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Édition du 1er au 15 octobre 2024

Les étrangers, l’insécurité et les élections, par Ali Ghanem (2002)

Pierre-Yves Lambert, l'un des fondateurs du site Minorités.org, nous propose de relire un article d'Ali Ghanem paru dans le Quotidien d'Oran le 28 février 2002. Cette analyse date d'avant les présidentielles de 2002, mais elle garde toute sa pertinence. 1

L’article d’Ali Ghanem, publié dans le Quotidien d’Oran avant les présidentielles de 2002, a gardé toute sa pertinence. D’autant plus que, malgré les rencontres qu’il évoque entre des politiciens français de tous bords et “ la communauté maghrébine de nationalité française ” dans une perspective électoraliste, l’Assemblée Nationale issue des élections législatives de 2002 ne compte aucun élu métropolitain d’origine maghrébine musulmane, africaine subsaharienne ou antillaise. Depuis le début des récentes émeutes, les seuls politiciens issus de ces communautés que les médias français ont jugé utile d’interviewer ont été le ministre UMP Azzouz BEGAG et la conseillère municipale PS Fadela-Fatiha AMARA, qui s’est contentée de dénoncer le recours à des imams pour appeler les jeunes au calme. A ma connaissance (je ne demande qu’à être démenti), aucun journaliste n’a interviewé les sénatrices Alima BOUMEDIENE ou Bariza KHIARI, ni les désormais nombreux conseillers régionaux (une quarantaine depuis les élections de 2004) ou maires-adjoints d’origine maghrébine musulmane, africaine subsaharienne ou antillaise. Seuls ont été médiatisés les administrateurs coloniaux de ces “ Cités ” , des maires tous bien “ gaulois ”, et les exécutants de la politique gouvernementale, magistrats et policiers.

Le “ modèle républicain d’intégration ”, il n’y a pas de quoi en être fier, il s’agit en réalité d’une prolongation de la gestion coloniale, les “ fellaghas ” sont devenus “ la racaille ” (lourd clin d’oeil de Nicolas SARKOZY aux aficionados de feu le site raciste SOS-racaille) après “ les sauvageons ”, et le “ nettoyage au Kärcher ” s’inspire probablement des modèles de Sétif le 8 mai 1945 et de Paris le 17 octobre 1961…

Pierre-Yves Lambert, le 6 novembre 2005.

Les étrangers, l’insécurité et les élections

Voilà 20 ans que j’entends parler de l’insécurité en France. 20 ans que les Français parlent de l’émigration et de l’intégration des immigrés, organisant colloques et conférences qui réunissent d’éminents spécialistes qui se font beaucoup plaisir à ces occasions.

C’est un mal français: expliquer et analyser à satiété la difficulté de leurs relations avec les résidants d’origine étrangère. Il ne faut pas oublier cependant que d’autres Français, nombreux, pensent que la diversité culturelle est une richesse pour la France. Ils organisent aussi des colloques avec d’éminents spécialistes.

Depuis quelques années, la majorité des résidants d’origine étrangère ont opté pour la nationalité française, surtout les Maghrébins et plus particulièrement les Algériens, qui sont maintenant, pour la majorité d’entre eux français. Mais quand on parle d’insécurité et d’intégration, on pense toujours aux Maghrébins et plus particulièrement aux Algériens. La plupart des Maghrébins sont francophones et maîtrisent la langue française. Le Maghrébin n’est plus simplement le manoeuvre des chantiers et des usines d’antan. Il participe à l’économie française dans des domaines divers, de la vie économique à la vie politique.

Après 40 ans de vie au sein de la société française, plus parisien que nombre de ceux qui vivent aujourd’hui à Paris, je n’ai jamais su ce que signifie ce mot « intégration », que l’on n’emploie jamais pour les Portugais, les Espagnols ou les immigrés des pays de l’Est. Peut-être est-ce la couleur de notre peau qui nous différencie des immigrés d’origine européenne, à moins que ce ne soit notre histoire commune avec la France qui pose encore problème.

Le Maghrébin travaille et habite à l’intérieur de la société française. Dans tous les quartiers de Paris et de France, il y a toujours un Maghrébin qui habite à proximité. Quand on parle de l’intégration, on pense toujours et encore aux Maghrébins, mais jamais à la communauté asiatique forte de 800.000 personnes, communauté qui, pourtant, vit de manière marginale à l’intérieur de la société française et qui ne maîtrise même pas la langue française. Chirac a reçu les représentants de cette communauté, pour la première fois cette année, à l’occasion du nouvel an chinois, élections obligent. Les députés maires de plusieurs arrondissements de Paris se sont aussi déplacés pour saluer les membres de cette communauté en fête dans leur arrondissement, ce qu’ils ne font pas auprès de la communauté maghrébine au moment de ses fêtes. Habitant Belleville, un quartier à forte population asiatique, quand j’aborde un Chinois dans la rue, la réponse est invariablement: « pas Français », et la conversation s’arrête. Les Asiatiques vivent en communauté fermée, ne consommant que leur propre nourriture qu’ils achètent dans les magasins et supermarchés spécialisés, ne se mariant qu’entre eux, en appliquant leurs propres traditions, contrairement à la majorité des Maghrébins et Africains qui, eux, participent à la tradition et à la culture françaises, se fondant dans le reste de la population en pratiquant couramment les mariages mixtes et en optant pour la nationalité française.

Le mal français, n’a-t-il pas été créé par les Français eux-mêmes, qui ont construit ces grandes cités ghettos où se retrouvent les gens les plus pauvres, les prolétariats français, maghrébin, africain et autres ? Quand on est dans ces quartiers, on voit que la vie est ailleurs: pas d’entreprises, pas d’emplois donc, pas de commerces, pas de lieux conviviaux, pas d’équipements de loisirs comme dans les villes et quartiers traditionnels. Le parc de logements privés est fermé aux gens d’origine étrangère. Ce n’est pas seulement la feuille de paye qui ferme les portes des quartiers centraux, mais aussi le nom à consonance étrangère. Même dans les HLM, il y a une différence de traitement: il y a les HLM où les étrangers sont en écrasante majorité, et les HLM proprets pour une population plus française. Les racines du mal ? Elles sont toujours là. Les « sauvageons » de 2001 sont les enfants des années 80, les enfants du chômage de masse, de l’exclusion, du lepénisme, des ghettos ethniques. La précarisation a pulvérisé les repères, ruiné l’autorité des parents.

La ville de Saint-Denis (93), dont la population est en majorité d’origine étrangère, a organisé, lors d’un conseil municipal, un débat de trois heures sur la sécurité. On y a beaucoup parlé des missions et des effectifs de la police, des moyens de la justice et de la prévention. Mais des voix se sont aussi élevées contre « le face-à-face stérile qui attise les tensions entre la police d’un côté et la population de l’autre ». On a entendu un appel à « la mobilisation de la société elle-même pour que chacun prenne en main sa construction, le vivre ensemble ». Le maire, Patrick Braouezec, a conclu en disant que « l’on ne peut pas oublier les causes de l’insécurité, que si l’on parle d’intolérance zéro, il faut aussi parler d’inégalité zéro, d’injustice zéro et de précarité zéro ».

Toujours à Saint-Denis, le groupe « Les Alternatifs » a organisé un débat auquel participaient des Français et des Maghrébins, enseignants, intellectuels, ouvriers, militants politiques, syndicaux et associatifs. Le débat était animé par Pierre Tévanian, qui vient de publier un livre « Stop quelle violence » aux éditions Esprits Frappeurs, dans lequel il analyse, met en perspective des chiffres et des données de façon à démonter les mensonges sur lesquels s’appuie le discours du tout sécuritaire. « Lorsque l’on se met, comme dans le Val-de-Marne, à affecter près du quart des forces de police sur la délinquance des mineurs, il est logique qu’on contrôle davantage, qu’on arrête davantage de personnes, et, par conséquent, qu’on observe une augmentation des statistiques, même si le nombre d’infractions n’a pas forcément augmenté. Si l’on s’amusait à affecter autant de personnes dans d’autres secteurs, par exemple dans l’inspection du travail, on observerait sans doute, du jour au lendemain, une augmentation semblable, et peut-être même bien plus spectaculaire ». S’appuyant sur des recherches historiques, il conclut que l’histoire de l’insécurité est un démenti à ceux, hélas trop nombreux, pour qui la seule solution est de faire preuve d’une sévérité impitoyable à l’égard des délinquants. Ce sont plutôt les facteurs tels que l’élévation du niveau de vie, l’amélioration des conditions d’existence, le développement de l’éducation ou les progrès de la démocratie qui apparaissent comme ayant joué un rôle majeur, sinon essentiel dans cette évolution constante vers une société plus sûre à tous les points de vue. La prévention s’est toujours trouvée plus efficace que la répression.

Depuis plusieurs années, à chaque élection française, municipale, législative, présidentielle et même européenne, c’est toujours l’insécurité qui revient dans la bataille de la propagande. Mais les responsables politiques ne provoquent-ils pas eux-mêmes cette haine raciale pour différencier les Français et les immigrés ? On ne citera pas Le Pen, qui bâtit toute son argumentation politique sur l’amalgame immigration = délinquance, mais dans un bulletin municipal de Jacques Dominati (UDF), un article évoquant « le droit à la sécurité » et illustré par la photo d’un groupe d’Africains. François Dubanchet, candidat UDF à Saint-Etienne, affiche sa volonté d' »en finir avec la délinquance bronzée », sans être sanctionné ni par la justice ni par son parti. Alain Juppé, dans son discours d’orientation générale à l’Assemblée nationale, affiche en juin 1995 sa volonté de « fermeté » contre « l’immigration clandestine et l’insécurité ».

Sous couvert de lutte contre l’insécurité, on organise une politique de gestion des troubles qui ont pour origine la pauvreté et la discrimination par la répression. Même le gouvernement de gauche a cédé à ce tropisme. C’est évidemment plus facile d’envoyer la police dans ces quartiers que de résoudre les problèmes de pauvreté et de discrimination. Mais cela ne résout pas le problème de l’insécurité; cela l’exacerbe même souvent en provoquant des réactions en chaîne. On envoie alors davantage de policiers, enfants des classes populaires, réprimer d’autres enfants des classes populaires, mais on n’envoie pas les policiers réprimer ceux qui pratiquent la discrimination à l’embauche et à l’habitation. Et on ne lutte pas contre l’incivilité majeure qui consiste à ne pas créer des conditions de vie et de travail décentes aux habitants de ces quartiers. Quel homme politique briguant les suffrages des électeurs avouera son impuissance dans ce domaine ?

Depuis quelques mois, les partis politiques de droite comme de gauche rencontrent la communauté maghrébine de nationalité française, en ayant en ligne de mire les élections présidentielles. Il y a 2 mois, Mme Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR, a reçu les représentants des associations de la communauté maghrébine au siège du RPR pour leur parler de leur rôle et de leur intérêt au sein de la société française. Plus récemment, à Nanterre, une réunion organisée par des Maghrébins proches du RPR a réuni Alain Juppé, le député RPR Pierre Lelouche, Eric Raoult, ancien ministre RPR de la Ville, le maire RPR de Suresnes, Roselyne Bachelot, qui vient d’être nommée porte-parole de Chirac pour la campagne présidentielle, et différentes personnalités politiques et militants du RPR, pour parler de la citoyenneté et du rôle que les Maghrébins peuvent jouer dans la société française.

Ce genre de réunion s’organise un peu partout en France pour faire la chasse aux voix des Français d’origine étrangère. Dernièrement, Chevènement et Chirac ont effectué des voyages éclairs au Maghreb, dont l’objectif – non avoué – était de faire la cour à l’électorat d’origine maghrébine. Robert Hue, président du Parti communiste français, s’en est allé au Mali.

Tout le monde parle de la sécurité, comme si c’était le principal souci des Français, en faisant l’amalgame avec le terrorisme. Le chômage, la cherté de la vie, les autres aspects de la vie politique viendront plus tard. Pour le moment, on en est essentiellement à la surenchère entre la gauche et la droite sur cette question de l’insécurité, dont tout le monde comprend qu’elle provient des étranges étrangers qui vivent sur notre sol.

Ali GhanemQuotidien d’Oran, le 28 février 2002

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