4 000 articles et documents

Édition du 1er au 15 février 2025

les Harkis et la loi du 23 février 2005

Lire également la réaction de l'association Harkis et droits de l'Homme.

La France adopte une loi exprimant sa « reconnaissance » aux harkis

[Le Monde 11 février 2005 – 17h47]

Quarante-trois ans après l’indépendance de l’Algérie, le Parlement a voté une loi exprimant la « reconnaissance » du pays envers les harkis. Toutefois, l’Etat français ne reconnaît pas sa « responsabilité » dans l’abandon des harkis qui se sont fait massacrer après le cessez-le-feu de mars 1962.

Le Parlement français a adopté, jeudi 10 février, un texte de loi exprimant la « reconnaissance » de la France envers les harkis, anciens supplétifs de l’armée en Algérie, et voté des crédits pour financer des mesures en leur faveur. Seule la majorité – UMP et centristes – a voté pour, la gauche dénonçant le refus de reconnaître « la responsabilité » de l’Etat dans les massacres de harkis et de civils en Algérie.

« Pour les rapatriés de toutes origines, cette loi est un moment historique », a affirmé le ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera. « Après quarante années de débats, de polémiques et parfois de calomnies, la loi manifeste la reconnaissance de la France pour l’œuvre » qu’ils ont bâtie « sur tous les continents », a-t-il ajouté. Le texte institue notamment une fondation destinée à mener une « politique de mémoire » sur la guerre d’Algérie et « les combats du Maroc et de la Tunisie ».

Des crédits doivent être dégagés par l’Etat : « Plus d’un milliard d’euros sont prévus pour financer les mesures en faveur des harkis, de leurs orphelins et des rapatriés d’origine européenne », a indiqué le ministre. Les harkis pourront soit toucher une « allocation de reconnaissance » de 2 800 euros par an, soit un capital de 30 000 euros, soit encore une allocation de 1 830 euros par an (montant actuel au 1er janvier 2004), accompagné d’un capital de 20 000 euros.

La loi prévoit également de protéger les anciens harkis « contre les insultes, la diffamation et contre ceux qui veulent nier leur tragédie ».

LA FRANCE ÉLUDE « L’ABANDON DES HARKIS »

Le socialiste Kléber Mesquida a toutefois regretté le refus du gouvernement de « reconnaître la responsabilité de la France dans l’abandon des harkis » et également « dans l’ampleur des massacres commis après les accords d’Evian [mars 1962] à l’égard des civils français, des militaires et des civils algériens engagés à ses côtés ».

Après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, une minorité de harkis se sont réfugiés en France, échappant aux cruelles représailles dont furent victimes ceux restés en Algérie, parmi lesquels figurent aussi des civils, élus et notables fidèles à la France. Les estimations chiffrées sont controversées. Le nombre de « soldats de la France » qui ont quitté l’Algérie après 1962 varie de 40 000 à 60 000 hommes, sans compter leurs familles. Celui des victimes de massacres varie de 50 000 à 150 000.

Le terme de « harkis » désigne tous les engagés musulmans dans l’armée française en Algérie, soit 220 000 personnes avant mars 1962. Les harkis proprement dits ne sont qu’une partie des supplétifs, soit 70 000 personnes à la fin de la guerre.

Les Harkas (« mouvement », en arabe) étaient des commandos très mobiles, recrutés parmi les civils par contrats d’un mois. A leurs côtés, se trouvaient les Groupes mobiles de sécurité (10 000), les Moghaznis (20 000), les groupes d’autodéfense (60 000), enfin les officiers et militaires d’active (environ 60 000).

Aujourd’hui, les harkis forment une communauté, descendants compris, de quelque 400 000 personnes.

Avec AFP.

Le projet de loi sur les « Français rapatriés » déçoit les harkis

par Philippe Bernard [Le Monde du 10 février 2005]

Peut-on en finir avec la souffrance des familles de harkis par le vote d’une loi ? La question revient à l’ordre du jour, avec l’examen en seconde lecture, à l’Assemblée nationale, jeudi 10 février, du projet de loi « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ».

Signe d’une gêne chronique ou d’un manque d’empressement, voici déjà près d’un an que ce texte, censé réparer des dommages vieux de plus de quarante ans, a été présenté en conseil des ministres. Depuis lors, ballotté au gré des aléas du calendrier parlementaire, le projet a été modifié, sans pour autant faire taire la grogne des associations de défense des harkis. Celles-ci n’admettent pas que le texte soit immuablement présenté par Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants, comme destiné à solder définitivement une tragédie de l’histoire.

Au cours de débats parlementaires, en juin à l’Assemblée, puis au Sénat en décembre, le projet a été enrichi sur ses deux versants : celui, symbolique, des mots destinés à exprimer la  » reconnaissance » (les intéressés auraient préféré la « responsabilité ») de la France, et celui, sonnant et trébuchant, des compensations financières.

Ainsi, un article destiné à  » associer » pieds-noirs et harkis à l’hommage aux anciens combattants d’Algérie désormais rendu le 5 décembre, avait été ajouté par les députés. Mais les sénateurs ont préféré l’expression globale de « rapatriés d’Afrique du Nord », au grand dam des harkis qui, après avoir longtemps vécu sous la tutelle souvent condescendante des pieds-noirs, veulent voir affirmer leur spécificité, alors que le gouvernement préfère exprimer « l’unité et la solidarité » de ces populations.

Comme par compensation, un article a été ajouté, « interdisant » toute  » injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki (…) » et toute  » apologie des crimes commis contre les harkis (…) après les accords d’Evian », sans qu’aucune sanction n’ait été précisée.

Les dispositions financières elles-mêmes ont été élargies afin que les descendants de harkis décédés avant le renforcement de l’indemnisation prévu par le texte ne soient pas oubliés. En cas de décès des deux parents, les enfants de harkis se partageront une indemnité de 20 000 euros (contre 30 000 pour leurs parents s’ils sont vivants).

Mais le texte reste muet sur ce qui reste la blessure personnelle des enfants de harkis : avoir été parqués et scolarisés pendant des années par les autorités françaises dans des camps ghettos, subissant une « perte de chance » dont leur taux de chômage et leurs graves difficultés de vivre sont aujourd’hui la marque.

« LE COMBAT CONTINUE »

Cette réalité, reconnue en 2001 par Jacques Chirac, n’est pas suffisamment prise en compte, estiment les associations et amicales de rapatriés qui viennent de rendre publique une pétition où elles réclament notamment « l’attribution d’allocations aux personnes ayant transité par les camps ». « Le combat continue pour la deuxième génération qui a subi un handicap psychologique et moral, affirme Boaza Gasmi, président par intérim du Comité de liaison des harkis. Je ne peux pas considérer cette loi comme un reçu pour solde de tout compte. »

Face à cette détermination, Hamlaoui Mekachera assure que les objectifs de reconnaissance que s’était fixés le gouvernement sont atteints par le texte, qu’il  » ne ferme pas la porte » mais qu' »aujourd’hui, il ne peut pas l’ouvrir davantage ». Pour l’avenir, il met en avant la création d’une « Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, et des combats du Maroc et de la Tunisie ». Roger Benmebarek, préfet honoraire, a été chargé par le premier ministre d’imaginer cette institution destinée à « favoriser une approche sereine et scientifique de cette période encore douloureuse de notre histoire contemporaine ».

Facebook
Email