La situation imposée aux Algériens au temps de la colonisation française était la suivante : devenir citoyen français, c’était remettre en question son appartenance religieuse. Ce refus de citoyenneté (qui considère pourtant la religion comme une affaire privée), cette application d’un faux modèle de la République, provoqua l’essor d’un mouvement indépendantiste, à base religieuse/communautaire, et la guerre avec le dénouement que l’on connaît.
[Benjamin Stora – Le transfert d’une mémoire – la Découverte 1999]
En Algérie, avant le déclenchement de l’insurrection, bien que le territoire ait été déclaré français avec le statut administratif de trois départements dont les chefs-lieux étaient Alger, Oran et Constantine, tous les habitants ne jouissaient pas des droits attachés à la citoyenneté, la plénitude de ces droits étant le privilège d’une minorité, les Européens et les Juifs, considérés comme » Français d’ Algérie « , tandis que les » indigènes » en étaient a priori exclus, seuls quelques-uns d’entre eux, qui avaient fait une demande de naturalisation – d’ailleurs fort peu appréciée par leur communauté qui les qualifiait de m’tourni ( les « retournés ») -, en bénéficiant par mesure d’exception. Cette distinction était ancienne puisqu’elle remontait au sénatus-consulte du 14 juillet 1865 qui disait : » L’indigène musulman est français; néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane. »
Certes, à partir de 1919, différentes lois avaient permis à certains « indigènes » de devenir, sous certaines conditions, citoyens français, mais il s’agissait de mesures concernant toujours une petite minorité. Pour la masse des Algériens, il n’y a jamais eu égalité de statut, puisque ceux-ci, bien qu’ayant la nationalité française, étaient distingués du reste de la population, l’appellation de « Français musulmans » remplaçant celle d' »indigènes », mais conservant exactement le même sens.
[Gilles Manceron et Hassan Remaoun – D’une rive à l’autre – Syros 1993]
En fait, l’inégalité entre Européens d’Algérie et Algériens était institutionnalisée en matière d’impôts, de justice pénale, de service militaire, d’accès à la fonction publique, de rémunération dans la fonction publique, en matière d’accès à l’enseignement. Le statut de 1947, celui dont on pouvait espérer qu’il ouvrait la voie à une Algérie nouvelle, établissait l’inégalité en matière de droits civiques, puisqu’il instituait deux collèges électoraux, le premier collège( 900000 européens ) élisait 60 représentants à l’Assemblée algérienne, le second collège ( 9 millions d’indigènes) élisait également 60 représentants à cette même assemblée. D’ailleurs quand la rébellion a commencé et quand la France a voulu montrer que les choses allaient changer, elle a proclamé, à partir de 1958, qu’elle allait faire des Algériens des Français à part entière, reconnaissant ainsi que jusque-là ils ne l’étaient pas.
[Jean Sprecher – à contre-courant – éd. Bouchène 2000]
Il y eut un temps, sous la IIIe République, où, lorsque l’on parlait d’un Algérien, on voulait dire ce qu’on appellera plus tard un Français d’Algérie, ou, familièrement, un pied-noir. Ces pieds-noirs étaient issus de France, d’Espagne et de Malte. Le gouvernement de la Défense nationale, en 1870, y avait agrégé les juifs «indigènes», qui bénéficièrent de ce cadeau quelque peu empoisonné.
Le FLN, officiellement, ne cessa de dire qu’il tenait les pieds-noirs pour de futurs citoyens algériens. Il publia même, en plaquette, une anthologie d’écrivains algériens, y compris le défunt Albert Camus. Elle s’appelait, précisément, «Tous Algériens». La logique coloniale et la logique nationale l’ont finalement emporté. En peu de mois l’immense majorité des Français d’Algérie évacuèrent le pays. Nombre d’entre eux, par exemple Jacques Roseau, décrivirent ensuite une Algérie imaginaire où tous, musulmans, juifs et chrétiens, vivaient dans l’entente la plus cordiale. Seuls les agitateurs du FLN et la perfidie du général de Gaulle avaient mis un terme à cette idylle. D’autres se consolaient de l’effondrement de ce rêve en attribuant la responsabilité de la catastrophe à la seule OAS.
[Pierre Vidal-Naquet – Nouvel Observateur n°1946 – 21 février 2002]