Qui étaient vraiment les harkis ? Mensonge et ignorance se conjuguent pour faire d’eux des traîtres à la cause algérienne.
Pour la première fois, un ouvrage récapitule l’histoire des harkis en la replaçant dans celle de la colonisation de l’Algérie. Les harkis étaient des ruraux, confrontés à une guerre où les civils étaient l’objet de toutes les violences. Loin de faire un choix politique contre l’indépendance algérienne, souvent victimes du FLN, ils ont tenté de survivre afin de protéger leur famille. Au lendemain de la guerre, en Algérie, en maints endroits, ils ont été victimes de massacres. Ceux qui sont parvenus en France ont été enfermés dans des camps, subissant des conditions indignes qui relèvent d’une logique coloniale. A partir des années 1970, leurs enfants n’accepteront plus cette humiliation et s’organiseront pour réclamer justice. Leur combat se conjugue aujourd’hui au présent.
Fruit de quatre années de recherche, abondamment illustré, ce livre donne la parole à des universitaires, des acteurs du conflit aux expériences différentes, des femmes et enfants de harkis. Préfacé par Jean Lacouture, il contribue à faire entendre, enfin, la vérité sur ce drame.
Fatima Besnaci-Lancou, éditrice et présidente de l’association Harkis et droits de l’Homme, est l’auteure de Fille de harki (L’Atelier, 2003), prix Seligmann 2005, Nos mères, paroles blessées (Emina Soleil, 2006) et Treize chibanis harkis (Tirésias, 2006). Elle s’attache à collecter cinquante ans de mémoire des harkis et de leurs familles.
Gilles Manceron, historien et membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme, a écrit notamment Marianne et les colonies (La Découverte, 2003), 1885, le tournant colonial de la République (La Découverte, 2007), et, en collaboration, La colonisation, la loi et l’histoire (Syllepse, 2006) et D’une rive à l’autre. La guerre d’Algérie de la mémoire à l’histoire (Syros, 1993).
Préface de Jean Lacouture (extraits)
Chacune des tragédies plus ou moins camouflées qui émaillent l’histoire de la France moderne, du procès de Calas à l’affaire Dreyfus, de la rafle du Vel’ d’hiv’ aux noyades de manifestants algériens en octobre 1961, a connu un moment où l’on sent qu’il est celui du dévoilement, au mieux de la lucidité. Qu’au-delà des intérêts et des menaces, des faux-semblants, des outrances ou de l’exploitation revancharde, l’heure de la vérité est venue.
Telle est bien la conviction que l’on tire de la lecture de l’ample introduction donnée par Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron à cette grande enquête sur la tragédie des « harkis » conduite sous leur impulsion. L’un des crimes d’Etat qui salissent l’histoire contemporaine de notre pays est dévoilé ici sur un ton qui n’est plus celui de l’hypocrisie cauteleuse, ni de la polémique échevelée, mais d’une implacable sérénité.
[…]
Du texte que l’on va lire plus loin, si riche et si probant, je retiendrai surtout deux mises au point capitales. La première à propos de l’assimilation détestable faite par certains responsables, français d’abord, algériens ensuite (et jusqu’au chef de l’Etat…), entre le comportement des supplétifs algériens recrutés de gré ou de force par l’armée française et celui des « collaborateurs » de l’occupant nazi de la France entre 1940 et 1944. Un tel rapprochement est injurieux pour l’esprit, les deux situations n’ayant rien de comparable, ne serait-ce que du fait de l’histoire.
Il n’est pas abusif de rappeler que, depuis 1962, une part importante de la construction de l’Etat algérien – qu’on le regrette ou non – a été assumée par des hommes qui avaient combattu, en Europe ou en Afrique, sous l’uniforme de l’armée française, à commencer par le plus notoire des chefs du soulèvement, Ahmed Ben Bella. Il serait pervers de fouiller dans les biographies des cadres de l’Algérie indépendante. Mais qui s’y hasarderait constaterait que, des « enfants de troupe » des années 1930 aux ralliés du début des années 1960, la conscience nationale a pu se former par des voies singulières. Ceux des responsables français qui, consciemment ou pas, sont tombés dans le piège de cette assimilation, étaient des aveugles, volontaires ou non. Ceux des dirigeants algériens qui leur ont emboîté le pas sont malhonnêtes. Ce cruel malentendu, si commode pour les uns et les autres, est ici réduit en poussière.
Deuxième imposture de l’affaire des harkis, la dénomination de « génocide » que certains veulent lui faire appliquer. Passons sur la question du chiffre des victimes, si incertain, et d’ailleurs mieux « cadré » ici qu’auparavant. Mais c’est la nature de l’opération qui rend le mot impropre : ce n’est pas une ethnie, qui est ici en cause, mais un type de comportement, si injuste et si absurde qu’ait été le réquisitoire.
Ce qui fait la valeur et la force du texte qu’on va lire, c’est la mesure observée, la substitution du jugement au cri. Ce qui ne fait pas le crime moins atroce : quel citoyen français peut considérer sans honte cet abandon d’hommes compromis dans un injuste combat – et, pire encore peut-être, la concentration, des années durant, sur notre sol, de familles entassées dans des camps et oubliées par une collectivité nationale divisée par la guerre ?
Il fallait que cela soit dit, et sur ce ton contenu. Merci à ceux qui ont contribué à cet acte de justice.
Les harkis dans la colonisation et ses suites de Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron
A l’heure où des municipalités virent dans le n’importe quoi quant à des noms de mur, plaque ou rue à la gloire des assassins de l’OAS, ravivant une fois de plus la guerre des mémoires, cette publication des actes du colloque du 4 mars 2006, salle Victor Hugo au palais Bourbon, 1956-2006, cinquante ans, les harkis dans l’histoire de la colonisation et de ses suites, tombe à point en rappelant que la recherche scientifique, même sur un sujet brûlant, continue son chemin en toute sérénité, malgré les imprécations d’un Georges Frêche (11 février 2006, « sous-hommes… ») contre ces Algériens qui avaient choisi le camp de la France.
Saluant cet ouvrage comme « acte de justice » à replacer dans les grandes tragédies nationales, des affaires Calas et Dreyfus, via le 17 octobre 1961 à Paris, Jean Lacouture, dans sa préface, souligne a juste titre l’importance des contributions, elles-mêmes mises en valeur par une bibliographie complète sur la question, un appareil scientifique en notes, une chronologie et des cahiers photographiques comprenant des documents originaux, notamment
l’avant-dernier cliché, celui d’un harki retrouve en 2004, en Algérie, par le photographe Marc Garanger.
A l’initiative de cinq associations, dont Coup de Soleil, la Ligue des droits de l’Homme et surtout Harkis et droits de l’Homme, cette synthèse est accompagnée d’une introduction, due aux auteurs de l’ouvrage, vrais spécialistes de la mémoire de la colonisation et des harkis. Son titre donne la philosophie de l’ouvrage « En finir avec toutes les légendes », dont celle d’un sentiment, unitaire et précoce, national algérien, tout en rappelant que les harkis, auxiliaires à distinguer des soldats réguliers dits « indigènes » (tirailleurs et spahis algériens) n’ont jamais constitué une force politique. D’où une surveillance constante afin qu’ils n’apparaissent pas comme une redite d’une troupe à la Bellounis, c’est-à-dire un embryon « d’armée algérienne ».
L’ouvrage s’articule en six chapitres apportant réponse a toutes les questions inhérentes a ceux qui avaient choisi « le mauvais camp » à l’heure de la décolonisation que cette population, analphabète et peu informée, ne pouvait concevoir. Tout d’abord, François-Xavier Hautreux fait la synthèse des diverses catégories de supplétifs lors du conflit algérien, soit 250 000 hommes pour un total minimal, dont 60 000 harkis entre la fin de 1959 et le début de 1961. Les raisons de l’engagement sont déclinées, du motif alimentaire pour subvenir aux besoins de la famille, au désir de vengeance suite à une exaction du FLN, sans oublier la logique de l’appartenance clanique (notamment dans les Aurès) ou le cas des anciens de l’ALN, torturés et « retournés». Bien peu, y compris parmi ces enfants-soldats de 15 ou 16 ans, avaient conscience de se battre pour les valeurs de l’Algérie française et combien ont été de simples maçons ou cuisiniers avant d’être des informateurs ou des membres d’un commando de chasse.
La deuxième partie, au centre d’une polémique que ce colloque devrait aider a éteindre, concerne l’abandon et le massacre des harkis. Non sans courage, avec toute la sérénité de grand témoin et d’historien qui le caractérise fort de son internement au pénitencier de Lambèze ou il rencontra d’anciens supplétifs en 1965, Mohammed Harbi rappelle qu’il n’est pas possible de considérer les harkis comme des collaborateurs, tout en analysant les conséquences du déracinement des populations soumises aux regroupements dans des camps lors de la guerre d’Algérie. L’historien algérien souligne également que bien souvent, en Algérie, l’identité de lignage était plus forte que l’identité nationale pour nombre de ruraux.
ll va ans dire que la communication sans doute la plus attendue de ce colloque heureusement publié est celle de Sylvie Thénault. Ce texte, « Massacre des harkis, ou massacre de harkis ? Qu’en sait-on ? », devrait, espérons-le, mettre fin à de vaines querelles d’écoles à travers une gabegie de chiffres. En citant, de façon critique, le rapport du sous-préfet de l’arrondissement d’Akbou, dans le département de Setif, mars-novembre 1962, l’historienne ne cache rien des exactions, des humiliations, mais aussi de ces harkis cachés par la population. Elle explique les chiffres non fondés de 150 000 morts. Sylvie Thénault propose à ce sujet une enquête historiographique où elle rejoint Guy Pervillé sur l’impossibilité d’avancer une estimation précise, si bien qu’il est préférable de parler non de « génocide », mais de « massacre de harkis » plutôt que de « massacre des harkis ». Non seulement dans cette communication, mais aussi dans l’introduction, cet ouvrage apporte aussi beaucoup quant à la question des responsabilités, en montrant, notamment, comment les pouvoirs publics français ont invité les harkis à rester en Algérie à la signature des accords d’Evian et comment on a ensuite pris des mesures très strictes pour limiter, dès juillet 1962, l’arrivée de supplétifs dans des camps en France.
La troisième partie complète des colloques déjà publiés et maintes études et témoignages relatifs aux camps des harkis en France entre 1962 et 1987. Sont bien mises en relief les spécificités de ces hontes de la Vème République qu’étaient les camps de Rivesaltes (Abdel Kader Hamadi), Saint-Maurice-l’Ardoise (Abderahmen Moumen) et Bias (Patrick Jammes qui y fut médecin). A noter aussi le cas particulier de la harka du bachaga Boualam, celle des Beni-Boudouanes, à Mas Thibert, en Camargue, analysé par Giulia Fabbiano. Les dernières parties quittent le champ proprement historique pour accompagner la juste revendication de la mémoire des harkis et la requête en dignité de leurs enfants et petits-enfants, de la révolte de 1975 a la loi de 2005 reconnaissant les « souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés », sans oublier l’abrogation de l’article 4 de la « loi scélérate » sur les aspects « positifs » de la colonisation dénoncé par l’association Harkis et droits de l’Homme, tout en refusant l’amalgame harkis-Front national.