Sa présence a flotté toute la journée. Georges Frêche a été l’invité invisible du colloque organisé samedi par l’association Harkis et droits de l’homme à Paris sur «les harkis dans l’histoire de la colonisation et ses suites». Coïncidence de dates, cette manifestation s’est tenue trois semaines après que le président (PS) de la région Languedoc-Roussillon eut qualifié des harkis de «sous-hommes».
Pour les descendants des supplétifs de l’armée française lors de la guerre d’Algérie tricards à la fois dans leur pays d’origine et en France , le parallèle entre le sort qui leur a été fait hier et celui qui leur est réservé aujourd’hui est frappant : «On a été traité comme des sous-hommes, c’est pour cela que les gens se permettent aujourd’hui de nous traiter de sous-hommes», observe Abdelkrim Klech, président du collectif Justice pour les harkis et leurs familles (lire ci-dessous).
Sur le fond, ce colloque a montré à quel point l’histoire des harkis est ignorée. En Algérie comme en France. De part et d’autre, la question a été instrumentalisée, «mythologisée», car «à travers elle apparaît toute la complexité de la guerre d’Algérie», détaille Gilles Manceron, historien et vice-président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), coorganisatrice du colloque. Sur les raisons pour lesquelles les harkis se sont engagés dans l’armée française, la doxa de droite parle encore de «choix idéologique», voire de «patriotisme». A gauche, en revanche, «il y a eu beaucoup de malentendus, une confusion générale, le besoin de recourir à des rapprochements abusifs avec la situation des Français pendant l’Occupation», rappelle Gilles Manceron.
«Collaborateurs». Dans une interview filmée projetée samedi, l’historien algérien Mohammed Harbi, ex-dirigeant du FLN (Front de libération nationale), reconnaît que «la gauche anticolonialiste et une partie des élites algériennes» ont eu tendance à assimiler «résistance française à l’occupation allemande» et «résistance algérienne à la colonisation française», les harkis étant alors traités de «collaborateurs».
Dans la réalité, ont rappelé les historiens, l’engagement des harkis aux côtés des Français a répondu à de multiples motivations : réponses aux exactions du FLN, nécessité de subvenir aux besoins des siens dans un pays à l’économie dévastée par la guerre, obligations de se conformer à un ordre du père, grand-père ou oncle dans une société où le lignage pouvait être beaucoup plus fort que l’identité nationale.
Sur l’importance des massacres de harkis en Algérie après l’indépendance, et leurs instigateurs, le flou règne également. Quant à l’accueil qui leur a été réservé à leur arrivée en France, en revanche, la réalité est mieux connue : des travaux universitaires sont en cours, et Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l’association Harkis et droits de l’homme, et d’autres, ont témoigné de leur séjour dans des camps militaires.
Appel. En clôture du colloque, les associations ont lancé un appel aux gouvernements français et algérien pour qu’ils cessent d’instrumentaliser la question harkie. Seront-elles entendues ? Pour Anne Savigneux, chargée du dossier «harkis» au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), la bavure de Frêche aura au moins eu le mérite de «faire sauter un verrou», celui qui empêchait les associations ayant accompagné les luttes liées à la décolonisation de prendre la défense de «supplétifs de l’armée française communément appelés « harkis », ce qui dans le langage courant est hélas assimilé à « traître »». Il s’agirait d’une évolution historique pour les défenseurs des droits de l’homme, y compris la LDH.
A gauche, cette évolution reste à faire. Samedi, Adeline Hazan, secrétaire aux droits de l’homme du PS, est venue. Avec d’autres socialistes, elle a bataillé pour que Frêche soit suspendu des instances nationales et que la commission nationale des conflits soit saisie d’une demande de sanction contre lui. Ce qu’elle a obtenu. Mais personne ne sait quand cette instance se réunira.
Un camp contre Frêche
«Une icône». C’est par ces mots que Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l’association Harkis et droits de l’homme, organisatrice du colloque, a accueilli Abdelkrim Klech, président du collectif Justice pour les harkis et leurs familles.
Pour protester contre les déclarations de Georges Frêche, président (PS) de la région Languedoc-Roussillon, Abdelkrim Klech a installé un campement devant le siège du Parti socialiste à Paris. Sur le trottoir, une tente igloo et un panneau dénonçant les propos «hitlériens» de Georges Frêche et demandant son renvoi du Parti socialiste. Dans une voiture garée à proximité, un autre harki tente de se réchauffer. Ils sont plusieurs à se relayer depuis bientôt trois semaines. Pour l’instant sans résultat. «Le PS a poussé la chansonnette en disant que Georges Frêche s’est excusé et que l’affaire est classée, mais on veut une sanction claire et ferme», explique Abdelkrim Klech. En trois semaines, les harkis ont reçu la visite d’une quarantaine de députés UMP. Sinon, «on a vu des socialistes à titre individuel. Hollande est venu avec ses gardes du corps, Fabius a dit bonjour. Pour le reste, on n’a vu aucun autre gros manitou, ils doivent avoir honte de s’arrêter».
Catherine COROLLER