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Pierre Mestre

les fusillés de 14-18 : une souffrance toujours vive

La Ligue des droits de l'Homme poursuit son combat, commencé pendant la guerre, contre les injustices commises par des tribunaux militaires, et sa lutte pour la réhabilitation de leurs victimes, en liaison avec les familles et les associations d’Anciens combattants. C'est ainsi que, le 12 avril dernier, des représentants de différentes sections LDH de la région PACA se sont retrouvés à Saint-Maximin, autour de Marie-Thérèse Testud pour évoquer le cas de son grand-père, Pierre Mestre. Âgé de 32 ans, Pierre Mestre, maréchal-ferrant de Haute-Loire, est mobilisé début août 1914. En février 1915, dans les Vosges, soupçonné d'être déserteur après s'être mis à l'abri lors d'un tir des Allemands, il est traîné en cour martiale et fusillé sans autre forme de procès. Sa petite-fille entend aujourd'hui livrer une dernière bataille, celle de la réhabilitation de cet aïeul dont elle estime qu'il a été injustement sacrifié.
[Mis en ligne le 15 avril 2014, mis à jour le 18]

Communiqué du comité régional PACA de la LDH1

Aix en Provence le 17 avril 2014

Fusillés pour l’exemple, réparons l’injustice

Samedi 12 avril à l’occasion d’une réunion, organisée par le Comité Régional PACA, sur les fusillés pour l’exemple, des représentants de différentes sections de la Ligue des Droits de l’Homme de la région PACA se sont retrouvés à Saint-Maximin, autour de Marie-Thérèse Testud pour évoquer le cas de son grand-père, Pierre Mestre.

Âgé de 32 ans, Pierre Mestre, maréchal-ferrant de Haute-Loire, est mobilisé début août 1914. En février 1915, dans les Vosges, soupçonné d’être déserteur après s’être mis à l’abri lors d’un tir des Allemands, il est traîné en cour martiale et fusillé sans autre forme de procès.

Le Comité Régional PACA regrette les déclarations inexactes de l’historien Stéphane Audouin-Rouzeau lors du débat diffusé le 1er avril dernier sur France 2 à la suite du dernier épisode de la série Apocalypse, la première guerre mondiale. Il affirmait que les associations qui s’étaient mobilisées pour la réhabilitation de
ces soldats avaient approuvé les conclusions du rapport remis au ministre des Anciens combattants par le Conseil scientifique présidé par l’historien Antoine Prost installé auprès de la Mission du centenaire de la Première guerre mondiale.

La Ligue des droits de l’Homme poursuit son combat contre les injustices commises par ces tribunaux et pour la réhabilitation de leurs victimes, en liaison avec les familles et les associations d’Anciens combattants. C’est pourquoi le Comité régional PACA de la LDH apporte son soutien à Marie-Thérèse Testud dans la bataille pour
la réhabilitation de son aïeul dont elle estime qu’il a été injustement sacrifié. Avec elle, nous déclarons solennellement :

«C’est bien beau de dire qu’ils n’étaient pas des lâches,

mais réparons maintenant l’injustice.
»

Fusillés pour l’exemple: la der des batailles

par Marcelo Wesfreid, L’Express du 18 juillet 2013

Ils sont 650 à avoir été exécutés, principalement en 1914 et 1915, parce qu’ils ont cherché à fuir l’enfer des tranchées. Trop lâches ou trop humains ? Alors qu’approchent les commémorations de la Grande Guerre, la République rouvre le débat et pourrait les réhabiliter.

Pierre Mestre
Pierre Mestre
Il y a des passés qui, décidément, ne passent pas. Près d’un siècle après la Grande Guerre, Marie-Thérèse Testud veut comprendre pourquoi le sort a frappé aussi injustement son grand-père. Début février 1915, Pierre Mestre est enrôlé dans un bataillon de chasseurs à pied qui manoeuvre dans les Vosges. Avec deux de ses camarades, il est envoyé sur un coteau pour dérouler des barbelés quand les Allemands le prennent pour cible.

Il court se mettre à l’abri, attend une accalmie et rejoint son régiment, avec ses rouleaux de fil de fer sur le dos. Il a perdu la trace du reste du groupe. Sur le chemin, il croise deux officiers qui, le voyant seul, le soupçonnent d’être un déserteur. Pierre Mestre est traîné devant une cour martiale et fusillé sans attendre devant la troupe, réunie pour l’occasion. On fait jouer la fanfare devant sa dépouille.

C’est une époque où l’armée a carte blanche pour donner l’exemple. Au nom de cette priorité, les procès sont bâclés, les jugements, expéditifs. Les condamnés ne peuvent ni faire appel ni solliciter une grâce présidentielle. La discipline doit régner à tout prix. « Le centenaire de la Grande Guerre est l’occasion ou jamais de revenir sur cette face noire du conflit », espère Marie-Thérèse Testud.

En France, 650 militaires sont ainsi passés par les armes. Parmi eux, beaucoup de soldats qui s’étaient mutilés, se tirant une balle dans la main dans l’espoir de quitter l’enfer des tranchées. Ils ont été jugés pour « abandon de poste devant l’ennemi ». La plupart sont exécutés en 1914 et 1915, quand les généraux font du zèle. Ont-ils condamné des lâches ou des fantassins au bout du rouleau? La Nouvelle-Zélande (en 2000) et le Canada (en 2001) ont choisi de clore ce débat: ils ont réhabilité leurs réprouvés. En 2006, les Britanniques accordent à leur tour un « pardon global » à 306 de leurs compatriotes. « Qu’attend donc la France? » lance la petite-fille de Pierre Mestre.

Le gouvernement hésite à les réhabiliter

Le gouvernement hésite encore. « C’est le dernier sujet clivant de la Première Guerre mondiale, souligne l’historien Jean-Yves Le Naour, auteur de Fusillés. Enquête sur les crimes de la justice militaire (Larousse). Si ce débat est déminé à temps, les commémorations pour le centenaire pourront être consensuelles. Et le pays se retrouvera autour de la tombe commune. »

Le ministre délégué aux Anciens Combattants, Kader Arif, a commandé à l’universitaire Antoine Prost un rapport, qui sera rendu en septembre. « C’est un sujet très sensible, sur lequel il faut être prudent », souligne le ministre. Quand il était élu local, François Hollande s’était pourtant mouillé. Le 27 mars 2009, le conseil général de la Corrèze, qu’il préside alors, vote une délibération pour que les fusillés soient considérés comme des « soldats à part entière de la Grande Guerre ».

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Extrait d’une lettre écrite par le « déserteur » Jean Blanchard le 3 décembre 1914, la veille de son exécution. Il est l’un des six « martyrs de Vingré » innocentés par la Cour de cassation le 29 janvier 1921. (Texte reproduit avec ses fautes d’orthographe.)
DR

« Ce serait un beau geste que les maires de gauche de France inscrivent sur les monuments aux morts de leurs communes les noms de ces malheureux », ajoute François Hollande, la même année, dans une lettre à Eric Viot, romancier et historien, passionné par ce thème.

Devenu chef de l’Etat, le Corrézien va-t-il tourner cette page sanglante à l’occasion du 10 novembre 2013, date a priori retenue pour le début officiel du cycle de commémorations?

Le 5 novembre 1998, Lionel Jospin, alors chef du gouvernement, lance, le premier, ce débat mémoriel: « Certains de ces soldats, épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être sacrifiés, déclare-t-il à Craonne (Aisne), lieu de la terrible offensive du Chemin des Dames. Que ces soldats fusillés pour l’exemple, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire nationale. » En pleine cohabitation, Jacques Chirac n’apprécie pas cette prise de position.

Les esprits évoluent, par-delà l’opposition gauche-droite. Dix ans plus tard, Nicolas Sarkozy, en visite au fort de Douaumont, emprunte la voie tracée par le socialiste: « Cette guerre totale excluait toute indulgence, toute faiblesse. Mais, quatre-vingt-dix ans après la fin de la guerre, je veux dire au nom de notre nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches, mais que simplement, ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. »

Pour les familles, il faut désormais faire plus

« C’est bien beau de dire qu’ils n’étaient pas des lâches, mais réparons maintenant l’injustice », résume Marie-Thérèse Testud. Comment? Certains plaident pour une révision des procès, au cas par cas. Déjà, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a fait un pas, le 11 novembre dernier, en accordant la mention « mort pour la France » au sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant, un officier exécuté de façon atroce en octobre 1914, dans la Somme. Accusé de désertion, il est mis en joue par un peloton alors qu’il est grièvement blessé et fusillé sur son brancard.

Mais peut-on réviser des procès quand les témoins ont disparu? « 20 % des dossiers sont vides et ne comportent aucune pièce », affirme Jean-Yves Le Naour. Pour ne rien arranger, ces réprouvés comptent parmi eux une poignée de soldats arrêtés pour meurtre ou viol. Doivent-ils être absous avec les autres?

Faut-il réviser les procès, tous les procès?

A l’opposé, les pacifistes exigent qu’on efface l’ardoise, par principe. « Au nom du patriotisme, l’armée a envoyé des milliers de soldats au casse-pipe », argumente Marc Blondel. L’ancien secrétaire général de Force ouvrière (FO) milite depuis plus de dix ans, à la tête de la Fédération nationale de la libre-pensée, pour une réhabilitation globale par le président de la République.

« Pourquoi trier entre les poilus? Personne n’a vocation à être un héros face à une mitrailleuse. Les fusillés ne sont pas morts pour la France, mais par la France. Repentance ? Non, car nous ne demandons pas la condamnation des généraux. » En syndicaliste de la mémoire, Blondel cherche à peser sur le gouvernement: « Si François Hollande ne bouge pas avant 2014, je vais me faire entendre et mettre le paquet pendant le centenaire. »

Un membre de l'association Soissonnais 1914-1918 devant un monument dédié à six soldats fusillés le 4 décembre 1914, pour des faits de mutinerie, de refus d'obéissance ou d'automutilation (François Nascimbeni/AFP)
Un membre de l’association Soissonnais 1914-1918 devant un monument dédié à six soldats fusillés le 4 décembre 1914, pour des faits de mutinerie, de refus d’obéissance ou d’automutilation (François Nascimbeni/AFP)


Le monument dédié aux poilus fusillés à Vingré (Aisne). Dans les années 1920 et 1930, une cinquantaine de soldats ont été réhabilités. Depuis, rien. AFP

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) s’active également, organisant des rassemblements en souvenir de ces 650 poilus. Un vrai casse-tête. Ces fusillés ne sont pourtant qu’une poignée parmi les 1,4 million de soldats morts durant la Grande Guerre. Une cinquantaine d’entre eux ont été réhabilités dans les années 1920 et 1930, après moult débats au Parlement. Depuis, plus rien. Souvent, l’opinion publique les confond avec les mutins de 1917, parmi lesquels peu furent, en fait, exécutés.

Personne n’a vocation à être un héros face à une mitrailleuse

Ces oubliés pèsent sur les consciences. Jacques Sauquet peut en témoigner. Les deux grands-pères de cet ancien médecin d’Angoulême sont tombés à la guerre. L’un à Verdun. A la maison, on parle de lui comme d’un héros. L’autre, Pierre Laflaquière, n’est jamais évoqué. Un secret de famille. « J’ai appris il y a seulement quatre ans, par hasard, qu’il avait été condamné à mort, ainsi que son frère Edouard, pour s’être mutilé plusieurs doigts. » Aujourd’hui, l’octogénaire s’interroge: « Ils ont sans doute eu la trouille, dans leur tranchée. Je ne les prends pas pour des traîtres, mais leur acte n’a pas dû bien passer auprès de leurs camarades. Difficile de ne pas s’interroger. »

Comme tous les descendants de fusillés, il a besoin de se confronter à la réalité des faits. Pour cela, il a écrit au général André Bach. Ce militaire à la retraite épluche depuis des années les archives des procès. Ancien officier parachutiste, il a terminé sa carrière en prenant la direction, en 1997, du Service historique de l’armée de terre, au château de Vincennes. Là, il découvre, dans un coin, des cartons poussiéreux. A l’intérieur, les procès-verbaux des condamnations. Depuis, il s’attache en historien, mais aussi en haut gradé, à décortiquer les ressorts de cette tragédie. De toutes les régions, des descendants lui écrivent pour obtenir de précieux détails sur un lieu d’inhumation ou un motif de condamnation.

« J’ai connu les combats, notamment au Liban, où je dirigeais des Casques bleus, raconte André Bach. Dans la guerre, tout est traumatisant. On a peur. On a peur aussi d’avoir peur aux yeux des autres. Il faut arrêter de penser qu’un soldat partant en courant est forcément un fuyard. »

  1. Comité régional LDH PACA, Le Ligourès, Place Romée de Villeneuve, 13090 Aix-en-Provence

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