PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961
Exposé des motifs
Il y a 50 ans, le 17 octobre 1961. Des dizaines de milliers de travailleurs algériens et leurs familles manifestaient pacifiquement à Paris, contre le couvre-feu que la Préfecture de Paris venait de leur imposer.
M. Maurice PAPON, alors Préfet de police, avait en effet prononcé cette mesure, de 20 h 30 à 5 h 30 du matin.
L’action des forces de l’ordre fut d’une extrême violence.
Durant cette nuit là et le lendemain, de nombreux corps flottaient à la surface de la Seine.
De nombreuses familles algériennes n’eurent plus jamais de nouvelles d’un père, d’un mari ou d’un fils.
Combien de morts le 17 octobre 1961 ? Les chiffres demeurent imprécis mais les recherches actuelles s’accordent sur le nombre déjà terrible de 200 morts.
Durant de nombreuses années, cet évènement sera occulté, considéré de fait par différents gouvernements comme une page honteuse de notre histoire contemporaine.
Depuis peu le voile se lève et les études se multiplient. Il est temps d’établir la vérité et de rendre hommage aux victimes.
Il est temps que la France reconnaisse les tragiques évènements du 17 octobre 1961. Ce sera un élément de plus à mettre à l’actif du rapprochement entre le peuple algérien et le peuple français. Ce serait un acte de concorde entre les deux peuples.
Les auteurs de cette proposition de résolution estimeraient juste et utile que la France reconnaisse cinquante ans après, la réalité du 17 octobre 1961.
ARTICLE UNIQUE
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1 à 6 de loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Considérant les travaux historiques et scientifiques qui établissent la réalité des violences et meurtres commis à l’encontre de ressortissants algériens à Paris et dans ses environs lors de la manifestation du 17 octobre 1961,
- Souhaite que la France reconnaisse ces faits,
- Souhaite la réalisation d’un lieu du souvenir à la mémoire des victimes du 17 octobre 1961.
Le compte-rendu analytique officiel du débat au Sénat est accessible sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/cra/s20121023/s20121023_mono.html#par_27. Ci-dessous l’intervention d’Esther Benbassa, sénatrice EE-LV qui reprend largement à son compte La triple occultation d’un massacre.
Mes ChèrEs collègues,
La déclaration de François Hollande, le 17 octobre 2012, reconnaissant la répression sanglante de manifestants algériens cinquante-et-un ans plus tôt, a été accueillie, à gauche, avec soulagement. Même si elle n’explicite pas clairement la responsabilité, dans ces faits, de l’Etat français comme tel, ainsi que l’avait fait, en 1995, le dis-cours historique de Jacques Chirac pour la déportation des Juifs de France.
Etroitement organisée par la Fédération de France du FLN, encadrée par de strictes consignes de discipline pour éviter tout débordement, la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 réunissait, au côté des hommes, de très nombreuses femmes. Elle visait à faire prendre conscience à la population de la férocité de la répression policière s’abattant sur les travailleurs algériens. Enlèvements et assassinats se succédaient sans relâche, à quoi, depuis le 6 octobre, un décret du préfet de police avait ajouté l’interdiction, aux seuls Algériens, de sortir après 20 h dans la région parisienne.
Ce préfet n’était autre que Maurice Papon, celui-là même qui, on le saurait plus tard, avait déporté 1 600 Juifs entre juillet 1942 et juin 1944 de Bordeaux à Drancy (tous partiront à Auschwitz). Devenu préfet de police de la Seine, c’est lui qui avait organisé cette véritable guerre contre les immigrés algériens, avec l’appui du Premier ministre d’alors, Michel Debré, et avec celui de son ministre de l’Intérieur, Roger Frey, nommé en mai 1961, deux semaines avant l’ouverture des négociations avec le FLN à Evian.
Un des premiers documents relatant la sanglante ré-pression du 17 octobre 1961 est le reportage préparé pour le journal Libération (première version) par Paulette Péju. Publié intégralement, sous sa signature et sous celle de son mari, Marcel Péju, dès novembre 1961 aux éditions Maspero, accompagné de clichés et intitulé Ratonnades à Paris, ce document fut aussitôt saisi par la police.
Marcel Péju raconte : « Le soir du 17 octobre 1961, en compagnie de Claude Lanzmann, nous sortions de chez Jacques Vergès, à cette époque l’un des avocats du FLN […]. En arrivant près de la place de l’Etoile, tandis
que des CRS refoulaient brutalement un groupe d’Algériens, nous nous sommes trouvés face à un policier qui, tout seul au milieu du trottoir, brandissait un revolver au-dessus de sa tête, éructant des injures et criant qu’il fallait fusiller Ben Bella […]. Impossible de gagner les Grands Boulevards, où se déroulait l’une des plus importantes manifestations, férocement réprimée. Le lendemain matin, au journal Libération […], où travail-lait ma femme, […] je fis connaissance du photographe Elie Kagan, tout ému encore, et qui lui montrait les atroces photos qu’il avait prises ».
Le crime était patent. Et pourtant, comme l’écrivent les époux Péju, « dès le crime, commenç[a] sa dissimulation ». L’historien Gilles Manceron donne trois raisons à cette conspiration du silence :
- La négation et la dénaturation immédiates des faits par l’Etat français, et son désir de les cacher.
- La volonté de la gauche institutionnelle que la mémoire de la manifestation de Charonne contre l’OAS en février 1962 recouvre celle du drame de 1961.
- Le souhait des premiers gouvernants de l’Algérie indépendante de voir passer sous silence une mobilisation organisée par des responsables du FLN de-venus pour la plupart des opposants au nouveau régime.
Ce drame, comme beaucoup d’autres, montre dans quels abîmes de cruauté, de lâcheté ou d’aveuglement volontaire le racisme, la répression et la guerre font sombrer les nations. Rares sont les héros, et souvent tardivement reconnus. Et trop facilement oubliées les victimes obscures.
Les premiers cris d’indignation, après le 17 octobre, ne vinrent d’ailleurs pas des partis. Mais des intellectuels, des étudiants, des syndicats et des associations de gauche.
Le 18, Les Temps modernes, la revue dirigée par Jean-Paul Sartre, lance un appel signé par 229 intellectuels réunis en moins d’une semaine. Robert Antelme, Sartre, Pierre Vidal-Naquet, Elsa Triolet sont du nombre. Les 23 et 30 octobre, des professeurs lisent en chaire une déclaration sur le racisme avant de commencer leur cours. Le 30, un communiqué des unions départementales CGT, CFTC, FO de la Seine et du bureau de l’UNEF proteste contre les discriminations visant les travailleurs algériens.
Malgré son anticolonialisme, le PCF de l’époque ne soutenait pas le mot d’ordre d’indépendance de l’Algérie, d’où la relative timidité de ses protestations contre le couvre-feu, comme de celles, d’ailleurs, des autres grands partis de la gauche. Au lendemain du 17 octobre, bien que l’une des principales tueries se soit passée sous ses fenêtres, L’Humanité titrait en une sur l’ouverture du Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique et omettait de publier le reportage pourtant accablant de son photographe Georges Azenstarck, fait en grande partie du balcon du siège du journal.
Aujourd’hui, justice est presque faite. La déclaration du Président de la République aidera à ce que le travail de mémoire dû aux descendants des victimes soit dûment accompli. Et la PPR présentée aujourd’hui par le groupe CRC répond légitimement à ce que je crois être la préoccupation de tous les républicains.
Reste maintenant à exhumer enfin, dans sa complexe épaisseur, la vérité historique. Nous ne savons pas encore le nombre exact des morts et des blessés. Pour cela, le groupe écologiste demande plus que l’érection d’un lieu de mémoire. Il demande l’ouverture sans restriction des archives publiques encore dispo-nibles ou qui n’ont pas été détruites ou expurgées, ainsi que la fin de l’octroi de dérogations au compte-gouttes. Seul le travail des historiens nous permettra d’échapper aux à-peu-près, et aux contestations in-dignes. Pas de travail de mémoire sans écriture de l’histoire. Cette tâche-là est celle, non des parlementaires, mais des chercheurs. Notre devoir à nous, ici, est d’exiger que le 17 octobre 1961 trouve sa juste place dans l’histoire de notre pays. Une histoire qui, comme toute histoire, compte des pages sombres à côté de ses pages glorieuses.
Le groupe écologiste, auteur lui-même d’une PPR similaire, votera le texte de nos collègues du CRC.
Gilles Manceron : faciliter la recherche par un meilleur accès aux archives
L’historien spécialiste du colonialisme français Gilles Manceron a plaidé pour la facilitation de la recherche historique par un meilleur accès aux archives inhérentes au massacre d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris.
« Ce n’est pas le vote d’une loi au Parlement [français] qui est nécessaire sur ce sujet, mais la facilitation de la recherche historique par un meilleur accès aux archives », a-t-il indiqué, dans une tribune parue jeudi dans l’hebdomadaire Politis.
Selon l’auteur de « La triple occultation d’un massacre », seconde partie du livre de Marcel et Paulette Péju, « Le 17 octobre des Algériens, pour que ces faits puissent être mieux connus, un « plus large » accès aux archives doit être rendu possible, en particulier celles du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et du secrétariat général de la République.
« Le Fonds Michèle Debré (Premier ministre en 1961), déposé par la famille à la Fondation nationale des sciences politiques et dont la consultation est soumise à l’autorisation des déposants, doit être librement ouvert aux chercheurs. Il concerne l’histoire de la République », a-t-il soutenu, demandant que le contenu du conseil interministériel du 5 octobre soit porté à la connaissance du public.
C’est lors de ce conseil qu’a été décidé le couvre-feu raciste imposé aux seuls Algériens et bravé le 17 octobre 1961 par des milliers de manifestants sortis réclamer leur indépendance, avant d’être réprimés dans le sang. […]
Pour l’historien Gilles Manceron, la déclaration présidentielle est « une victoire importante » de toutes les associations qui se sont mobilisées depuis une trentaine d’années pour réclamer cette reconnaissance. Elle doit aussi être le signal de la poursuite du travail des historiens pour que « soient précisées les circonstances de ce drame », a-t-il conclu.