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Édition du 1er au 15 novembre 2024

L’enseignement scientifique dans les colonies de l’Afrique Occidentale Française (1903 – 1939), par Angel Pellerej

Note de synthèse sur le Mémoire de Master dirigé par Claude-Olivier Doron, maître de conférences à Université Paris Cité et soutenu le 17 juin 2024 dans cette université, au département d’Histoire et de Philosophie des Sciences, les Politiques de l’enseignement scientifique dans les colonies de l’Afrique Occidentale Française : 1903 – 1939.

Les travaux en histoire portant sur les institutions françaises en contexte colonial tendent à mettre en lumière certaines spécificités vis-à-vis de leurs homologues métropolitaines. L’objectif de tels travaux est de soustraire ces institutions à une vision réductrice les faisant le plus souvent apparaître comme simple transposition du modèle « original » de la métropole et de montrer comment de nouveaux enjeux, propres aux territoires colonisés, imposent le développement de méthodes particulières. S’intéresser, à travers ce prisme, à l’ancêtre de l’Education Nationale, l’Instruction Publique, peut nous permettre d’éclairer certaines des problématiques qui traversent l’institution scolaire de la Ve République et dont il serait intéressant d’en interroger les continuités avec le contexte colonial. A travers mon mémoire de recherche, je me suis donc penché sur l’émergence de l’école publique en Afrique Occidentale Française au début du XXe siècle, en me focalisant particulièrement sur les politiques de l’enseignement scientifique.

Instaurée en 1903 d’après la Charte de l’enseignement en AOF, l’éducation dans la colonie française a constitué un des enjeux majeurs de la « mission civilisatrice » sous la IIIe République. L’objectif évoqué : « améliorer l’âme indigène et, si l’on peut dire, […] augmenter la valeur morale des races que le hasard de l’histoire nous a confiées ». Nulle doute ici que la rhétorique paternaliste tente de masquer, à travers le rôle prétendument bénéfique de la colonisation, les vérités qui se cachent derrière de telles politiques. Car si telle fut l’ambition des administrateurs de l’AOF, comment justifier de la volonté omniprésente dans le développement de l’institution scolaire sur le territoire, à savoir « préparer à l’œuvre gouvernemental les meilleurs auxiliaires possibles ». Il apparaît bien plutôt que l’optimisation de l’organisation impériale en Afrique Subsaharienne – dont les régions colonisées n’étaient pas destinées au peuplement en raison d’un climat trop peu favorable – a justifié l’apparition d’une institution dont les visées sociales étaient largement supplantées par les objectifs économiques.

Ce qui est marquant, lorsque l’on s’intéresse, dans un premier temps, à la nature des discours englobant l’enseignement scientifique dans un tel contexte, c’est cette tendance à considérer les capacités des habitant.es de l’AOF comme étant inférieures à celles du colon, notamment en matière de « raisonnement », d’ « initiative », de « jugement » ou encore d’ « imagination ». Seule qualité a priori de l’« enfant noir » : sa mémoire. Adapter l’enseignement scientifique, en conséquence, s’est donc imposé comme un principe relevant du bon sens. Cependant, les considérations à propos du danger potentiel d’un tel enseignement nous permettent d’émettre un doute quant aux justifications mentionnées plus haut et révèlent un autre aspect des politiques éducatives en AOF. En effet, l’enseignement « au rabais », destiné tout au plus à une faible partie des populations colonisées, semble répondre à une crainte ayant longtemps hanté les administrateurs coloniaux, soucieux du développement d’un esprit de révolte parmi les élèves de l’Instruction Publique.

L’un des défenseurs incontournables de l’institution dans la colonie, Georges Hardy, alors Inspecteur Général de l’AOF, s’exprime, à ce sujet, en des termes édifiant : « Nos programmes de calcul ne sont pas très étendus : aucun enseignement n’exige aussi impérieusement qu’on procède lentement et sûrement, sans laisser derrière soi des tribus d’idées insoumises. […] En un mot, nul n’entre ici s’il est géomètre. » Concernant les sciences naturelles, il écrit : « Ce n’est pas de la science pure que nous distribuons ici. […] C’est donc un programme de leçons de choses ou de connaissances usuelles plutôt qu’un programme d’histoire naturelle. [Le maître] se méfie de la mémoire de ses élèves, qui a le tort d’être trop fidèle et qui ne marche pas toujours de pair avec le raisonnement. […] Faute d’observer minutieusement ces précautions essentielles, l’enseignement des sciences usuelles […] se tournera en fausse science inutile et dangereuse et emportera [ses élèves] dans les nuées. Nul enseignement ne se prête plus aisément aux erreurs et aux excès. »

Ayant peu évolué dans la première partie du XXe siècle, l’enseignement scientifique gardera un caractère lacunaire dont le niveau n’atteindra celui de la métropole qu’à partir de 1946, lors de la création de l’Union Française. La formation de cadre techniques suppléant l’entreprise coloniale a joué un enjeu largement plus important, pour les administrateurs, que le soit disant « devoir de civilisation » – par ailleurs bien illégitime. Ces considérations nous éclairent, dans le même temps, sur la façon dont le gouvernement français ne cesse de justifier sa politique extérieure encore aujourd’hui, en particulier avec ses anciennes colonies, à travers une prétention à l’intérêt mutuel, quand bien même les voix qui s’y opposent sont la grande majorité.

Angel Pellerej.

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