D’autres manifestations de solidarité
par Alain Ruscio
Notre site vient de saluer la parution du livre sur le rôle du Parti socialiste unifié lors de la guerre d’Algérie, rôle majeur, chacun en convient. C’est le titre qui m’a interpellé : « Un livre restitue le rôle du PSU, le seul parti qui a organisé une manifestation après le 17 octobre 1961 ». Ce titre a attiré mon attention, d’autant qu’il est contredit par une formule dans le chapeau, évoquant Me Henri Leclerc, « qui, en 1961, avait participé à la principale d’entre elles, la manifestation organisée par le PSU dont il était membre ». Si ce fut « la principale », c’est qu’il y en eut d’autres.
La première affirmation est démentie par un travail que j’ai effectué, il y a peu. Je me permets donc de reproduire pour les lecteurs du site Histoire coloniale et postcoloniale une page extraite de mon livre Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance, Paris, Éd. La Découverte, 2019. [/Alain Ruscio/]
« Si l’on ne s’inspire que de la lecture de L’Humanité et de La Vie Ouvrière, on peut avoir l’impression que la riposte populaire fut déterminée. Le 19, L’Humanité signale des « débrayages hier dans plusieurs usines contre la répression qui frappe les Algériens. » Le 20, le quotidien communiste fait état du « grand mouvement de protestation contre la répression », de la « solidarité des travailleurs français. » Mais le moins que l’on puisse écrire est que ces généralités ne sont guère illustrées par des exemples concrets. Le flou, ici, masque la gêne. Le 20, il cite des débrayages « d’une heure », des collectes pour les familles algériennes… Il y eut également six manifestations et / ou rassemblements de rues, organisés par les communistes et leurs alliés directs : le 19 à Montreuil1, le 20 à Malakoff2, le 21 à Gennevilliers3, le 29 à Petit Colombes4, le 31 à Boulogne-Billancourt5, le 2 novembre de nouveau à Gennevilliers6. On peut également signaler une autre manifestation, programmée avant le 17 octobre 1961, qui eut lieu le 18 novembre sur les grands boulevards (JC, UEC, jeunes PSU). Les mots d’ordre y furent classiques (« Paix en Algérie, OAS assassins »), mais il y eut une référence aux Algériens de France (« Solidarité aux Algériens »)7. Ajoutons un meeting unitaire, à la Mutualité, où devaient parler Emmanuel d’Astier, Georges Montaron (Témoignage chrétien), Claude Bourdet (PSU), Jean Schaeffer (CGT) et André Souquière (Mouvement de la Paix), interdit par l’inévitable Papon8. Sur ces initiatives de rues, pourtant, on sent bien que les journalistes de L’Humanité ont tout fait pour solliciter la réalité : contrairement aux habitudes triomphalistes, le nombre de manifestants n’est quasiment jamais indiqué (sauf à Montreuil, le 19, « 150 jeunes », et à Gennevilliers, le 21, qui signale « plusieurs centaines »). Il y a parfois des photos (celle de Petit Colombes montre une banderole qui porte « Les Algériens sont nos frères »), mais jamais de foules prises de loin, et pour cause. Il n’empêche : ces manifestations, trop timides, isolées, ont existé.
[…]
La commission médicale du Secours populaire et l’Association générale des étudiants en médecine organisèrent, le 6 novembre, une réunion à la Mutualité, sous la présidence du Dr Georges Vidal-Naquet, l’oncle de l’historien très engagé dans la lutte contre cette guerre : des médecins, dont le Dr Henri Carpentier, ayant soigné des blessés du 17 octobre témoignèrent. Le jeune étudiant Claude Pollack fit état d’un premier bilan : 250 hospitalisés à Boucicaut, 30 à Broussais, des dizaines à Nanterre, où six décédèrent, un enfant de 14 ans blessé par balles à Necker, un Algérien, à Corentin-Celton, portant des traces de strangulation, des dizaines de traumatisés crâniens…9 »
Extrait du texte de Gilles Manceron
« La triple occultation d’un massacre »
(La Découverte, 2011, nouvelle édition poche, 2021)
[…]
Le 15 ou le 16 octobre 1961, peu après l’instauration du couvre-feu et alors que les négociations officielles d’Évian avaient commencé depuis mai, le principal responsable de la Fédération de France du FLN, Omar Boudaoud, a fait état d’une rencontre à Bruxelles avec les représentants du PCF, Étienne Fajon et Léon Feix. Le récit qu’il en a fait laisse supposer que le PCF n’a pas voulu entreprendre d’initiative commune contre le couvre-feu, ne proposant qu’une mobilisation sous un angle humanitaire de son association de femmes (l’Union des femmes françaises, UFF) lors de la phase de protestation contre la répression, à laquelle on s’attendait, de la manifestation du 1710. Les traces de cette rencontre dans les archives du PCF pourraient permettre d’en savoir davantage sur son contenu.
Le fait est qu’elle n’a débouché sur rien et que le PCF s’est contenté de protestations assez timides contre le couvre-feu, comme d’ailleurs les autres grands partis et associations de la gauche – le MRAP, dont de nombreux militants avaient le souvenir du sort des Juifs sous l’Occupation, se distinguant par une protestation plus vigoureuse11. Au lendemain de la manifestation du 17 octobre, le PCF a publié un long communiqué de protestation, mais qui ne comporte pas le mot « indépendance » et dont le passage le plus important, incluant dans l’avant-dernier paragraphe la consigne du parti, affirmait : « Le bureau politique demande que les initiatives soient multipliées en vue d’organiser dans l’unité la lutte de masse dans les usines et localités, afin que se réalise concrètement la solidarité indispensable des travailleurs français et algé-riens12. » Ce qui, hors « langue de bois », se résume à ceci : le parti n’appellera ni ne participera à aucune manifestation parisienne de protestation. Le même jour, bien que l’une des principales tueries se soit déroulée sous ses fenêtres, L’Humanité titrait en une sur l’ouverture du congrès du Parti communiste de l’Union soviétique et ne pu-bliait pas le reportage de son photographe Georges Azenstarck qui, d’un balcon du journal puis en descendant sur le boulevard, a été l’auteur des clichés qui rendent le mieux compte du massacre13. Quand le bureau politique s’est réuni le 19, il a conclu : « La situation est marquée, en premier lieu, par les travaux du XXIIe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique14. »
Devant cet immobilisme du PCF et des autres grands partis, syndicats et associations de la gauche, ce sont des mouvements marginaux qui ont réagi. Les Temps modernes, on l’a vu, ont lancé un appel qui a recueilli en moins d’une semaine les signatures de deux cent vingt-neuf intellectuels, artistes, universitaires et écrivains (voir ci-dessous). Les protestations les plus vives sont venues du milieu étudiant, où l’UNEF avait à sa direction une équipe de dirigeants proches du PSU et dont plusieurs venaient de la JEC, la Jeunesse étudiante chrétienne, qui étaient opposés à la poursuite de la guerre et favorables à l’indépendance algérienne. Le samedi 21 octobre, 2 000 enseignants et étudiants se sont réunis pour protester contre la répression dans la cour de la Sorbonne, où tous les orateurs ont souligné l’urgence de négocier avec le GPRA.
Le lundi 23, à l’appel d’un Comité anticolonialiste qui rassemblait dix-neuf organisations syndicales étudiantes, malgré l’interdiction de la manifestation et le déploiement de plus de 2 000 CRS, gendarmes et policiers, plusieurs groupes de cent cinquante à deux cents jeunes sont parvenus à manifester au cri d’« Algérie algérienne », boulevard Raspail, boulevard Saint-Germain et place Denfert-Rochereau. Et le 1er novembre ont eu lieu deux initiatives. Un rassemblement au métro Maubert15, auquel participaient des intellectuels comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz, vite dispersé puis suivi de l’explosion d’une bombe posée à quelques dizaines de mètres des locaux de la préfecture de police.
Et une manifestation organisée par le PSU, place Clichy, soigneusement préparée par une série de messages successifs et de rendez-vous secondaires, qui est parvenue à surprendre la police et à rassembler quelque 2 000 personnes16.
La gauche française n’en garde pas la mémoire
Mais les principales forces de la gauche française sont vite passées à autre chose17. Toujours sous l’angle humanitaire, le 3 novembre, une conférence de presse du Secours populaire français, proche du PCF, a appelé à une campagne de dons de sang pour les victimes algériennes. Ce sont les thèmes du refus du racisme et du danger du fascisme et de l’OAS qui ont été mis en avant lors d’autres initiatives. Lors des réunions qu’a convoquées le PCF en novembre, il a proposé une journée nationale d’action contre le terrorisme de l’OAS et le fascisme18. Davantage que dans L’Humanité, Libération ou la presse de la CGT, c’est dans Vérité-Liberté, Les Temps modernes ou les publications de la CFTC (qui deviendrait bientôt la CFDT) que sont parues des informations sur la répression meurtrière du 17 octobre et des jours qui ont suivi19.
Lors des obsèques, le 13 février 1962, de huit des victimes de la manifestation de Charonne contre les attentats de l’OAS et pour la paix en Algérie20, auxquelles participèrent un demi-million de personnes, si deux orateurs ont fait référence aux victimes algériennes du mois d’octobre – Robert Duvivier, au nom de la CFTC21 et Dominique Wallon, au nom de l’UNEF22 –, il n’en a pas été de même de la part des orateurs du PCF et de la CGT. Quant au PSU, seul parti politique français à avoir organisé une manifestation pour protester contre la répression du 17 octobre, les organisateurs ne l’ont pas autorisé à prendre la parole. Tandis que Le Monde publiait, en page 2, un titre malheureux : « Le plus sanglant affrontement entre policiers et manifestants depuis le 6 février 193423 ».
Vérité-Liberté a alors exprimé sa gêne en publiant une photo de l’immense foule assemblée aux abords du cimetière du Père-Lachaise, surmontée du titre : « Et ceux du 17 octobre ?24 ». Mais le PCF n’est pas seul en cause : si la Ligue des droits de l’homme avait publié un communiqué dénonçant la « violence de la ré-pression [du 17 octobre] quand la manifestation gardait un caractère pacifique, et contre les sévices dont on été l’objet les détenus », elle reprenait l’idée qu’il y aurait eu « une bataille25 » et n’a pas proposé de prendre en charge une enquête comme elle l’a fait au lendemain de la manifestation de Charonne26.
Autant de faits qui expliquent pourquoi la mémoire du 17 octobre 1961 est restée si marginale au sein de la gauche française jusqu’aux années 1980. Ce n’est que vingt ans après l’apposition d’une plaque au métro Charonne qu’une autre a été inaugurée, le 17 octobre 2001, par le maire de Paris Bertrand Delanoë au Pont Saint-Michel. Car la forte mémoire de Charonne a recouvert celle, sans lieu et sans visages, de la nuit d’octobre. Son omniprésence était telle que, lorsque des associations de jeunes nés de parents algériens ont voulu commémorer les morts du 17 octobre au milieu des années 1980, elles l’ont fait… au métro Charonne. En 2009, les polémiques apparues à l’Institut d’histoire sociale de la CGT lors de la projection du beau film Mourir à Charonne, pourquoi ?, de Daniel Kupferstein, qui a le mérite de se pencher à la fois sur la mémoire de Charonne et sur celle de l’octobre des Algériens et à qui certains militants du PCF reprochent de ne pas assez souligner l’appartenance au Parti communiste des victimes, sont la preuve que le choc de ces mémoires est loin d’être achevé27.
Plus généralement, si la connaissance de l’événement a progressé, nombre d’idées fausses à son sujet restent encore à balayer. Ainsi celle que « le FLN n’a jamais cherché le soutien de l’opinion publique française », idée que démentent pourtant plusieurs éléments essentiels, dont l’« Appel au peuple français » de la Fédération de France du FLN daté du 18 octobre. Ou celle que le préfet de police aurait été « débordé par ses troupes », alors que plusieurs témoignages de policiers attestent qu’il a exercé sur eux une « pression formidable », en les incitant à « faire dix morts pour un mort » et en leur garantissant l’impunité28. Ou encore celle selon laquelle, dans les jours qui ont suivi, « aucune initiative n’a été prise par des organisations politiques ou syndicales et des mouvements de gauche pour protester contre la répression », qui repose sur un autre oubli : celui des réactions, minoritaires sans être pour autant négligeables, qui ont conduit aux quatre manifestations évoquées, à l’appel des Temps modernes et aux diverses prises de position que ce livre voulait citer.
[…]
Appel des intellectuels français du 18 octobre 1961
Daté du 18 octobre, cet appel a été publié dans Les Temps modernes (n° 186, novembre 1961), accompagné des signatures de deux cent vingt-neuf intellectuels, dont vingt-huit professeurs d’université29, recueillies en moins d’une semaine.
Avec un courage et une dignité qui forcent l’admiration, les travailleurs algériens de la région parisienne viennent de manifester contre la répression de plus en plus féroce dont ils sont victimes et contre le régime discriminatoire que veut leur imposer le gouvernement. Un déchaînement de violence policière a répondu à leur démonstration pacifique : à nouveau, des Algériens sont morts parce qu’ils voulaient vivre libres.
En restant passifs, les Français se feraient les complices des fureurs racistes dont Paris est désormais le théâtre et qui nous ramènent aux jours les plus noirs de l’occupation nazie : entre les Algériens entassés au Palais des sports en attendant d’être « refoulés » et les Juifs parqués à Drancy avant la déportation, nous nous refusons à faire la différence.
Pour mettre un terme à ce scandale, les protestations morales ne suffisent pas. Les soussignés appellent instamment tous les partis, syndicats et organisations démocratiques non seulement à exiger l’abrogation immédiate de mesures indignes, mais à manifester leur solidarité aux travailleurs algériens en invitant leurs adhérents à s’opposer, sur place, au renouvellement de pareilles violences.
Arthur ADAMOV, Jean AMROUCHE, Pierre ANSART, Michèle ANSART, Robert ANTHELME, Alain APTECKMAN, Louis ARAGON, Emmanuel d’ASTIER de la VIGERIE, Colette AUDRY ; Robert BADIOU, Wanda BANNOUR, Franca BARATTO, Marc BARBUT, Marie-Odile BARBUT, Denise BARRAT, Robert BARRAT, Simone de BEAUVOIR, Marc BEIGBEDER, Loleh BELLON, Robert BENAYOUN, Georges BENGUIGUI, BENOIST-REY, Michel BERNARD, Pierre BERNARD, Lucien BERNOT, Mady BERRY, Maurice BLANCHOT, Roger BLIN, Dr Paul BLOCH-LAROQUE, Arsène BONNAFOUS-MURAT, Geneviève BONNEFOI, Louis BONNEROT*, Philippe BONNET, Gérard BONNOT, Raymond BORDE, Jean-Louis BORY, Michel BOSQUET, Jacques-Laurent BOST, Pierre BOST, Jeanine BOUISSOUNOUSE, Daniel BOULANGER, Pierre BOULEZ, Vincent BOUNOURE, F. BRESSON, André BRETON, Hervé BOURGES, Michel BRUGUIER, Michel BUTOR ; P. CARTIER, Jean CASSOU, Aimé CESAIRE, Jacques CHATAGNER, François CHATELET*, Claude CHEVALLEY*, Paul CHEVALLIER, Michel COLLINET, Simone COLLINET, Michel COURNOT, Reine COURTOIS, Bernard COUTAZ ; Dr Jean DALSACE, Louis DAQUIN, Marine DARQUE, Christian DAVID, Adrien DAX, Charles DEVILLERS*, Jean DEWEVER, Jean DIXMIER*, Jacques DONIOL-VALCROZE, Jean DOUASSOT, Mme Jacques DOURLEN, Jean DRESCH*, Mme DREVET, Guy DUMUR, Marguerite DURAS ; Jean EFFEL, Dominique ÉLUARD, ESCARO ; Huguette FAGUET, André FERRIER, Louis-René DES FORETS, Jacques FORNIER, Louis FOURNIER, Paul FRAISSE*, Bernard FRANK, J. FRENKEL* ; Maurice DE GANDILLAC, Armand GATTI, Bernard GENY, Yves GIBEAU, Françoise GILOT, Roger GODEMENT*, Anne GUERIN, Daniel GUERIN, Mme GUILBERT, Mme LE GUILLANT-LE HENAFF, Georges GURVITCH*, Simone GUYOTTAT ; Dominique LA HALLE, André HAURIOU*, Magali HAURIOU, Jeanne HESPEL, Jean-Maurice HERMANN ; Vivianne ISAMBERT-JAMATI ; Édouard JAGUER, Gérard JARLOT, Robert JAULIN, Colette JEANSON, Alain JOUBERT ; Jean-Pierre KAHANE, Pierre KAST, Alfred KASTLER*, Lucien KARPIK, Alfred KERN, J.-L. KOSRUL*, Claude KRIEF ; Serge LAFAURIE, Monique LANGE, Claude LANZMANN, Jacques LANZMANN, Robert LAPOUJADE, Michel LAUNAY, Morvan LEBESQUE, E. LEDERER*, Gérard LEGRAND, Michel LEIRIS, Albert-Paul LENTIN, Françoise LENTIN, Jean-Marie LEON, Woldemar LESTIENNE, Jérôme LINDON, R. LOHRER ; Olivier DE MAGNY, Charles MALAMOUD, Jacqueline DE MALEPRADE, Bernard MALGRANGE*, Louis MALLE, Serge MALLET, André MANDOUZE*, Renée MARCEL-MARTINET, Dionys MASCOLO, Brigitte MASSIN, Jean MASSIN, Dr MARTINET, André MASSON, Jehan MAYOUX, Jean-Jacques MAYOUX, Ignace MEYERSON*, Andrée MICHEL, Pierre MONDOLONI, Robert MOREL, Michel DE M’UZAN ; Maurice NADEAU, Anne NORDON, Jean NORDON ; Jacques PANIJEL, Denys DE LA PATELLIERE, Marcel PEJU, Paulette PEJU, Anne PHILIPPE, Henri PIERON*, José PIERRE, André PIEYRE DE MANDIARGUES, Sacha PITOEFF, Jean-Bertrand PONTALIS, Robert POSTEC, Denise POUILLON, Marcel PRENANT*, Jean PRUGNOT, Marius PUNIN ; Madeleine REBERIOUX, Dr Didier REINHAREZ, Françoise REILLE-SOULT, Paul REVEL, Évelyne REY, Évelyne REYRE, Robert RICATTE*, Marthe ROBERT, Maxime RODIN-SON, Alice ROHMAN, Fernand ROHMAN, J.-F. ROLLAND, Jean ROUCH, Gilbert ROUGET, Claude ROY ; Georges SADOUL, Madeleine SAINT-SAENS, Marc SAINT-SAENS, Jean-Jacques SALOMON, P. SAMUEL*, Nathalie SARRAUTE, Jean-Paul SARTRE, Renée SAUREL, Claude SAUTET, Evry SCHATZMANN*, René SCHERER, Jean SCHUSTER, Laurent SCHWARTZ*, Robert SCIPION, Louis SEGUIN, Geneviève SERREAU, Delphine SEYRIG, Jean-Claude SILBERMANN, Gilbert SIMONDON*, SINE, Claude-Roland SOUCHET, G. SNYDERS ; Claude TARNAUD, Paule THEVENIN, Paul THIBAUD, TIM, Olivier TODD, Elsa TRIOLET, René TZANCK ; Jean VALERE, Aline VELLAY, Dr Pierre VELLAY, Jean-Pierre VERNANT, Pierre VIDAL-NAQUET, Jean-Pierre VIELFAURE, Andrée VIENOT, Jean-Jacques VIERNE, Anne-Marie DE VILAINE, Garcia VILLE, Louis de VILLEFOSSE ; Jean WAHL*, Olga WORMSER ; René ZAZZO.
Depuis, indiquent alors Les Temps modernes, les adhésions les plus diver-ses ne cessent de nous parvenir : maîtres de recherches au CNRS, assistants à la Sorbonne, professeurs agrégés, instituteurs, écrivains, artistes, médecins, ingénieurs, etc. Voici une seconde liste de quatre-vingt-dix-huit noms :
Paul ATTALI, Jean AUFFRET ; G. BAS, Françoise BASCH, Stéphane BERNARD, N. BISSERET, Rudolphe BKOUCHE, Élie BLONCOURT, Monique BOCQ, C. BONNET, Maurice BOUVET, H. BRAULT, Dominique BREMAUD, Jean BRETAGNOLE, Serge BROSSE ; Yvonne CARLIER, Didier CASTELLE, Jeanne CASTELLE, J. CHARAZAC, Marie-José CHOMBART DE LAUWE, Paul-Henri CHOMBART DE LAUWE, Fernand COCHINAIRE, Monique COORNAERT, Philippe COURREGE ; Hubert DAMISCH, M. et Mme DELSAUX, DENYS, Dominique DESANTI, Jean-Toussaint DESANTI, Violette DESCLAIRE, Claude DEUTSCH, J. DIEUDONNE, Adrien DOUADY, Régine DOUADY, Lucette DUTHEIL ; S. EHRLICH ; C. FLORES, Nelly FORGET, R. FRANCES ; C. GEORGE, Françoise GRELON, Roger-Henri GUERRAND, Colette GUILLAUMIN ; Claude-Bernard HAIM, Francis HALBWACHS, M. HUGUET ; Raymond JEAN, J. JENNY, Suzanne JOUS-SEN ; KELLERMANN ; P. LABAT, Jean LAMEAU, B. LAMY, Antoine LANCELOT, Jean LAPLANCHE, Jean LAUDE, L. LECOCQ, Georges LENGLET, Renée LEON, M. LEVEILLE, Colette LEVY, Guy DE LONGUEVIALLE, Éric LOSFELD, Pierrette LOSFELD, Nicole LOWIT, Olivier LUTAUD ; Jacques MAITRE, Robert MANE, Ludovic MARCUS, Yves MARTIN, Michel MASSONAUD, R. MENAHEM, Lucette MERLET, Pierre MOLINO, G. de MONTMOLLIN, Maurice MONTUCLARD, René MOREVIL ; Jacques NACHTIGAL ; F. PARENT, Georgette PERRACHE ; L. QUESNEL ; Denise RENE, Jo RETHEL, F. ROHNER, D. RUEFF, Jean RUEE ; Georges SALLET , Claude SIMON, Évelyne SULLEROT ; F. Tillion ; VALLETTE, François VERGES, Jean-Pierre VIGIER, E. VURPILLOT ; YLIPE ; Martin ZERNER, N. ZUCLI.
Des protestations importantes à gauche,
mais pas à la hauteur de l’événement
par histoirecoloniale.net
Le 17 octobre 1961 est emblématique de la violence de la colonisation et de son influence en retour sur la société française métropoliaine. Sa cécité par rapport aux horreurs qui ont marqué cet événement en plein cœur de la capitale est révélatrice de l’imprégnation de celle-ci par l’idéologie coloniale. Le bilan réel des victimes a commencé à remplacer les mensonges qui ont longtemps dissimulé la réalité des faits, mais ce bilan et les responsabilités dans ce crime d’Etat restent à établir.
On est frappé, par ailleurs, du contraste entre les protestations qui se sont manifestées dans la société française au lendemain du 17 octobre et l’ampleur des crimes qui ont été commis. Limitées à certains milieux, elles n’ont pas été à la mesure de l’ampleur du massacre. Comme le signale Alain Ruscio, il y eut d’autres manifestations que celle organisée le 1er novembre par le PSU, notamment à l’appel des communistes et de leurs alliés à Montreuil, Malakoff, Gennevilliers, Petit Colombes et Boulogne-Billancourt. Mais, à l’exception des protestations vigoureuses du MRAP, de Vérité Libertés et des Temps modernes, de celles de la CFTC de la région parisienne, de l’UNEF et du Secours populaire français, il n’y a pas eu de la part des organisations de la gauche française de réactions à la hauteur de l’événement.
Extrait de l’éditorial
[…] Jamais le décalage entre la gauche françaie et la révolution algérienne, qu’évoquaient en des termes différents Robert Bonnaud et Pierre Thibaud (sic)30 dans le dernier numéro de Vérité-Liberté, n’est apparu aussi éclatant. La manifestation algérienne a été, pour beaucoup, et même jusque dans la classe ouvrière, le révélateur d’un racisme latent. […] Jamais le travail d’éducation des masses qui devait être celui de la gauche n’est apparu si impérieux, si difficile. […]
Les ambigüités de la gauche socialiste depuis ses origines
Réfléchir à la timidité de la gauche française dans ses réactions à cet événement oblige de s’interroger aux positionnements et aux débats de celle-ci dès son origine vis-à-vis de l’expansion coloniale au XIXème siècle et aux mouvements d’émancipation des peuples coloniaux au XXème siècle. Lors du XIXème siècle qui a connu l’émergence du socialisme/communisme, l’anticolonialisme, fondé sur un véritable internationalisme qui ne se limitait pas à l’Europe, y a représenté un courant minoritaire. Les positions de Jaurès sur ce sujet entre 1908 et 1914, qui sont allées clairement « vers l’anticolonialisme », n’ont pas été suivies par la majorité des socialistes, en particulier par le courant guesdiste proche du marxisme.
Après la Première Guerre mondiale, sous l’influence du pouvoir bolchévique en URSS et des directives de la Troisième internationale, le parti communiste français a été porteur d’une culture anticolonialiste. Cela a été surtout le cas dans la période de 1920 à 1935, marquée notamment par sa mobilisation contre la guerre du Rif. A l’approche de la Seconde Guerre mondiale, l’incitation à l’anticolonialisme venant de Moscou a cessé, ce qui révèle une certaine instrumentalisation de ce thème par l’URSS au gré de ses préoccupations du moment, davantage qu’une position de principe. Reste que le parti communiste français a été porteur au XXème siècle d’une culture critique du colonialisme. C’est de ses rangs que sont venus nombre des militants qui se sont investis dans les réseaux de soutien au FLN, même si leur engagement était désapprouvé par la direction du parti ; et certains d’entre eux sont revenus ensuite vers le PCF. Incontestablement, c’est au sein du PCF davantage que dans quelque autre partis politique de la société française qu’entre 1920 et 1962, la critique du colonialisme a été la plus vive. Cela n’empêche pas que l’interrogation nécessaire sur l’universalisme tronqué porté par la gauche française à l’époque des colonies doit porter sur l’ensemble des composantes de celle-ci, y compris sur le PCF.
Les écrivains communistes Louis Aragon, Elsa Triolet, Armand Gatti et Arthur Adamov, et aussi une enseignante membre du PCF comme Madeleine Rebérioux, ont signé l’Appel des Temps modernes. De même que cinq membres du Comité central de la Ligue des droits de l’homme — Marie-José Chombart de Lauwe, André Hauriou, Laurent Schwartz, Andrée Vienot et Pierre Vidal-Naquet — qui en rassemblait plus d’une centaine mais dont la plupart n’étaient pas des intellectuels connus. Mais, les responsables du PCF ne s’y sont pas joints, et, contrairement à ce que la LDH a réclamé quatre mois plus tard au lendemain de la répression de la manifestation de Charonne, la Ligue n’a pas demandé la constitution d’une commission d’enquête sur le massacre d’une plus grande ampleur d’octobre 1961.
Le questionnement indispensable aujourd’hui sur les limites et les impensés de la gauche française, durant toute son histoire, face au fait colonial, est-il maintenant déclenché ? On peut l’espérer, car c’est un sujet étroitement lié à la réflexion nécessaire actuelle sur la difficulté de la gauche à penser la persistance du racisme postcolonial et l’islamophobie dans la société française. Question, ô combien, d’actualité.
En tout cas, on peut se féliciter que pour les soixante ans de ce massacre, plus de cent-vingt associations, partis politiques et syndicats (mais pas le parti socialiste, ni la CFDT) ont appelé à dénoncer ce crime d’Etat et réclamé que la vérité soit dite. Et signaler avec satisfaction que le quotidien l’Humanité ait publié le 15 octobre 2021 à son sujet un numéro spécial de huit pages intitulé « Le massacre impuni, 17 octobre 1961 » réclamant la fin du déni.
Lire les articles du numéro spécial de l’Humanité
Ci-dessous, cliché pris par le photographe de l’Humanité Jean Texier, près du pont des Arts, le 6 novembre 1961. Il faudra attendre des années pour que le journal la publie.
Jean Texier/Mémoires d’Humanité/Archives départementales de la Seine-Saint-Denis.
- L’Humanité, 20 octobre.
- L’Humanité, 21 octobre.
- L’Humanité Dimanche, 22 octobre.
- L’Humanité, 30 octobre.
- « Pour la paix en Algérie, contre le racisme, manifestation hier dans les rues de Boulogne », L’Humanité, 1er novembre.
- « Pour la paix, contre la répression, plusieurs centaines de personnes ont manifesté hier dans les rues de Gennevilliers », L’Humanité, 3 novembre.
- L’Humanité Dimanche, 19 novembre.
- L’Humanité, 26 octobre. Protestation des organisateurs, L’Humanité, 28 octobre.
- « Des médecins accusent », L’Humanité, 7 novembre 1961 ; « À la Mutualité… », La Défense, n° 446, décembre 1961.
- Témoignage d’Omar Boudaoud, 25 février 1992 (cité par Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961, p. 159-160).
- Déclaration du MRAP à propos des mesures prises contre les Algériens, 12 octobre 1961 (reproduite dans : Le 17 octobre 1961 par les textes de l’époque, op. cit., p. 46-47).
- Déclaration du bureau politique du Parti communiste français, 18 octobre 1961 (ibid, p. 56-58).
- Témoignage de Georges Azenstarck dans Anne Tristan, Le Silence du fleuve, p. 46-61.
- Archives du PCF, procès-verbal du bureau politique, n° 930, 19 octobre 1961, p. 1 (cité dans : Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961, p. 280).
- À l’appel du Comité Maurice Audin, du Centre du Landy, de Vérité-Liberté et de Témoignages et documents.
- Une partie d’entre eux alla ensuite déposer des gerbes de fleurs devant le cinéma Rex, sur les Grands Boulevards, où avait eu lieu l’un des principaux massacres. Le film de Yasmina Adi, Ici on noie les Algériens, 17 octobre 1961 (2011) montre des images de ces quatre manifestations.
- Ceux que Marcel Péju avait brocardés dans son article paru dans un numéro saisi des Temps modernes : Marcel Péju, « Une gauche respectueuse », Les Temps modernes, n° 169-170, avril-mai 1960, p. 1512-1520.
- Réunions convoquées par le PCF à son siège les 20 et 25 novembre, suivies d’un appel dans l’Humanité du lendemain, les 21 et 27 novembre, pour une « journée nationale d’action contre le terrorisme de l’OAS et le fascisme », et de l’annonce de rassemblements devant les mairies « pour la paix en Algérie ». Le PSU a refusé de s’y joindre et ni l’UNEF ni des groupes favorables à l’indépendance algérienne, comme le Comité Maurice Audin, n’étaient invités (Archives de la LDH).
- En particulier, l’Union régionale parisienne de la CFTC a publié une brochure ronéotée de 18 pages, intitulée Face à la répression, datée du 30 octobre 1961.
- Une neuvième victime, très gravement blessée, Maurice Pochard, devait mourir peu après, tandis qu’un Algérien, Mohammed Aït Saada, est longtemps resté hospitalisé entre la vie et la mort. Chef de station à la RATP, il rentrait de son travail lorsqu’il a reçu, en marge de la manifestation, des coups qui lui ont provoqué de multiples traumatismes et plongé dans un coma de huit semaines, l’obligeant, jusqu’à sa mort en 1983, à plusieurs séjours à l’hôpital (Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, p. 166, 726).
- Parlant au nom de l’URP-CFTC, Robert Duvivier a déclaré : « La répression, toujours la même, a frappé et uni les morts algériens du 17 octobre 1961, militants de la Révolution algérienne, et vous les morts français du 8 février 1962, héritiers de la Révolution française » (cité par Michel Branciard, Un syndicat dans la guerre d’Algérie. La CFTC qui deviendra CFDT, Syros, Paris, 1984, p. 289).
- « Le 13 février, Dominique Wallon, parlant au nom de l’UNEF, associe, seul avec l’orateur de la CFTC, dans un même hommage, les morts algériens du 17 octobre et les morts français du 8 février » (Alain Monchablon, Histoire de l’UNEF, PUF, Paris, 1983, p. 128).
- Le Monde, 10 février 1962, p. 2. Cependant, en première page, Pierre Vianson-Ponté écrivait : « Seule est comparable à cette soirée du 8 février 1962 la journée du 14 juillet 1953 où, à la fin d’un défilé organisé par la CGT et le Parti communiste de la Bastille à la Nation, des musulmans qui réclamaient la libération de Messali Hadj se heurtèrent à la police : il y eut sept morts, dont six musulmans et cent cinquante blessés, dont la moitié parmi les policiers. Mais le sang musulman a coulé aussi sur le pavé de la capitale le 17 octobre dernier, sans que le nombre des victimes ait jamais pu être exactement connu. »
- Vérité-Liberté. Cahiers d’information sur la guerre d’Algérie, n° 16-17, février-mars 1962, p. 1.
- Ligue des droits de l’Homme, « La Ligue proteste contre le caractère racial des mesures prises à l’encontre des manifestants algériens », communiqué du 24 octobre 1961, Bulletin national, n° 4, octobre 1961, p. 4.
- « La Ligue des droits de l’homme se propose de réunir les éléments d’une enquête », Le Monde, 10 février 1962, p. 1.
- Gilbert Dubant, « Mourir à Charonne, pourquoi, un film, des témoignages, une polémique », in Mémoires, revue de l’Institut d’histoire sociale CGT d’Ile-de-France, déc. 2009-janv.-fev. 2010, n° 12, p. 17 à 20,
- Le policier Raoul Letard rapporte ainsi que Maurice Papon, prenant la parole dans la cour de la préfecture lors des obsèques d’un policier a déclaré : « Il n’est plus question de rendre coup pour coup, mais pour un mort, nous ferons dix morts. […] Ça a remis une pression formidable, parce qu’on s’est dit que, ben, ça protégeait et puis effectivement on savait que Papon protégeait toutes les exactions de la police, elles étaient nombreuses, fréquentes, journalières » (témoignage cité par Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France de l’ancien régime à nos jours, Nouveau monde éditions, Paris, 2011, p. 221). Les propos exacts de Papon étaient : « Pour un coup, nous en porterons dix. » Le témoignage de ce policier indique comment il fallait les entendre…
- Dont les noms sont accompagnés ci-dessous d’une astérisque.
- Il s’agit de Paul Thibaud.