
[1ère CHAMBRE]
Audience du 30 juin 2008
Lecture du 7 juillet 2008
Vu la requête, enregistrée le 18 mai 2005, présentée pour M. François GAVOURY […] et l’ASSOCIATION « RAS L’ FRONT VITROLLES-MARIGNANE » […], par Me Veroux et Me Candon ;
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Vu le mémoire en intervention volontaire, enregistrée le 26 juillet 2005, présentée pour l’association « les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons », par Me Veroux et Me Candon, qui conclut à l’annulation de l’arrêté en date du 23 juin 2005 du maire de Marignane par les mêmes moyens que la requête ;
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Sur les conclusions aux fins d’annulation :
Considérant que le maire de Marignane a, par arrêté en date du 23 juin 2005, autorisé l’association ADIMAD à occuper le domaine public communal et lui a accordé à cette fin un emplacement situé à l’intérieur du cimetière Saint Laurent Imbert pour une durée de 15 ans, contre le paiement d’une redevance de 169 euros ; que l’association bénéficiaire a érigé sur ce lieu une stèle représentant un homme qui s’écroule, attaché à un poteau, visiblement fusillé, comportant la mention « aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française », les dates de la présence française en Algérie, (1830-1962), quatre dates de la guerre, qui bien que non explicitées font référence aux événements d’El Halia, d’Oran et d’Alger où des Européens ont été tués, ainsi qu’à la journée dite des barricades, et trois autres dates qui, elles non plus non expressément précisées, correspondent aux exécutions de quatre activistes de l’OAS ; que M. François GAVOURY, fils d’un commissaire de police assassiné par l’Organisation Armée secrète (OAS), demande l’annulation de cet arrêté ;
Considérant, en premier lieu, que la stèle évoque, par certaines des dates choisies, des agissements inacceptables, même en temps de guerre, établis et jamais déniés par leurs auteurs ; que ces agissements, bien qu’amnistiés, demeurent et ne sauraient, en tout état de cause faire l’objet d’une quelconque apologie publique plus ou moins explicite, constitutive d’une atteinte aux nécessités de la sauvegarde de l’ordre public ;
Considérant, en deuxième lieu, que si, dans l’exercice de ses pouvoirs de gestion du domaine public il appartient à l’autorité compétente d’accorder à titre temporaire et dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur des autorisations d’occupation privative du dit domaine, celles-ci ne peuvent légalement intervenir que, si compte tenu des nécessités de l’intérêt général, elles se concilient avec des usages conformes à la destination du domaine que le public est normalement en droit d’y exercer, ainsi qu’avec l’obligation qu’a l’administration d’assurer la conservation du domaine public ; qu’il appartient ainsi au maire d’une commune, en vertu de ses pouvoirs de police, d’assurer dans un cimetière le maintien de l’ordre public, et de veiller à la décence et à la neutralité qui sied à ce lieu ; que la stèle érigée par l’association ADIMAD est, par les choix de commémoration effectués, susceptible de manquer de respect aux familles des victimes d’activistes de l’OAS, au nombre desquels se trouve le père du requérant, et de heurter certains usagers du cimetière ; qu’elle a ainsi une connotation qui n’est pas conforme à la neutralité du lieu dans lequel elle a été érigée ; que, comme il l’a été dit, elle est aussi susceptible de porter atteinte aux nécessités de la sauvegarde de l’ordre public ; qu’en conséquence l’occupation du domaine public ainsi autorisée par le maire de Marignane ne saurait être regardée comme compatible avec la destination normale d’un cimetière ;
Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article L.2122-21 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable en l’espèce : « Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, le maire est chargé, d’une manière générale, d’exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier : 1° De conserver et d’administrer les propriétés de la commune et de faire, en conséquence, tous actes conservatoires de ses droits ;(…) » ; que selon les dispositions de l’article L.2122-22 du même code : Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (…) 2° De fixer, dans les limites déterminées par le conseil municipal, les tarifs des droits de voirie, de stationnement, de dépôt temporaire sur les voies et autres lieux publics et, d’une manière générale, des droits prévus au profit de la commune qui n’ont pas un caractère fiscal ;(…) » ; qu’il résulte de ces dispositions que si le maire est seul compétent pour délivrer et retirer les autorisations d’occuper temporairement le domaine communal, il appartient au conseil municipal de délibérer sur les conditions générales d’administration du dit domaine, d’une part, sur les tarifs des droits d’autre part ; qu’il n’est pas établi, ni même allégué, par la commune de Marignane que le conseil municipal aurait délibéré sur la possibilité de délivrer des autorisations d’occupation temporaire autres que des concessions funéraires dans un cimetière ni qu’il aurait déterminé les limites des redevances exigées des titulaires d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public ; que dans ces conditions, M. GAVOURY est fondé à soutenir que la décision contestée est dénuée de base légale ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. GAVOURY est fondé à demander l’annulation de la décision contestée ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; que selon l’article L 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte (…) » ;
Considérant que le présent jugement implique nécessairement que l’autorité compétente prenne toutes les mesures nécessaires à l’enlèvement de la stèle, qui doit être effectif dans un délai de quatre mois à compter de la notification du dit jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ; qu’il n’y a en revanche pas lieu, dans l’attente, de faire apposer un voile sur la dite stèle ;
…
- Article 1er : Les conclusions présentées par l’ASSOCIATION « RAS L’ FRONT VITROLLES-MARIGNANE » sont rejetées.
- Article 2 : L’intervention de l’association « les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons » n’est pas admise.
- Article 3 : L’arrêté en date du 23 juin 2005 par lequel le maire de Marignane autorise l’association ADIMAD à occuper un emplacement du cimetière Saint Laurent Imbert pour y ériger une stèle est annulée.
- Article 4 : Il est enjoint à l’autorité compétente de prendre toutes les mesures nécessaires à l’enlèvement de la stèle érigée par l’association ADIMAD, qui doit être effectif dans un délai de quatre mois à compter de la notification du dit jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai.
- Article 5 : La Commune de Marignane versera à M. GAVOURY une somme de 1000 (mille) euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
- Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
- Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. François GAVOURY, à l’ASSOCIATION « RAS L’ FRONT VITROLLES-MARIGNANE », à l’association des amis de Max Marchand, Mouloud Feraoun, et à la commune de Marignane.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches du Rhône.
Délibéré après l’audience du 30 juin 2008,
La justice supprime une stèle aux morts pour l’Algérie française à Marignane
Le tribunal administratif de Marseille a ordonné à la commune de Marignane (Bouches-du-Rhône) de démonter une stèle à la gloire des morts pour l’Algérie française, érigée en 2005 dans la polémique, a-t-on appris mercredi auprès de l’avocat des plaignants.
Le tribunal a suivi les conclusions du commissaire du gouvernement selon lequel le monument présentait « une dimension polémique susceptible de heurter les usagers » du cimetière de la ville où elle est installée.
Malgré de nombreuses protestations, la stèle avait été érigée en juillet 2005 à l’initiative de l’Amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (Adimad), sur un emplacement du cimetière appartenant à la commune.
Le maire de l’époque, Daniel Simonpieri (DVD, ex-MNR et ex-FN), avait autorisé l’Adimad à occuper la parcelle par un arrêté du 23 juin 2005, annulé par le tribunal administratif.
La stèle devait à l’origine porter les noms de quatre membres de l’OAS (Organisation armée secrète) condamnés à mort par les tribunaux militaires et exécutés, mais ne mentionnait que les dates de leur décès avec la mention « aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française ».
Le tribunal avait été saisi par deux associations: « Ras l’Front Vitrolles-Marignane » et « les amis de Max Marchand, Mouloud Ferraoun et leurs compagnons », victimes de l’OAS, ainsi que par le fils d’une victime de cette organisation, Jean-François Gavoury.
Seules les demandes de ce particulier ont été déclarées recevables, le tribunal jugeant que les associations n’avaient pas intérêt à agir.
Les trois plaignants avaient été déboutés par le juge des référés en août 2005.
Daniel Simonpiéri ne pouvait autoriser la stèle de l’OAS
Pour le tribunal administratif, elle évoque des agissements inacceptables.
La décision a été rendue publique hier. Le tribunal administratif de Marseille a estimé que l’arrêté du 23 juin 2005 par lequel le maire de Marignane « autorisait l’association Adimad à occuper un emplacement du cimetière Saint-Laurent Imbert pour ériger une stèle est annulé ».
Pour le tribunal, il faudra « prendre toutes les mesures nécessaires à l’enlèvement de la stèle », effectif dans un délai de quatre mois, sous astreinte de 100 € par jour de retard passé ce délai.
En outre, « la commune versera à M. Gavoury (fils d’un commissaire assassiné par l’OAS) une somme de 1000 euros » au titre des de la prise en charge des frais de procédure. En revanche, en l’attente de l’exécution du jugement, le tribunal administratif a estimé qu’il n’y a pas lieu « de faire apposer un voile sur la dite stèle ».
« Épuiser tous les recours »
Pour Jean-François Collin, président de l’Association amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (Adimad), »
le juge a suivi le commissaire du gouvernement mais nous irons en appel ».
L’association n’est pas partie au procès, alors comment envisager l’appel ? « Nous nous sommes joints en défense, justement, car nous pensions que le maire pouvait changer entre temps. Nous épuiserons toutes les voies de recours, y compris devant la Cour européenne de justice. »
« On en a vu d’autres dans la vie… D’autres solutions avaient été envisagées, comme une nouvelle délibération permettant d’accéder à cette parcelle. J’ai sollicité un rendez-vous auprès de M. le maire pour en discuter ».
Hier après-midi, Éric Le Dissès indiquait ne pas être en mesure de confirmer cette information. Quant au jugement, il attend « de savoir s’il y a appel puisqu’a priori, l’appel serait suspensif ».
Mais la Ville fera-t-elle appel du jugement qui la condamne notamment à verser 1000 € à M. Gavoury ? « Non, la Ville ne fera pas appel même si je suis ennuyé qu’on ait cette somme à verser. Cette décision ne me surprend pas puisque c’est ce qu’avait demandé le commissaire du gouvernement ».
Reste le grand absent du jour, l’ancien maire Daniel Simonpiéri qui, malgré nos tentatives répétées n’a pas répondu à nos sollicitations.
La justice ordonne la démolition de la stèle de la honte à Marignane
Mémoire
Le tribunal de Marseille a rendu son jugement sur le monument à la gloire de l’OAS érigé dans le cimetière Saint-Laurent-Imbert. Il devra être enlevé dans un délai de quatre mois.
Le jugement rendu lundi par le tribunal administratif de Marseille est une incontestable victoire pour les opposants à la réhabilitation de l’OAS. Saisie par des associations et par Jean-François Gavoury, fils de victime de l’organisation criminelle, la justice a annulé l’arrêté par lequel le maire (ex-FN) de Marignane, Daniel Simonpieri, avait autorisé l’ADIMAD, vitrine légale des anciens de l’OAS, à occuper un emplacement du cimetière Saint-Laurent-Imbert pour y ériger une stèle à la gloire de criminels tels que Degueldre, Dovecar, Piegts et Bastien Thiry. Conséquence, le sinistre monument devra être « enlevé » dans un délai de quatre mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai. Une décision que le tribunal administratif justifie par le fait que « la stèle évoque […] des agissements inacceptables, même en temps de guerre, établis et jamais déniés par leurs auteurs ; que ces agissements, bien qu’amnistiés, demeurent et ne sauraient, en tout état de cause, faire l’objet d’une quelconque apologie publique plus ou moins explicite, constitutive d’une atteinte aux nécessités de la sauvegarde de l’ordre public ». Le jugement met également en cause les conditions dans lesquelles a été mise à disposition de l’ADIMAD la parcelle sur laquelle est érigée la stèle (pas de délibération du conseil municipal). Il souligne, enfin, que ce monument est « susceptible de manquer de respect aux familles des victimes d’activistes de l’OAS, […] et de heurter certains usagers du cimetière ».
Ce jugement marque une véritable rupture. En juillet 2005, interpellé par des associations, des démocrates et des familles de victimes de l’OAS à la veille de l’inauguration de la stèle par les nostalgiques de l’Algérie française, le préfet des Bouches-du-Rhône avait assuré ne pas disposer « des moyens juridiques pour s’opposer à la cession, par le maire, d’une parcelle dans un cimetière, ou à l’édification d’une stèle à cet emplacement ». L’année suivante, à l’issue du procès intenté par Jean-François Gavoury à l’ADIMAD pour « apologie de crime », le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence avait accepté l’exception d’irrecevabilité mise en avant par les avocats de l’association à l’origine de la stèle. Un épilogue sans doute favorisé par la présence bruyante et agressive, lors de la première audience, de deux cents activistes de l’ADIMAD.
Le jugement du tribunal administratif de Marseille constitue, au contraire, un point d’appui pour ceux qui exigent que cessent, au coeur de la République, les hommages rendus aux assassins de l’OAS. À commencer par l’« allocation de reconnaissance » consentie par la loi du 23 février 2005 aux anciens activistes de l’organisation criminelle en cavale.
La stèle en hommage à l’OAS doit être détruite
Le monument de Marignane avait suscité une vive polémique
L’OAS est une organisation illégale pro-pieds noirs qui a multiplié les attentats et les exécutions sommaires pendant et après la guerre d’Algérie.
Il aura fallu trois ans pour que la justice tranche enfin. Trois ans de polémiques pour que le tribunal administratif de Marseille décide finalement que la stèle à la gloire des morts pour l’Algérie française, érigée en 2005 sur la commune de Marignane, soit démantelée.
Ce monument, financé par l’Adimad (Association de défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politique de l’Algérie française), rendait en particulier hommage à des membres de l’Organisation de l’armée secrète (OAS).
Les noms des membres de l’OAS avaient finalement été supprimés, et la stèle ne comporte que les dates de leur décès, avec la mention : “Aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française”.
Une décision de Simonpieri
C’est le maire de Marignane, élu sous l’étiquette FN puis passé au MNR de Bruno Mégret avant de s’inscrire comme divers droite, qui avait accordé une parcelle du cimetière de sa ville à l’Adimad. Par cette décision, Daniel Simonpiéri avait créé une violente polémique, et plusieurs associations s’étaient portées en justice pour empêcher cette inauguration. Elles avaient été déboutées.
C’est finalement sur la demande d’un particulier, Jean-François Gavoury, fils d’une victime de l’OAS, que la justice s’est appuyée pour justifier sa décision de supprimer la stèle. Le tribunal administratif a en outre suivi les conclusions du commissaire du gouvernement, qui avait estimé que la stèle présentait “une dimension polémique susceptible de heurter les usagers”.
Alexandre Nasri est l’auteur de l’article 454, paru dans le Figaro du 6 novembre 2004.