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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Les enfants réunionnais dits « de la Creuse » demandent justice

De 1962 à 1985, dans le cadre de la politique à l'initiative de Michel Debré, 2 015 enfants réunionnais ont été déracinés de l'Ile de la Réunion et disséminés dans des régions rurales françaises. Sans réel suivi auprès des familles dans lesquelles ils ont été répartis et où beaucoup ont été maltraités par la suite. Lors de la remise, en avril 2018, d’un rapport sur ce sujet, la ministre des Outre-mer avait annoncé des mesures. Fin 2019, rien n’a avancé. Ces enfants de la Réunion devenus des adultes n'oublient pas. Ils demandent justice et leurs revendications se font plus politiques.

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Les « Réunionnais de la Creuse » commencent à trouver le temps long. Et ils le font savoir

par Pascal Coussy, publié le 12 novembre 2019 sur le site de France 3 Limousin.

Un an et demi après la remise d’un rapport qui préconisait un certain nombre de mesures en leur faveur les associations de « Réunionnais de la Creuse » ne voient toujours rien venir. Ils ont organisé une conférence de presse à Paris le 14 novembre 2019 pour dénoncer l’inaction du gouvernement.

Les représentants des 2 000 enfants enlevés à leurs familles entre 1962 et 1984 et confiés aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance pour être transplantés à 10 000 kilomètres de chez eux estiment qu’ils ont déjà trop attendu. Ils réclament des mesures efficaces pour accompagner des enfants aujourd’hui devenus adultes.

Rien de nouveau depuis un an et demi

Le 18 février 2014, après des années de procédures judiciaires infructueuses, l’Assemblée Nationale adoptait à l’initiative de la députée Réunionnaise Ericka Bareigts une résolution mémorielle reconnaissant que l’Etat français avait « manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles ». Le texte de la Représentation nationale demandait aussi que « la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée » et que « tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ».

Le 7 novembre 2017, le président de la République fraîchement élu Emmanuel Macron reconnaissait dans une lettre adressées à la Fédération des Enfants Déracinés des Départements et Régions d’Outre-Mer (FEDD) que cette politique avait été « une faute » qui avait « aggravé dans bien des cas la détresse des enfants qu’elle souhaitait aider ».

Enfin, le 10 avril 2018, après deux ans de travail, cinq experts chargés de faire la lumière sur cette affaire rendaient leur rapport au gouvernement. Le document de 700 pages confirmait les milliers de traumatismes subis, aggravés par l’acculturation, la privation de l’identité et l’isolement. Et s’il relativisait quelque peu la responsabilité politique d’un Michel Debré, il pointait fermement la brutalité de fonctionnement, les carences et les manquements des services de l’Etat de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Les experts proposaient également des pistes pour accompagner les victimes dans leur difficile reconquête de vérité et de reconstruction après le traumatisme subi dans leur passé.

Accompagner les victimes

Lors de la remise du rapport la ministre des Outre-Mers Annick Girardin avait affirmé « le besoin d’être aux côtés de ces ex mineurs pour qu’un chemin accompagné puisse être poursuivi » ainsi que sa volonté de co-construire plusieurs préconisations mentionnées dans le rapport avec les associations d’ex-pupilles.

Aujourd’hui ces associations estiment que rien de nouveau n’a été fait depuis un an et demi. Conseillés par leur nouvelle avocate, Maître Elisabeth Rabesandratana, les « Réunionnais de la Creuse » ont dévoilé un plan d’action moins judiciaire mais beaucoup plus politique. Ils souhaitent intensifier le combat pour la reconnaissance de leur histoire et la réhabilitation de leur mémoire. Pour ce faire, ils demandent la mise en place d’un « Centre de ressources sur les questions liées à l’enfance » chargé d’assister les victimes dans leurs démarches et de « réparer » leurs traumatismes. Ce Centre de Ressources pourrait aussi être une base de réflexion pour améliorer la prise en compte et la législation des questions liées à l’enfance, tant au niveau national qu’international.

Une action moins judiciaire mais plus politique

Cet organisme pourrait être financé par la création d’un fonds spécifique, un peu à l’image de ce qu’ont mis en place les autorités suisses en débloquant 300 millions d’€ pour l’indemnisation des victimes de placements abusifs d’enfants pauvres jusque dans les années 1980, sur le même schéma et à la même époque que ce qui s’était produit à la Réunion. Car l’une des leçons essentielles du rapport des experts gouvernementaux remis en 2018 est bien que, malheureusement, le sort tragique que subissaient les enfants « Réunionnais de la Creuse » était similaire en de nombreux points au sort d’autres enfants dans d’autres pays du monde mais aussi en France Métropolitaine.

A cette époque, la règle des fonctionnaires des services de l’Aide Sociale à l’Enfance était de couper tout lien entre les enfants et les parents, qu’elles qu’en soient les conséquences, qu’ils soient originaires de Maubeuge ou de Saint-Denis de la Réunion.

Le sociologue Philippe Vitale soutient la démarche des « Réunionnais de la Creuse »

Dans un communiqué, Philippe Vitale, le sociologue qu a présidé pendant deux ans le groupe d’experts auteurs du rapport rendu l’an dernier au gouvernement, soutient à titre personnel la démarche des associations et leur volonté de faire bouger le Gouvernement.

Il constate que « peu de mesures ont été mises en œuvre » depuis la reconnaissance d’une « faute » par le président de la République « si ce n’est la perpétuation des mesures mises en place par la précédente ministre des Outre-Mers Ericka Bareigts ».

« Le temps passe », regrette-t-il. « Je ne sais ce qui justifie ce délai, mais qui ne pourrait entendre et comprendre l’impatience, la lassitude, des personnes qui ont vécu la transplantation de 1962 à 1984 ? Certains sont décédés depuis la remise du rapport. Trop sont encore en souffrance. Il est temps, je le crois, d’agir. De les aider », ajoutant « leur transplantation interroge plus largement l’Aide Sociale à l’Enfance d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que le traitement de l’enfance en danger ».

Et Philippe Vitale poursuit : « si l’affaire desdits enfants de la Creuse est entrée dans l’Histoire, il est nécessaire d’en tirer désormais les conséquences afin que cet aboutissement ne soit pas perdu de vue. Si la vie ne les a pas épargnés, les ex-mineurs transplantés de La Réunion doivent être aidés pour trouver la force de faire en sorte que leur avenir soit plus apaisé, pour eux-mêmes, pour leurs proches et pour les générations à venir ».

L’histoire, paraît-il, ne se répète pas.

Mais aujourd’hui, ce sociologue spécialiste des « Réunionnais de la Creuse » se dit extrêmement préoccupé par le sort réservé aux enfants de réfugiés Mahorais à Djibouti, dans l’hexagone… et à la Réunion.


Marie-Céline Velprat retrouve son frère
plus de 50 ans après son exil

Marie-Céline Velprat faisait partie de ces enfants Réunionnais déracinés à l’époque où Michel Debré faisait la pluie et le beau temps sur cette île et qui avaient été transplantés dans des campagnes françaises où ils ont vécu loin des leurs et où plusieurs d’entre eux ont été maltraités. Pour la première fois depuis 1970, cette auxiliaire de vie de 64 ans est revenue sur sa terre natale, qu’elle n’avait pas foulée depuis… 50 ans.

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