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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
aux abords de l'Assemblée nationale à Paris en février 2004 - © 2004 AFP - Jack Guez

« Le voile » : faits divers

Bobigny : la préfecture interdit à des femmes voilées l'accès à son salon d'honneur ; elles se rendaient à une cérémonie de naturalisation.
( faudra-t-il envisager des opérations de testing à l'entrée des préfectures ? ) Mulhouse : violente agression contre une mère de famille voilée.

1 – La préfecture de Seine-Saint-Denis interdit à des femmes voilées l’accès à son salon d’honneur

par Philippe Bernard
[Le Monde du 24.12.04]

aux abords de l'Assemblée nationale à Paris en février 2004 - © 2004 AFP - Jack Guez
aux abords de l’Assemblée nationale à Paris en février 2004 – © 2004 AFP – Jack Guez

Cinq femmes se sont vu interdire, mardi 21 décembre, l’accès à la salle d’honneur de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, à Bobigny, où avait lieu la cérémonie de remise des décrets de naturalisation aux nouveaux Français.

Trois d’entre elles, directement concernées, avaient été conviées à fêter leur propre accession à la nationalité, les deux autres accompagnaient de nouvelles naturalisées.

« J’accompagnais ma mère, une femme de 53 ans qui porte un foulard depuis qu’elle a fait son pèlerinage, témoigne Amel Cheikhi, une informaticienne de 29 ans. A l’appel de son nom, nous nous sommes présentées mais une employée a demandé à ma mère de retirer son voile si elle voulait entrer. J’ai demandé pourquoi, expliqué que nous n’étions pas à l’école et que la loi sur la laïcité ne s’appliquait pas. »Une autre jeune femme, non voilée, nouvellement naturalisée, a dû laisser sa mère voilée à la porte de la salle.

« UNE HUMILIATION »

Devant les protestations, les deux sous-préfets qui présidaient la cérémonie se sont expliqués. « Cette cérémonie se veut à la fois solennelle et conviviale. Il y a des drapeaux, une Marianne, La Marseillaise est entonnée, constate l’un d’eux, Michel Theuil, directeur de cabinet du préfet. Le respect du principe de neutralité est une nécessité pour éviter toute interprétation communautariste, surtout dans ce département sensible où cohabitent harmonieusement de nombreuses communautés. »1

Mme Cheikhi ne porte pas la même appréciation : « Nous n’étions pas venues pour polémiquer mais pour retirer un décret de naturalisation obtenu après trois années de procédure. J’ai ressenti cette exclusion comme une humiliation. Nous avons dû attendre la fin de la cérémonie entre des policiers, comme des parias. On a fait comprendre à ma mère que si elle pénétrait dans la grande salle de la préfecture, elle ferait injure à la République. Elle vit en France depuis 1971 et son mari, mort en France, a travaillé pendant trente ans dans ce pays. On est en France, il y a des lois et je les respecte. Mais là, personne n’a pu me dire où était le texte qui interdisait à ma mère d’entrer. »

La loi sur l’interdiction du port ostensible de signes religieux ne s’applique que dans les établissements scolaires, et les nouveaux naturalisés ne sont pas des agents publics astreints au principe de neutralité.

Au ministère de l’intérieur, on insiste sur le fait que la participation à la cérémonie, organisée par une circulaire de 1993, n’est pas une condition d’accès à la nationalité et que les femmes voilées se sont vu remettre leur décret à l’issue de la réception. On explique que, « lorsque des personnes veulent porter atteinte au bon déroulement d’une cérémonie par un comportement contraire aux valeurs de la République », l’organisateur, le préfet, « peut en tirer les conséquences » 2.

Les intéressées assurent qu’elles n’étaient nullement venues pour gâcher la fête, mais que l’interdiction d’entrer les a conduites à protester. Interrogées, deux d’entre elles se disent « révulsées » par les propos d’un porte-parole de la préfecture rapportés par Libération, qui, dans son édition du 22 décembre, a révélé l’affaire. Le porte-parole assurait qu’elles étaient « venues en groupe avec l’intention de troubler la cérémonie ».

« Nous ne nous connaissions pas. Nous avons discuté fermement », assure Olfa Lamloum, politologue, chargée de cours à l’université Paris-X (Nanterre). Venue retirer son décret de naturalisation, elle a assisté à la scène et estime « très grave »que la discrimination « vienne de l’Etat ».
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Le MRAP a protesté mercredi dans un communiqué « contre cette humiliante et illégale pratique discriminatoire qu’aucun texte n’autorise et qui détourne de manière raciste la loi sur les signes religieux. »

« L’indignation du MRAP, poursuit le communiqué, est d’autant plus grande qu’à cette discrimination se mêle une discrimination sexiste en la circonstance puisque lors de cette même cérémonie, un homme portant une barbe et le khamis (robe blanche traditionnelle) a été admis dans la salle de la cérémonie. Le MRAP demande que cessent ces pratiques et étudie les possibilités d’actions juridiques appropriées ».

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2- Mulhouse : frappée parce qu’elle portait le voile

par Lionel Feuerstein
[Le Parisien , vendredi 17 décembre 2004]

Une femme a porté plainte hier à Mulhouse pour avoir été violemment agressée et frappée par deux hommes, parce qu’elle portait le voile islamique. Une enquête a été ouverte et un appel à témoins a été lancé.

La scène s’est produite mercredi matin sur le parking du supermarché de l’avenue Aristide-Briand. Ouarda Bouatti, une mère de famille de cinq enfants, gare sa voiture comme souvent pour faire ses courses à cet endroit. Elle se dirige vers l’entrée du magasin en poussant son Caddie.

Deux hommes s’approchent. Un grand maigre avec un bouc l’interpelle : « Vous avez vu les problèmes que vous faites en France avec votre truc de merde sur la tête ? » Ouarda Bouatti, qui porte le hijab, reste sans voix. Un premier coup de poing part, puis un deuxième. Sa tête heurte alors violemment le mur derrière elle : « J’ai eu le temps de voir l’autre personne lui donner un bâton. J’ai mis mon bras en avant pour qu’ils ne me cognent pas sur la tête. » L’agresseur la frappe six ou sept fois de suite. « Après, son copain lui a dit : Vas-y flingue-la ! A ce moment-là, j’ai eu très peur. » Dans un geste désespéré, la mère de famille s’échappe et court vers le magasin.

« Elle est arrivée toute blanche. Elle tremblait », raconte Isabelle, une des caissières. Le soir même, munie d’un certificat médical, cette femme de ménage d’origine algérienne, née à Mulhouse, porte plainte contre ses agresseurs. « Elle est arrivée avec un énorme hématome à l’oeil gauche et des blessures au bras », explique le commissaire André Goepp, responsable du service de police de proximité. « Aujourd’hui rien ne permet de mettre en doute sa parole. Les faits semblent avérés », remarque l’officier. La police a lancé un appel à témoins pour tenter de retrouver des clients susceptibles d’avoir assisté à la scène.

Sentiment de révolte

« Des gens, il y en avait pourtant : ils étaient derrière les vitres de leur véhicule, ils regardaient la scène, mais personne n’a bougé, ni même klaxonné », regrette Ouarda Bouatti.[…]

Communiqué de la section de Mulhouse de la LDH

La Ligue des Droits de l’Homme, Section de Mulhouse, tient à apporter tout son soutien et à témoigner toute sa solidarité à Mme B., une mère de famille lâchement agressée [mercredi 15 décembre 2004] sur le parking d’un centre commercial à Mulhouse au seul motif qu’elle portait le voile.

Cette agression intolérable qui vient encore alourdir un peu plus le climat malsain de racisme et d’antisémitisme qui s’est abattu sur notre région doit trouver sa suite judiciaire par la condamnation pénale de ses auteurs.

Au-delà de l’indignation suscitée par cette agression, la LDH appelle chaque citoyen à réagir et à considérer en permanence chaque acte raciste, antisémite, chaque discrimination comme une agression contre tous les habitants de ce pays. Ce n’est qu’à ce prix que nous ferons reculer ces tares qui gangrènent notre société et qui, si on les laisse se développer, finiront pas ruiner la paix civile.

L’enjeu est de relever le défi de construire la France que nous voulons : une République laïque, qui accueille, dans l’égalité des droits et le respect de la règle commune, la diversité de celles et de ceux qui y vivent.

  1. « Visiblement, ces personnes étaient instrumentalisées et n’ont pas voulu retirer leur couvre-chef avant d’entrer dans le salon comme nous le leur avons demandé », s’est borné à déclarer un porte-parole de la préfecture.
    « Ce genre d’incident s’est déjà produit », a-t-il poursuivi. [AFP – 22/12/2004 13:41]
  2. D’après l’AFP, la préfecture de Bobigny a reconnu qu’aucun texte législatif n’interdit le port du voile lors de ces cérémonies symboliques.

  3. Olfa Lamloum devait préciser :  » Le sous-préfet, appelé pour justifier cette demande, a déclaré que ces instructions ne découlaient pas d’un texte législatif ou réglementaire mais se fondaient sur des principes républicains : pour une cérémonie aussi symbolique de l’intégration dans la communauté nationale française, où la Marseillaise est jouée, tout signe ostensible d’appartenance communautaire doit être banni. […] Le Directeur de Cabinet du Préfet a confirmé les instructions, les attribuant à la volonté du Préfet, « maître dans la Maison de la République » « .
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