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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024

les déclarations de Sarkozy à Dakar sévèrement jugées en Algérie

Les Algériens y voient une «glorification insensée» de la colonisation et une «insulte» aux Africains. Ils notent que les couches nostalgistes relèvent la tête, dopées par le discours de Nicolas Sarkozy que la loi du 23 février 2005 a fortement inspiré.

La repentance avec ou sans Sarkozy

par Ali Bahmane, El Watan, éditorial du 20 août 2007

La France officielle s’enfonce de jour en jour dans le dénigrement de l’idée de repentance vis-à-vis des crimes coloniaux. L’extrême droite et toutes les couches nostalgistes relèvent la tête, dopées par le discours de Nicolas Sarkozy que la loi du 23 février 2005 a fortement inspiré bien que le texte ait été gelé sur initiative de Jacques Chirac, suite à l’émotion suscitée dans les anciennes colonies, notamment en Algérie, et à la mobilisation des historiens français. Le nouveau président a décidé de revenir à la case départ, de gommer tout l’argumentaire scientifique des spécialistes des questions coloniales et de faire fi de la sensibilité des populations victimes des méfaits des expéditions coloniales. A l’évidence, sur cette question, Nicolas Sarkozy a une conviction profonde, bien inscrite dans la durée et pas du tout feinte. Elle ne procède pas d’un calcul politique consistant à rallier à lui les rêveurs des grandes conquêtes d’antan même si ce calcul n’est pas tout à fait absent.

A ses yeux, les armées coloniales ont civilisé des « peuplades arriérées » et apporté « progrès et humanité » : la France civilisatrice a laissé son empreinte. Gloire donc à tous les généraux des expéditions et aux soldats et missionnaires, large reconnaissance à tous les supplétifs et aux groupes tueurs de type OAS. Et haro sur les « dénigreurs » et ceux qui se hasardent à emprunter le chemin des excuses et du pardon. Nicolas Sarkozy s’est attelé à propager sa vérité autour de lui, ouvrant les bras aux admirateurs et nostalgiques de la colonisation, n’hésitant pas à prendre son bâton de pèlerin pour l’étranger. En Algérie le 11 juillet dernier, il a lâché qu’il n’était pas là (à Alger) pour s’excuser.

Au Sénégal, il a reconnu que « quelques erreurs » ont été commises par le passé. Ainsi donc, tout le mal engendré par l’esclavagisme relève de l’insignifiant. Le président français rame à contre-courant du mouvement d’opinion qui se développe dans les anciennes colonies du monde occidental pour que l’esclavagisme soit considéré comme crime contre l’humanité. Là aussi est posée l’exigence de repentance pour les millions d’Africains livrés à la traite négrière dans des conditions de souffrance inimaginables. Alors qu’elle commençait à vaincre ses vieux démons, la France se trouve brutalement rattrapée par son passé odieux. Elle est piégée par la glorification insensée de la colonisation portée par un président de la République dont le rôle essentiel pourtant est de réparer les préjudices et de se plier à la vérité historique. Pourquoi la France refuserait-elle aux anciennes colonies ce qu’elle a concédé, à juste titre, aux juifs de la Shoah ? Et pourquoi un tribunal de Nuremberg pour les seuls crimes nazis ? Mais la repentance est inscrite dans le sens de l’histoire. Elle se fera avec ou sans Sarkozy.

Ali Bahmane

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Sarkozy, « le civilisateur »

par Faycal Metaoui, El Watan, le 29 juillet 2007

Depuis son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy tente de donner un coup de jeune à la diplomatie française. Mais à vouloir trop faire de bruit, avec des gestes et des actes qui vont dans tous les sens, le président français, bien ancré dans sa droite natale, renvoie plutôt une mauvaise image : une diplomatie-spectacle. Il veut faire accroire au monde entier qu’il a réglé l’affaire des infirmières bulgares en Libye, alors que la médiation qatarie et européenne était à l’origine du dénouement de la crise. Il tente de chercher des solutions à la crise du Darfour soudanais en ignorant le gouvernement de Khartoum. Il se lance dans la quête d’une issue au problème libanais en s’attaquant au Hezbollah. Il propose une idée de créer une union méditerranéenne sans en préciser les contours. Ce n’est pas forcément mauvais de faire des propositions à un niveau géostratégique, à condition que celles-ci soient définies.

Et voilà que Nicolas Sarkozy vient en Afrique pour essayer de rompre avec les complaisances liées à « la Françafrique » et au « pré carré ». Sans y parvenir. Des discours tenus au Sénégal et au Gabon, pays amis de la France, ont choqué les Africains. Le franc-parler du locataire du palais de l’Elysée plaît peut-être à une partie des Français, y compris ceux de l’extrême droite, mais ne passe pas ailleurs. « L’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur : la colonisation n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux », a dit Sarkozy à Dakar. Autrement dit, que les Africains s’entretuent, c’est de leur faute. Qui a divisé des tribus en créant des frontières artificielles ? Qui a pillé les richesses des terres du continent ? Qui a introduit l’idée diabolique de la main coupée à la machette ? Qui a alimenté les haines entre ethnies en tentant d’effacer les identités et les langues ?

Le fautif porte un nom : le colonialisme. Ce colonialisme, selon la thèse de Sarkozy, n’est pas responsable de la venue de « dictateurs et de corruption ». Ces mêmes « dictateurs » sont couverts d’or et de lumière lorsqu’ils débarquent dans les capitales européennes, à commencer par Paris, et leurs comptes sont protégés par les banques du Vieux continent. Des chefs d’Etat de ce continent revendiquent publiquement une amitié avec ces « dictateurs » et n’hésitent pas à conclure avec eux de juteux marchés. A Libreville, Sarkozy a serré la main au Gabonais Omar Bongo, qui n’a aucun palmarès à défendre en matière de démocratie ou de respect des droits humains. Tout comme le Tunisien Zine El Abidine Ben Ali que Sarkozy a embrassé avec entrain lors de sa récente visite à Tunis.

Pire. Le président français suggère que les Africains n’ont aucun héritage civilisationnel. « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire (…). Jamais il ne s’élance vers l’avenir. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance », a-t-il dit à Dakar. En termes peu diplomatiques, cela s’appelle une insulte. Ces propos d’une gravité intense soulignent que le président français a une conviction : la suprématie supposée de la « civilisation » occidentale. C’est simple : il demande aux Africains « d’assimiler » une part de cette civilisation pour sortir de la misère. Et là, il n’est pas loin des thèses des néoconservateurs américains et des milieux racistes de l’extrême droite européenne. Après cette incroyable gymnastique, qui rappelle l’état d’esprit des premiers colons venus « civiliser » les autochtones en Algérie et en Afrique de l’Ouest, Sarkozy est arrivé à proposer à l’Afrique un autre projet : l’Eurafrique. Est-il autorisé à parler au nom de l’Union européenne sur ce projet aux traits flous comme celui de l’union méditerranéenne ? Et pourquoi cette volonté de chercher à diviser entre Afrique du Nord et l’Afrique au-delà du Sahara en proposant deux projets différents ?

« J’aime l’Afrique », a dit Sarkozy. On a tendance à ne pas le croire.

Faycal Metaoui
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