Le 8 avril 2025, la Cour de cassation a confirmé le maintien en détention en métropole de Christian Tein, leader du FLNKS. Il est en effet l’un des sept militants kanak qui sont incarcérés sans jugement à 17 000 km de leur domicile depuis juin 2024. Nous avions alors dénoncé cette forme de répression dans la tradition de la déportation coloniale, longtemps pratiquée par la France pour briser la résistance des colonisés aux XIXe et XXe siècles. Billets d’Afrique, le journal de l’association Survie, publie dans son dernier numéro un dossier « Soutien aux déportés kanak ». En voici l’introduction, suivie du lien pour le lire en pdf.

Des mois de mobilisation pacifique des forces indépendantistes n’y avaient rien fait : dans la nuit du 14 au mercredi 15 mai 2024, l’Assemblée nationale votait le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections locales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Un véritable passage en force – un de plus ! – de la part d’Emmanuel Macron et de son gouvernement, qui ne pouvait que mettre le feu aux poudres. Il faut dire que ce « dégel » annoncé du corps électoral, en entérinant 170 ans de colonisation de peuplement, promettait de retirer au peuple premier de l’archipel toute réelle maîtrise de son avenir. Dès le 13 mai, alors que les discussions étaient encore en cours à l’Assemblée, les quartiers populaires de Nouméa et de ses environs – à majorité kanak, bien sûr – se soulevaient, bientôt suivis par une partie de la « brousse ». Un mouvement insurrectionnel qui se prolongera durant plusieurs semaines.
La riposte de l’État aura été, on s’en souvient, féroce, avec notamment l’instauration de l’état d’urgence et l’envoi massif de troupes sur place. Ce 8 janvier, le procureur de la République de Nouméa, le peu amène Yves Dupas, dressait sur la radio anti-indépendantiste RRB un ultime bilan de cette répression : 2530 gardes à vue, 502 déferrements, 243 incarcérations et 650 convocations en justice… Il omet d’y ajouter onze Kanak tués, dont sept par des policiers ou gendarmes.
Des chiffres d’autant plus terribles que la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ne compte que quelque 270 000 habitants. Et seulement 112 000 Kanak, en réalité les seuls visés ou presque par cette vaste opération de punition collective. Car, sans surprise, l’institution policiaro-judiciaire s’est bien gardée de s’attaquer aux comités de « voisins vigilants » ou aux milices de colons qui paradaient, fusil à la main, dans les rues du grand Nouméa au plus fort de la crise. Autant de blancs surarmés, déterminés à en découdre avec les autochtones.
Dans un communiqué publié le 20 août, quatre experts des Nations unies jugeaient sévèrement l’action française des derniers mois sur le territoire : « Le manque de retenue dans l’usage de la force contre les manifestants kanak, et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d’un conflit dont l’objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l’autodétermination, est non seulement anti-démocratique, mais profondément inquiétant pour l’État de droit. »
Moment saillant de ce « traitement exclusivement répressif et judiciaire » : le 22 juin, sept militants indépendantistes kanak, en plus d’être mis en examen pour des motifs délirants sans aucun lien avec la réalité de leur activité politique, étaient expédiés manu militari en « métropole ». Un transfert expéditif, pensé par le gouvernement français pour châtier les soi-disant responsables de la révolte. À la même période, de manière bien plus discrète (pour ne pas dire franchement dissimulée), plus de 70 détenus de droit commun purgeant leur peine au Centre pénitentiaire de Nouméa faisaient le même chemin, rejoignant des prisons hexagonales.
Officiellement abolie en 1960, la peine de déportation continue ainsi d’être appliquée sans vergogne aux populations colonisées. Le prolongement d’une longue tradition, comme le rappelait le site Histoire coloniale et postcoloniale en juin 2024 : « La France renoue à présent avec un très ancien mode opératoire particulièrement brutal de la répression des révoltes et résistances dans ses colonies, la déportation politique carcérale de leurs leaders ». Et d’ajouter que « des milliers de colonisés connurent ce sort aux XIXe et XXe siècles pour s’être élevés contre l’occupation et l’oppression coloniales ».
Presque dix mois après leur transfert, ces déporté·e·s sont toujours retenu·e·s contre leur gré dans l’Hexagone, aux antipodes de leurs terres, de leurs proches, de leurs vies. Et ce dans une trop grande indifférence qu’il convient désormais de briser. Il est temps que s’enclenche une grande campagne de solidarité avec ces victimes de l’ordre colonial, dont le premier crime est, n’en doutons pas, d’être Kanak.
« Soutien aux déportés kanak » en pdf