent exposées dans le camp de M. le général Herbillon », rapporte le Moniteur algérien dans son édition du 30 novembre 1849.

Une authentique relation d’amitié implique la fin de ce séquestre

Un siècle et demi plus tard, le statut de ces restes mortuaires est le cruel symbole de la barbarie de la conquête de l’Algérie. Il témoigne, aussi, des politiques d’oubli que partagent l’ex-métropole et l’ex-colonie. Pour l’État français, ces têtes sont de simples « objets scientifiques ». Comme les têtes maories restituées à la Nouvelle-Zélande en 2012, le crâne du chef insurgé kanak Ataï, rendu à ses descendants en 2014, ou encore la dépouille de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », rapatriée et inhumée en Afrique du Sud en 2002. « Nous prêtons une grande attention à ces restes humains, que nous conservons du mieux possible avec les moyens qui nous sont alloués, insiste Michel Guiraud, le directeur des collections du Muséum d’histoire naturelle. Mais les demandes de restitution, si elles n’émanent pas des descendants, doivent transiter par les États. En dernière instance, la décision revient au politique. Pour sortir ces objets du patrimoine, il faut passer par une loi. »

Entre les deux rives de la Méditerranée, une authentique relation d’amitié implique la fin du séquestre de ces restes mortuaires. Le retour et l’inhumation en Algérie des crânes des insurgés de Zaatcha seraient un acte précieux de mémoire, de réparation et d’humanité.

Rosa Moussaoui,

  1. Pétition publiée sur le site change.org.
  2. La guerre et le gouvernement de l’Algérie, Louis de Baudicour, 1853.
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