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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

les “retours humanitaires” forcés des Roms

Depuis que la Bulgarie et la Roumanie sont membres de l'Union européenne, les Bulgares et les Roumains sont citoyens européens, et ne sont donc plus aussi facilement expulsables que par le passé. Pour pouvoir reprendre les expulsions des Roms, il suffit de les qualifier de « retours humanitaires ». Notre ministre de l’Immigration arrivera-t-il ainsi à atteindre l’objectif de 25 000 reconduites à la frontière qui lui a été fixé pour 2007 ?
[Première mise en ligne le 6 nov. 07, complétée le 29 déc. 07]

Les « retours humanitaires » de Roms se sont accélérés

par Anne Rodier, Le Monde du 30 décembre 2007

Mal-aimés dans la plupart des pays de l’Union européenne, les Roms subissent en France les conséquences de l’objectif de reconduites à la frontière fixé à 25 000 personnes pour 2007. Ce chiffre s’est traduit par une augmentation des rapatriements. Depuis l’automne, ils sont l’objet d’une nouvelle pratique, qui s’est généralisée, selon les organisations non-gouvernementales : le « retour humanitaire » par car, justifié par un « état de dénuement » ou « une situation irrégulière », selon la circulaire du 7 décembre 2006.

« Les Roms sont une cible privilégiée », affirme Malik Salemkour, vice-président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). « Huit cent soixante-six Roms, de nationalité roumaine ou bulgare » ont été rapatriés depuis août, indiquait le ministère, à la mi-novembre. « Il est apparu opportun de raccompagner ces personnes dans leur pays, et qu’en Roumanie des programmes d’insertion prennent le relais », explique-t-on au cabinet de M. Hortefeux.

Médecins du monde s’est inquiété, dès septembre, d’« évacuation systématique de la population rom […], cassant le travail des équipes mobiles (protection maternelle, lutte antiturberculeuse) ». Le député socialiste du Nord Patrick Roy avait relayé cette préoccupation auprès du ministère de l’immigration, qui avait répondu que « l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (Anaem) a organisé le retour volontaire dans leur pays d’origine de Roms en situation de grande précarité ». Pour la LDH, il s’agit plutôt de « retours forcés ».

Les opérations menées en Seine-Saint-Denis suivent un scénario identique. Les responsables de l’Anaem accompagnés de la police investissent les campements. « A Saint-Etienne, en septembre, ils venaient tous les jours », témoigne Georges Gunther, du Réseau de solidarité avec les Roms. « Ils leur donnent à choisir entre la prison et l’expulsion immédiate avec l’aide au retour », dénonce la LDH. « A Lyon, rien de tel », réplique le préfet Jacques Gérault, qui affirme avoir « donné des ordres fermes pour que le caractère volontaire des départs soit respecté ».

Les Roms qui acceptent de partir bénéficient d’une aide au retour, qui a été majorée fin novembre à 300 euros (contre 153) par adulte et 100 euros (contre 56) par enfant jusqu’en février 2008 : un argument convaincant, le retour en France coûtant moins de 100 euros.

PASSER LES FÊTES EN ROUMANIE

Les ONG dénoncent une volonté de faire du « chiffre ». Le ministère ne cache pas que ces retours humanitaires sont comptabilisés dans les 25 000 reconduites à la frontière fixées pour 2007. « Leur accélération a immédiatement suivi le constat de retard de cet objectif », déplore Michèle Mezard, responsable de la mission rom de Médecins du monde.

Or, depuis l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne, en janvier, les Roms de ces deux pays régulièrement expulsés « reviennent, comme ils en ont parfaitement le droit en tant que citoyens européens », relève Saimir Mile, porte-parole de la Voix des Roms. Au cabinet de M. Hortefeux, on indique pourtant vouloir « mettre en oeuvre, dans les mois qui viennent, un système biométrique pour les personnes qui bénéficient d’une aide au retour ».

Dans un article du quotidien roumain Adevarul du 17 décembre, des Roms expulsés de banlieue parisienne se réjouissaient d’avoir bénéficié de l’aide de l’Anaem pour passer les fêtes en Roumanie, avant de revenir début janvier.

Anne Rodier

Les retours humanitaires forcés : un nouveau concept !

Communiqué du 5 novembre 2007

Action collective, dont sont signataires la LDH et le collectif Romeurope

Le ministre de l’Immigration a bien du mal à atteindre l’objectif de 25.000 reconduites à la frontière qui lui a été fixé pour 2007… Il s’en était justifié en août dernier en mettant en avant « la difficulté d’expulser Roumains et Bulgares », dont les pays sont désormais membres de l’UE, ce qui rend les procédures « plus complexes ». Il vient de trouver une solution : des dispositifs d’aide au « retour humanitaire », instaurés par une circulaire de décembre 2006, ont été utilisés à plusieurs reprises pour habiller des opérations d’expulsion de ces nouveaux citoyens européens.

A Bondy (93) le 26 septembre dernier, à Saint Denis le 10 octobre, Bagnolet le 24, et dans d’autres villes encore, la police a investi à l’aube des terrains occupés par des Rroms, ressortissants bulgares ou roumains selon les cas, a fait monter les habitants dans des bus affrétés tout exprès, et leur a donné à choisir entre « la prison » ou « l’expulsion immédiate avec l’aide au retour ». Personne n’a été autorisé à récupérer ses affaires, ni à présenter les documents qui auraient pu prouver qu’il remplissait toutes les conditions pour avoir le droit de rester durablement en France. Ceux qui avaient sur eux leurs passeports se les ont vus confisquer. Les bus ont emmené tout le monde directement en Bulgarie ou en Roumanie, quasiment sans faire de halte.

A l’arrivée, des chèques correspondants à la fameuse « aide au retour » ont été remis à chacun des passagers de ces bus, d’un montant de 153 euros pour les adultes et de 46 euros pour les enfants.

Les expulsions de terrains occupés parfois depuis des années par des Rroms, de quelque nationalité qu’ils soient, ne sont pas exceptionnelles. Dès le début de l’été, ces expulsions ont accompagnés de distribution en rafales d’OQTF (Obligation à quitter le territoire français), motivées de façon plus que fantaisistes. Les opérations de ces dernières semaines sont, elles, d’un genre tout nouveau, où se conjuguent brutalité et mépris total du droit.

Les victimes de ces retours forcés sont en effet des citoyens européens, et depuis janvier 2007, Bulgares et Roumains, à l’instar des ressortissants des dix Etats devenus membre de l’UE en mai 2004, jouissent du droit à la libre circulation en Europe.

En cas de contestation de ce droit en France, il doit leur être remis une OQTF dûment motivée. Seulement voilà : une mesure administrative est susceptible de recours, et la procédure qui s’ensuivrait empêcherait d’exécuter l’expulsion du territoire ou rendrait difficile de l’exécuter rapidement. Or il faut faire du chiffre ! Et peu importe que les personnes chassées reviennent quelques semaines après…

Par bonheur, une circulaire de fin 20061 organise des retours dits « humanitaires » gérés par l’ANAEM, pour les étrangers en situation irrégulière ou de dénuement. Quelle aubaine ! Partout en France on s’est empressé d’utiliser ce dispositif.

Certes, la circulaire détaille toute une procédure à mettre en oeuvre : information, préparation d’un projet de réinstallation, accompagnement personnalisé avant le départ et le cas échéant à l’arrivée dans le pays de retour. Dans les opérations des dernières semaines, rien de tout cela n’a été respecté : ni vérification du droit au séjour des intéressés, ni notification d’une OQTF, ni information, ni enquête sociale… Rien, sinon les 153 euros, gages apparemment qu’il s’agit bien de la procédure ANAEM de retour « humanitaire ».

Nicolas Sarkozy, lors de sa récente visite en Bulgarie, a déclaré, évoquant le sauvetage des infirmères bulgares, que tout « opprimé (…) devient automatiquement français »!! Le paradoxe entre les larmes versées sur les infirmières bulgares (en Bulgarie) et le traitement réservé aux Bulgares (en France) est aussi éclatant que celui qui associe l’idée d’aide au retour « humanitaire » avec le sordide de ces rafles manées au petit jour, dans la précipitation, sous les menaces et le chantage, avec destruction de tous les biens des personnes raflées… Nouvelle figure de l’humanitaire, ces citoyens européens enfermés à bord de bus roulant à tombeau ouvert ?…

Signatures :

ASAV

Association de solidarité aux familles roumaines de Palaiseau-Massy-Chuilly-Wissous

Association de solidarité Rroms Val d’Oise

C.L.A.S.S.E.S

Collectif d’aide aux familles Rroms de Roumanie pour le Val d’Oise et les Yvelines

FNASAT

Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés)

La Voix des Rroms

LDH (Ligue des droits de l’Homme)

PARADA

PROCOM (à Bordeaux)

Réseau de solidarité Rroms de St Etienne

Réseau de solidarité Rroms Val d’Oise

Romeurope

COMMUNIQUÉ LDH

Paris, le 19 octobre 2007

Expulsions de Rroms roumains et bulgares : du chiffre facile au mépris du droit

La LDH exprime sa plus vive indignation après les expulsions collectives du territoire français de Rroms roumains et bulgares intervenues le 1er octobre à Bondy et le 10 octobre à Saint-Denis, à l’initiative du préfet de Seine-Saint-Denis.

Au petit matin, les deux groupes de familles ont été évacués par la force publique de leurs terrains de fortune sur lesquels elles étaient installées, y abandonnant leurs effets personnels. Sommées de monter dans des cars affrétés pour l’occasion, des OQTF (Obligation de quitter le territoire) leur ont alors été distribuées ne faisant aucun cas de leur situation individuelle. Puis, sous la pression, elles ont été « invitées » à donner leur accord pour retourner immédiatement dans leur pays d’origine dans le cadre des procédures de retour humanitaire de l’ANAEM (Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations). Ainsi en 4 heures, une centaine de Roumains et de Bulgares ont été expulsés ; dans cette précipitation, quatre enfants dont un de 10 ans ont même été scandaleusement oubliés seuls sur place…

Avec ces ressortissants européens qui pourront revenir sans délais, ces renvois faciles autant qu’absurdes augmentent les statistiques gouvernementales en vue d’atteindre les 25 000 reconduites à la frontière annoncées. L’absence d’informations précises dans leur langue des dispositifs proposés et d’instructions effectives au cas par cas, l’organisation de retours groupés comme l’impossibilité de tout recours dans de tels délais sont autant d’exemples du mépris du droit.

En conséquence, la LDH a décidé d’interpeller le ministre de l’Immigration en vue d’un rappel à l’ordre de ce préfet pour arrêter de telles pratiques. Parallèlement, la HALDE sera également saisie du caractère discriminatoire de ces actions ciblées auprès des Rroms roumains et bulgares. Enfin, un rapport détaillant la politique actuelle du gouvernement envers ces étrangers sera adressé dans les prochains jours au rapporteur spécial du CERD (Comité pour l’élimination de la discrimination raciale) à l’ONU.

  1. La circulaire interministérielle DPM/ACI3/2006/522 du 7 décembre 2006 est téléchargeable sur le site du Gisti : http://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_dpmaci32006522.pdf.
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