Une situation indigne, inhumaine et dégradante
Durant l’année 2015, 11 128 personnes se sont faites évacuées de force par les autorités de 111 lieux de vie. 410 personnes ont dû quitter cinq lieux de vie faisant suite à un incendie. Ces chiffres indiquent que 60 % des personnes recensées occupant des bidonvilles ont été évacuées de force durant l’année 2015, dont la moitié durant les mois de l’été.
Il y eut 76 évacuations forcées faisant suite à une assignation devant les tribunaux par les propriétaires des terrains ou des squats, 31 faisant suite à un arrêté d’insalubrité ou de péril pris par la mairie ou le préfet et quatre abandons de bidonville par les personnes elles-mêmes, sous la menace d’une évacuation forcée imminente. Sur les 111 évacuations effectuées par les autorités, des solutions d’hébergement temporaires n’ont été proposées que 29 fois. À la suite des 82 autres évacuations, les familles ont été tout simplement mises à la rue par les forces de l’ordre. Durant les cinq évacuations faisant suite à un incendie, il y a eu deux solutions d’hébergement d’urgence mises en place.
Depuis le début de l’année, la région Ile-de-France continue de concentrer 62 % des personnes évacuées.
L’analyse des terrains selon le type de propriétaire montre que pratiquement 80 % des terrains évacués de force sont publics et, de plus, seuls 5 % de ces terrains publics font l’objet d’un projet justifiant cette évacuation. Comme la répartition de l’occupation des terrains privés ou publics est plus ou moins égale, on voit qu’on a beaucoup plus de chances d’être évacué quand on occupe un terrain public. Ces évacuations forcées sont donc l’expression d’une volonté politique de rejet émise par un ensemble d’autorités étatiques. Nous assistons donc bien à une discrimination systémique de la part de l’État vis-à-vis de ces populations. Ceci démontre aussi que cette politique d’évacuation forcée systématique n’est pas mise en place pour défendre la propriété privée (prétexte souvent employé), puisque les propriétaires sont publics dans la très grande majorité des cas.
Nous considérons que la circulaire du 26 août 2012 n’est plus qu’une lettre morte.
Les condamnations internationales à l’encontre de la France sont lourdes et claires, comme celles du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, du Comité des droits de l’Homme des Nations unies, du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.
« Il apparait de plus en plus clairement qu’il existe une politique nationale systématique d’expulsions de force des Roms », a dit le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein.
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Cette politique d’expulsions est indigne car elle ne fait qu’aggraver la situation de précarité de ces personnes ; elle est inhumaine car elle jette des familles, des femmes et des enfants à la rue ; elle est dégradante car, depuis déjà des années, ces personnes sont inlassablement pourchassées, d’expulsion en expulsion, sans aucune proposition de solution alternative de relogement.
D’autre part, nous observons que le Conseil d’État a condamné l’État à rendre la « jungle » de Calais (où vivent 6 000 migrants) plus digne « pour « faire cesser les atteintes graves » portées « aux libertés fondamentales des migrants se trouvant sur le site » ». Cette décision devrait faire jurisprudence.
Ce n’est donc pas seulement pour les Roms, mais pour l’ensemble des populations vivant dans une extrême précarité que nous demandons la suspension des expulsions systématiques, la sécurisation des bidonvilles et leur assainissement, la mise en place de solutions adaptées pour l’insertion des familles à travers le droit commun et ceci avant toute expulsion, pour toutes les familles et sur tout le territoire. Le suivi de ces politiques devrait être organisé dans le cadre d’un dialogue permanent entre les pouvoirs locaux (communes, collectivités territoriales), les autorités régionales et nationales et les acteurs publics et associatifs actifs dans les bidonvilles.