Essais nucléaires: le tribunal de Toulon donne raison aux victimes
Le tribunal administratif de Toulon a rendu sa décision en faveur des victimes des essais nucléaires. Selon ses magistrats, les quatre cas varois présentés le 4 octobre dernier devant sa juridiction, ceux des veuves d’irradiés, Simone Prima, Halima Lorillere et Thérèse Henry ainsi que celui de l’ancien militaire de l’armée de terre, Claude Creugny répondent bien aux obligations légales et aux conditions médicales conformes à la loi Morin du 5 janvier 2010. Laquelle visait justement à reconnaître les souffrances des victimes et à indemniser ces personnes qui se battent depuis des années.
Les Varois parmi les 400 cas reconnus
Pour leur avocate, Cécile Labrunie : « C’est une décision très satisfaisante dans la mesure où le tribunal administratif rappelle au ministère de la Défense les obligations de cette loi dont il est à l’origine, en vue de procéder à l’indemnisation des préjudices subis par les victimes».
Le ministère de la Défense a toutefois trois mois pour faire appel de cette décision. Sachant que parmi les quelque 700 dossiers défendus par l’AVEN1 présentés en France pour indemnisation, seuls 400 environ rempliraient les conditions de cette loi dont ces quatre dossiers varois. « Une victoire» pour Halima Lorillere de Draguignan qui se bat depuis des années pour faire reconnaître les maladies et souffrances vécues non seulement par son mari décédé mais aussi par ses enfants. « C’est l’arlésienne cette loi Morin mais j’irai jusqu’au bout pour mes enfants. A l’âge de 7 ans, les médecins me disaient déjà que mon fils pouvait mourir d’un jour à l’autre. Depuis, il a multiplié les gros problèmes de santé. Je suis en colère après le gouvernement qui promettait d’indemniser les victimes.»
Une colère partagée par Thérèse Henry de Toulon dont le mari est décédé à 53 ans de maladies « radio induites». Pour elle, cette décision est surtout « une reconnaissance par le tribunal administratif de Toulon. C’est positif mais il ne faut pas crier victoire car très peu de dossiers ont été indemnisés. Il y a toujours quelque chose qui cloche.» Enfin, Claude Creugny de l’Est Var, a été envoyé à l’âge de 20 ans, à proximité des tirs nucléaires à Reggane en Algérie. « On nous a roulés dans la farine. Morin nous a pris en considération en faisant cette loi mais désormais, on ne nous indemnise pas. Que l’on nous reconnaisse au moins !», espère-t-il.
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A Toulon, les victimes des essais nucléaires attendent réparation
Dans un mois, ils seront fixés, ils connaîtront la décision du tribunal administratif de Toulon même s’ils ne font guère d’illusions. Vendredi, trois veuves d’irradiés, Simone Prima de la Valette-du-Var, Halima Lorillere de Draguignan, Thérèse Henry de Toulon et Claude Creugny des Adrets de l’Estérel, un ancien militaire de l’armée de terre, avaient rendez-vous au tribunal administratif pour faire reconnaître par l’État leur statut de victimes des essais nucléaires français réalisés en Algérie dans le Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1977.
« Une loi qui ne fonctionne pas »
À l’audience, leur avocate a indiqué aux magistrats que la loi Morin du 5 janvier 2010 visait justement « à reconnaître les souffrances des victimes et à indemniser ces gens qui se battent depuis des années». Les politiques ayant promis à l’époque, à grands renforts médiatiques, une enveloppe annuelle de dix millions d’euros pour indemniser ces victimes. Mais tout cela en vain puisque dans le cas de ces Varois, le ministère de la Défense a rejeté leurs demandes, faute de preuves suffisantes. Pourtant, les époux de ces veuves sont décédés de cancers et Claude Creugny a connu lui aussi de nombreux soucis de santé (lire par ailleurs). Et l’avocate a aussi souligné, à l’audience, l’absence de surveillance médicale ou la carence d’examens survenus trop tard après les faits, « une situation scandaleuse qui renverse la charge de la preuve» alors même qu’un rapport du Sénat paru cette semaine indique que « cette loi Morin n’a pas encore atteint ses objectifs. Elle ne fonctionne pas». Pour l’avocate, « la solution résiderait dans une volonté politique». D’ici là, ces victimes varoises espèrent être entendues. L’avocate précisant que son cabinet parisien chargé de défendre 450 dossiers de ces victimes en demande d’indemnisation s’est déjà vu opposer 250 refus à ce jour.
La loi Morin «ne fonctionne pas», selon un rapport du Sénat
La commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’est penchée sur la loi du 5 janvier 2010, dite Loi Morin, relative à la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Le rapport d’information a été remis par ses auteurs les sénateurs Corinne Bouchoux (groupe écologiste) et Jean-Claude Lenoir (groupe UMP) le 18 septembre dernier et mis en ligne sur le site Internet du Sénat le 20 septembre. La principale conclusion des rapporteurs est que si cette loi a le mérite d’exister, elle reste très insuffisante. «Quatorze ans après le dernier essai nucléaire, la France met en place une procédure de réparation des préjudices subis par ceux qui ont directement ou indirectement participé aux essais. La loi se veut juste en harmonisant, pour les victimes, la procédure de réparation, quel que soit leur statut. Elle se veut rigoureuse dans son application, en la limitant aux seules personnes ayant développé une maladie radio-induite suite à leur participation aux essais ou leur présence à proximité des sites. Elle se veut équilibrée par la participation de tous les acteurs au suivi de la loi, par la création de la commission consultative de suivi à laquelle sont conviés des représentants de l’administration, des associations de victimes, du gouvernement de Polynésie française et des médecins. Pourtant, si tous s’accordent à dire que l’esprit de la loi est bon, la plupart sont partagés quant à sa mise en oeuvre. Chiffres à l’appui, le constat semble clair : la loi ne fonctionne pas» dit le rapport en préambule.
Tout d’abord la Loi Morin est limitée dans le temps et dans l’espace.
Le périmètre de l’application de la Loi Morin en Polynésie française ne comprend qu’un secteur angulaire comprenant les îles et atolls de Moruroa, Fangataufa, Reao, Pukarua, Tureia l’archipel des Gambier, Hao et Tahiti. Enfin les demandes d’indemnisation concernent les périodes suivantes : entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Moruroa et Fangataufa ; entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans les zones de Polynésie française comprenant les îles et atolls de Reao, Pukarua, Tureia et l’archipel des Gambier ; entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans l’atoll d’Hao ; entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans l’île de Tahiti. Toute personne répondant aux critères de lieu, période et maladie peut obtenir réparation intégrale de son préjudice. Ainsi l’indemnisation prendra en compte les préjudices patrimoniaux (dépenses de santé actuelles et futures, perte de gains professionnels présents et futurs, frais d’assistance) et extrapatrimoniaux (déficit fonctionnel temporaire et permanent, souffrances endurées, préjudice esthétique, d’agrément et d’anxiété). Cependant, la loi institue un délai de cinq ans permettant le dépôt, par un ayant-droit, d’une demande d’indemnisation pour une personne décédée avant la promulgation de la loi, à dater de celle-ci.
En pratique la loi Morin s’applique difficilement et indemnise très peu remarquent les rapporteurs.
Au moment de la discussion de ce projet de loi, les projections avançaient qu’environ 20 000 dossiers de demande d’indemnisation pourraient être déposés et qu’il pourrait y avoir entre 2 000 et 5 000 indemnisations accordées. Premier échec de la loi Morin, en trois ans d’existence moins de 1 000 dossiers ont été reçus par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Le bilan des indemnisations accordées est encore pire : au 24 juin 2013 le Civen avait reçu 840 demandes d’indemnisation, 722 dossiers avaient été examinés, deux expertises étaient en cours, 11 indemnisations accordées (dont 4 pour des Polynésiens). Les rapporteurs notent ainsi : « à peine plus d’une dizaine de dossiers ont reçu une réponse positive, soit 1,3% des dossiers déposés». D’un point de vue financier sur l’enveloppe de 10 millions d’euros (1,19 milliard de Fcfp) inscrits dans la loi de finance initiale seuls 290 000 euros ont été consommés (34 millions de Fcfp).
Les auteurs de ce rapport s’interrogent enfin sur la méthodologie appliquée par le Civen, la question de «la présomption de causalité». Selon les termes de la loi Morin, c’est à l’Etat le cas échéant de prouver l’absence de lien de causalité entre la maladie et l’exposition aux rayonnements ionisants. «Il s’agit là d’un point de tension important entre d’un côté les défendeurs des requérants, qui estiment que la méthode employée, consistant à calculer la probabilité que le cancer soit la conséquence de l’exposition au regard notamment des relevés dosimétriques, ne suffit pas à apprécier les conditions d’exposition du demandeur, et d’un autre côté le CIVEN, qui considère que le calcul ainsi établi, et qui prend en compte d’autres éléments comme l’âge, le sexe, la nature de l’exposition, permet d’obtenir une probabilité de causalité avantageuse pour le demandeur. Cette différence d’interprétation est un véritable nid à contentieux !».
Les préconisations des deux sénateurs auteurs du rapport sont de conserver la loi initiale comme socle mais en «adaptant les critères aux informations nouvelles». Selon le rapport il conviendrait de :
- Revoir les zones géographiques au regard des informations révélées par la levée du secret défense sur 58 documents en 2012 qui ont montré que les zones touchées par mes retombées radioactives s’étendaient au-delà du périmètre défini par la loi Morin et ses décrets d’application. «Les documents déclassifiés indiquent que les retombées radioactives, conséquences des essais aériens, ont touché à des degrés divers tout le territoire polynésien (…) Vos rapporteurs préconisent d’inclure l’ensemble de la Polynésie dans le périmètre géographique dans lequel le demandeur doit justifier avoir séjourné».
- Encourager la levée du secret défense pour l’accès à des informations personnelles n’ayant pas trait à la sécurité de la nation. «Les victimes ne s’intéressent pas aux informations techniques, elles s’intéressent cependant aux éléments leur permettant de prouver leur présence sur la zone géographique déterminée».
Enfin les rapporteurs demandent que le Civen retrouve des moyens adaptés à ses missions. En effet, faute de dossiers en nombre suffisant les personnels du Civen avaient été diminués. «Une solution intermédiaire, préconisée par vos rapporteurs, pourrait être d’intégrer au sein du CIVEN des experts médicaux désignés par les associations de victimes».
Le sénateur de Polynésie française Richard Tuheiava qui avait été auditionné par la commission sénatoriale se réjouit, dans un communiqué de presse des conclusions de ce rapport, qui «ouvre donc la voie aux modifications de la loi Morin» et vient apporter un soutien à sa proposition de modification de cette loi déposée depuis décembre 2012 au Sénat.