La Halde fait valoir le principe de non-discrimination
Pour la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), le refus opposé aux mères d’élèves portant le foulard islamique de participer à des sorties scolaires est « contraire aux dispositions interdisant les discriminations fondées sur la religion ».
Dans une délibération du 14 mai rendue publique le 6 juin, la Halde vient ainsi apporter une réponse à une question jusqu’alors non tranchée, sur le statut des mères d’élèves accompagnant les sorties de classe (Le Monde du 27 mars). Pour elle, la qualité de collaborateur bénévole auquel sont assimilés ces adultes ne peut « emporter reconnaissance du statut d’agent public, avec l’ensemble des droits et des devoirs qui y sont rattachés », contrairement à ce que soutiennent certaines inspections d’académie. En effet, « la notion de collaborateur bénévole est de nature « fonctionnelle », rappelle-t-elle : sa seule vocation consiste à couvrir les dommages subis par une personne qui, sans être un agent public, participe à une mission de service public ».
La Halde met aussi en avant un arrêt du Conseil d’Etat du 27 juillet 2001, précisant que ni le principe de laïcité ni celui de neutralité du service public ne s’opposaient à l’intervention, dans les prisons, de surveillants congréganistes apportant leur concours au fonctionnement des établissements pénitentiaires pour l’exercice de tâches relevant non de la surveillance des détenus, mais de fonctions complémentaires de soutien. « Or les parents participant aux sorties scolaires semblent être dans une situation similaire » car ils « apportent leur concours (…) pour les tâches qui ne relèvent pas des missions d’enseignement, au sens strict », souligne la Haute Autorité. Et de rappeler que, selon le Conseil d’Etat, le seul port du foulard ne constitue pas par lui-même un acte de pression ou de prosélytisme.
La Halde donne trois mois au ministre de l’éducation nationale pour « prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer (…) le respect du principe de non-discrimination ».
Des mères d’élèves portant le foulard islamique sont interdites de sorties scolaires dans l’académie de Créteil
Invoquant le respect du principe de laïcité dans la fonction publique, des responsables d’écoles primaires de l’académie de Créteil ou de Lille, notamment, interdisent à des mères d’élèves portant le foulard islamique de participer à des sorties scolaires.
Récemment saisi de plusieurs affaires de ce type, le MRAP (Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples) vient d’adresser un courrier au ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien, « afin que soit mis fin à cette situation en totale violation de la législation en vigueur ». Mais la réalité juridique n’est pas aussi tranchée.
Si, ainsi que le rappelle le MRAP, la loi du 15 mars 2004, interdisant le port de signes religieux dans les établissements scolaires, s’applique uniquement aux élèves et ne concerne pas les parents, le statut des mères d’élèves accompagnant les sorties de classe demeure flou. Considérés comme des collaborateurs occasionnels du service public, ces adultes doivent-ils respecter le devoir de neutralité exigé de tous les fonctionnaires ?
« CONFLITS MARGINAUX »
« Ce point est toujours en débat, affirme Rémy Schwartz, conseiller d’Etat et rapporteur général de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République. Il est vrai qu’en cas d’accident, ces personnes sont prises en charge, mais cela induit-il qu’elles ont les mêmes obligations que des fonctionnaires ? La question se pose et, faute de contentieux, aucune jurisprudence n’a encore tranché. » Cette absence de règles autorise donc diverses interprétations, laissées à l’appréciation des directeurs d’école, des inspecteurs d’académie ou des recteurs. Pour l’inspecteur d’académique de Créteil, « la décision d’accepter ou de refuser la proposition d’un parent ressort de la responsabilité du directeur d’école », qui n’est pas tenu de motiver sa décision.
« Des conflits de ce genre demeurent marginaux », relativise de son côté Hanifa Cherifi, inspectrice générale de l’éducation nationale, ancienne médiatrice du ministère sur les questions de voile islamique et auteur d’un rapport sur l’application de la loi du 15 mars 2004. « Leur résolution dépend de la qualité du dialogue entre les personnels et les parents davantage que de nouvelles réglementations, soutient-elle. Reste à savoir aussi si l’on a affaire à des mères habituellement impliquées dans la vie de l’école ou si l’on est face à des offensives organisées de prosélytisme, comme on a pu le voir par le passé. »
Pour certains acteurs de la fonction publique, l’interdiction faite aux mères de famille d’accompagner leurs enfants est excessive et apparaît en contradiction avec des instructions du ministère de l’éducation nationale visant à rechercher le contact avec les parents. Le MRAP estime que le ministère devrait publier une circulaire afin de clarifier la situation de ces mères d’élèves. « Faute de quoi, prévient l’association, nous pourrions envisager une action en justice. »
D’une manière générale, il semble que l’application du principe de laïcité dans l’espace public soulève des interrogations de plus en plus fréquentes de la part des élus locaux et des responsables services publics.
« Ils réclament des documents clairs, leur permettant de dire aux personnes concernées ce qui est permis et ce qui ne l’est pas », indique M. Schwartz. Un projet de Charte de la laïcité, remis fin janvier au premier ministre par le Haut Conseil à l’intégration (HCI), propose un condensé des règles qui découlent du principe de laïcité. Cette Charte est censée apporter des éléments de réponse et devrait, selon le HCI, être affichée dans tous les services publics.
L’application raisonnée de ce principe républicain pourrait constituer un chantier pour le futur Observatoire de la laïcité, annoncé dès 2003 par le président de la République, et dont la création est attendue dans les tout prochains jours.