Pour cette rencontre, la Section de Nice de la LDH était entourée d’un collectif d’associations et de partis soucieux de préserver l’histoire des dérives d’instrumentalisation de la mémoire collective, qui s’est constitué spontanément dès l’annonce par la presse de la commémoration du putsch d’Alger.
Le collectif est constitué de : ADLPF, Les Alternatifs, Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons, ANPNPA, ANPROMEVO, Assoc.Amis de la Démocratie, ACR, ADN, Attac, CGT, FASE, FNACA, 4ACG, Grand Orient de France, LDH, MRAP,
Nicea, NPA, Parti de Gauche, PCF, SUD-PTT, UFAL, Vie & partages.
– La réunion a commencé avec le témoignage du fils du commissaire Roger Gavoury assassiné par l’OAS dans l’exercice de ses fonctions. Jean-François avait adressé aux organisateurs un texte au nom de l’ANPROMEVO (Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS) qu’il préside. Son témoignage a été lu :
Communication de Jean-François Gavoury
Ayant en commun passé criminel, antécédents pénitentiaires ainsi qu’une haine farouche à l’égard du fondateur de la Vème République, d’anciens terroristes de l’OAS ont prévu de se réunir à Nice, le samedi 23 avril, pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’odieuse aventure du putsch des généraux à Alger.
C’est l’honneur de la section locale de la Ligue des droits de l’Homme d’avoir pris l’initiative de la création d’un collectif d’associations chaque jour plus nombreuses à dénoncer ce projet de commémoration d’une date parmi les plus funestes de la guerre d’Algérie.
C’est l’honneur des Niçois de témoigner, ce soir, de leur respect à l’égard de l’Histoire et de leur attachement à la République en prenant part à une conférence dont je pressens tout l’intérêt pour en bien connaître les intervenants.
Je regrette de ne pouvoir être à leurs côtés : j’aurais pu, en effet, m’assurer sur place que Nice ne ressemble d’aucune manière à l’image qu’en donnent les instigateurs de cette démarche d’inspiration révisionniste.
Une démarche qui en rappelle une autre : celle qui a consisté en la mise en place au jardin Alsace-Lorraine, en février 1973, d’un monument dénommé « La main à l’urne », porteur de la mention « Roger Degueldre, symbole de l’Algérie française ».
Si Roger Degueldre est une figure emblématique, ne l’est-il pas plutôt :
- de l’insubordination à l’autorité légitime d’un gouvernement légal ;
- de la terreur répandue, à la tête des commandos Delta de l’OAS, sur le Grand Alger et ailleurs ;
- de l’assassinat en masse, commis avec la plus extrême lâcheté, contre des civils, des élus, des militaires, des magistrats, des membres des forces de l’ordre, des enseignants, des fonctionnaires, des syndicalistes, des entrepreneurs, des ouvriers, … ?
Car, si le lieutenant déserteur Roger Degueldre devait être, comme l’épitaphe de la stèle le suggère, LE symbole de l’Algérie française, force serait alors d’admettre que l’Algérie française a incarné la violence de la colonisation, ce que les disciples de Salan contestent.
Une inscription commémorative a, en principe, vocation à adresser à la postérité un message de paix, d’exemplarité, voire de fraternité.
Au square Alsace-Lorraine de Nice, comme à Toulon depuis 1980, à Théoule-sur-Mer depuis 2002 et à Marignane depuis 2005, les hommages gravés dans le marbre aux tueurs de l’OAS ne pourraient être regardés par les générations à venir que comme les signes d’une période de réécriture de l’Histoire.
C’est pourquoi le maire de Nice s’honorerait de faire disparaître de l’espace public un monument, dont le contenu est par ailleurs diffamatoire à l’égard de la mémoire des quelque 2.700 morts imputables à l’OAS et dont la présence est le prétexte à des manifestations apologétiques des crimes perpétrés par cette organisation, comme tel risque d’être le cas dans trois jours s’il n’y est mis bon ordre.
Sont en jeu :
- la réconciliation dans le souvenir douloureux de l’innommable guerre ;
- la réussite du cinquantième anniversaire de sa cessation, l’un des deux plus grands rendez-vous mémoriels de la décennie ;
- et la mise en œuvre de relations de partenariat apaisées entre la France et l’Algérie.
Est également en question, ici, la considération due à la cinquième ville de France et, au-delà, à toute une région dont certains élus ont le tort de se soumettre à l’activisme d’associations d’anciens criminels de l’OAS, quand ils ne sont pas eux-mêmes issus des rangs de ce mouvement séditieux, tels Gabriel Anglade, ordonnateur de ces manifestations niçoises prévues à la gloire des putschistes d’avril 1961.
Se recommander des valeurs de la République et s’afficher publiquement avec le sicaire Anglade, au gré des opportunités et circonstances politiques, relève de la simple imposture. Tolérer qu’honneur soit rendu aux responsables d’une insurrection folle, ne revient jamais qu’à autoriser, de fait, la promotion de la sédition armée.
Mais ne pas faire obstacle à ce qu’une manifestation d’apparence officielle puisse se dérouler sur le domaine public, devant un cénotaphe érigeant le criminel de guerre Roger Degueldre en héros, relèverait du défi lancé à l’État, à la justice et à l’Histoire.
Puisse cette soirée irriguer les consciences au-delà de cette salle et conduire au sursaut républicain.
– Ensuite, Gilles Manceron, vice-président de la Ligue des droits de l’Homme, a notamment abordé le sujet des racines franquistes de l’OAS, thème qu’il a repris dans un entretien avec Philippe Fiammetti, publié dans Nice-Matin, le 21 avril 2011 :
Il y a insulte à la République
- Le putsch d’Alger fait partie de l’Histoire de France. Faut-il censurer son évocation?
Certainement pas ! Mais il faut dire la vérité sur ses objectifs et son déroulement. Dire la vérité, c’est dire par exemple que le général Salan a organisé son retour en Algérie depuis l’Espagne avec la complicité du beau-frère du général Franco, symbole de l’aile dure du franquisme.Ce putsch a d’abord été un soulèvement contre la République, contre la démocratie. C’est pour cela que je parle d’insulte à la République.
- La commémoration des 50 ans du putsch menace-t-elle la République ?
C’est l’éloge d’un acte de rébellion contre les institutions et les valeurs républicaines. On falsifie l’Histoire en présentant ce geste comme un acte de résistance. L’OAS a fait régner la terreur chez les Algériens mais aussi les pieds-noirs. Or le putsch est l’acte fondateur de l’OAS
- Comprenez-vous que les Rapatriés soient attachés, au moins sentimentalement, à cette tentative
d’insurrection, synonyme pour eux de dernière chance ?
La majorité des pieds-noirs a pensé ainsi. Les faits montrent qu’elle a eu tort.
En 1961, il y avait encore un espoir de solution. Cet espoir a été liquidé avec conséquences du putsch et la stratégie de la terre brûlée.
- Les droits de l’homme n’ont.ils pas été bafoués, et de manière parfois atroce par le FLN ?
La question de la violence du FLN est une question que les historiens algériens aujourd’hui doivent poser ;
ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux a le faire.
– Ensuite est intervenu le fils l’inspecteur de l’Education Nationale Salah Ould Aoudia, Jean-Philippe, qui préside l’association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons.
Son père était l’un des six inspecteurs assassinés dans une cour d’école de la République.
Ces six victimes oeuvraient au sein des centres sociaux éducatifs fondés par la déportée et résistante Germaine Tillion.
Jean-Philippe Ould Aoudia a repris le thème abordé par Pierre Joxe dans la préface qu’il a donnée au livre La bataille de Marignane de Jean-Philippe Ould Aoudia et Jean-François Gavoury (éd. Tiresias).
Ces crimes-là sont ineffaçables…
Il y a aujourd’hui plus de quarante ans que les trahisons et les crimes qui ont accompagné la fin de la guerre d’Algérie ont eu lieu.
Ceux qui ont connu cette époque ont tendance à l’oublier.
Elle est pleine de trop mauvais souvenirs, à commencer par la félonie de quelques officiers trahissant leur mission pour organiser l’assassinat d’innocents et le terrorisme qui frappa des femmes et des enfants au nom de « l’organisation armée secrète ».
Cette crise finale, venant après tant de drames, a tendance à disparaître de nos souvenirs. Ceux qui n’étaient pas nés ou qui étaient trop jeunes à l’époque, il y a une ou même deux générations, n’ont pas tellement de raisons de connaître ces faits. Si la crise a été très violente, elle a été assez brève et ceux qui l’ont traversée ont souvent préféré tourner la page.
Il y a pourtant un devoir de mémoire à l’égard des hommes et des femmes qui, après avoir passé leur vie au service de la collectivité, dans l’enseignement, dans l’administration publique ou dans la police nationale, ont été tués par des traîtres.
Ce sont aujourd’hui deux fils qui témoignent à la mémoire de leurs pères assassinés : Le fils du Commissaire Gavoury que j’avais eu l’occasion de rencontrer à Alger pendant mon service militaire, et le fils de Salah Henri Ould Aoudia — l’un des responsables des célèbres « centres sociaux », qui faisaient notre admiration sous l’impulsion de Germaine Tillion.
Mais plusieurs dizaines d’autres fonctionnaires, enseignants, policiers, ou militaires loyaux ont été assassinés par l’OAS en 1962. L’OAS a aussi brûlé des écoles et détruit par incendie les centaines de milliers de livres de la bibliothèque universitaire d’Alger.
Quelles que soient à présent les conséquences juridiques des lois d’amnistie, ces crimes-là sont aussi ineffaçables que l’honneur des serviteurs de l’État dont ils ont provoqué la mort et auxquels il est juste de rendre hommage.
Le 13 février 2006
– La parole a ensuite été donnée aux Pieds Noirs à travers l’intervention de l’un d’eux, Jacques Pradel, président de l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis :
L’Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) a tenu à s’associer à la section niçoise de la LDH et au collectif d’associations mis en place, un véritable front républicain, pour s’élever contre la commémoration du sinistre putsch d’Alger du 23 avril 61.
Quelle est pour nous, pieds noirs, la signification du putsch et pourquoi sommes nous contre cette commémoration ?
– Un objectif important de l’association est de contribuer par nos mémoires et nos analyses à l’écriture d’une histoire lucide et dépassionnée de la France en Algérie ; un autre est d’œuvrer au rapprochement et à l’amitié entre peuples algérien et français. Par là même nous ne pouvons que contester les interprétations données par ceux qui sont restés enfermés dans la haine et la revanche.
– Cette commémoration est clairement annoncée comme un hommage à l’OAS. D’une part, le putsch est l’acte fondateur de l’OAS, plus précisément le signal donné au déclanchement des horreurs de l’OAS. D’autre part, l’un des organisateurs en est Gabriel Anglade, tueur de l’OAS qui ne se cache plus d’avoir été membre du commando qui assassina les six inspecteurs de l’éducation nationale, dont Mouloud Feraoun, Max Marchand et Salah Ould Aoudia. Enfin, si cet hommage se tient, ce sera devant une stèle dédiée à un autre tueur de l’OAS, plus tueur encore, Roger Degueldre. Pour nous pieds noirs, et plus clairement encore avec le recul du temps, l’OAS est la première responsable de notre exil précipité. La folie meurtrière qu’elle exerça contre tous, notamment contre le peuple algérien, pieds noirs inclus, tout en prétendant se battre pour eux, a creusé entre les communautés un fossé infranchissable.
Quelle est pour eux, les organisateurs de la commémoration, la signification de l’hommage ?
– Il ne peut s’agir d’exprimer encore une fois sa nostalgie de l’Algérie française. Eux-mêmes ne sont pas stupides au point de croire qu’il était possible de maintenir l’Algérie sous la domination coloniale de la France, surtout après une guerre terrible qui dura huit ans et où un dixième de la population algérienne de souche avait été tuée !
– Il s’agit par contre d’exprimer sa nostalgie de l’idéologie portée par l’OAS, avec tout ce que cela comporte de haine, d’exclusion de l’autre, de racisme, de l’exprimer aujourd’hui en phase avec l’extrême droite et hélas en phase avec bien de nos dirigeants politiques, aujourd’hui en pensant à demain, 2012 et le cinquantenaire de l’indépendance.
Nous devons nous féliciter que face à cela se mette en place un front républicain regroupant un grand nombre d’organisations et associations. C’est là notre meilleure garantie.
– Un hommage a été rendu, par le président de la section de Nice de la Ligue des droits de l’Homme, aux appelés du contingent dont de très nombreux Niçois qui ont eu le courage de s’opposer à leurs officiers et ainsi empêcher la prise de pouvoir par des militaires. L’Association des Anciens Appelés en Algérie Contre la Guerre – la “4ACG” – qui fait partie du collectif a été associée à cet hommage.
La Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie Maroc et Tunisie – la FNACA – s’est associée à la démarche.