Le Repli est un film foisonnant et engagé qui éclaire et met en alerte. La toile se tisse avec comme fil de trame la construction et la diffusion du discours islamophobe et comme fil de chaine la montée des violences policières et la lente remise en cause de l’état de droit.
Josep Paris, le réalisateur, a commencé à travailler sur ce documentaire il y a sept ans et l’a construit à partir d’images d’archives et de ses propres tournages. Interviennent des personnalités politiques et des journalistes des grandes chaînes de télévision mais aussi des chercheurs, des militants qui prennent la parole dans des manifestations et des témoins anonymes.
Le film commence par les attentats du 15 novembre 2015 et une interview de Yasser Louati, analyste politique, par CNN. C’est un moment violent car c’est une fiction qui est assénée à Yasser, celle de « la communauté musulmane française » attaquée pour ne pas avoir dénoncé le projet terroriste. Etrange accusation, comme si les musulmans se devaient d’avoir leur propre Service de Renseignement ! Pour nous montrer comment s’est construit et s’est diffusé ce discours sur « l’ennemi de l’intérieur », le réalisateur repart au début des années 1980 lorsque s’introduit l’islamophobie.
La responsabilité de la gauche au pouvoir
Lors d’un débat à l’occasion d’une projection du film en avant-première, Joseph Paris a expliqué comment son projet initial avait été modifié par son travail de recherche dans les archives. Il pensait montrer comment l’extrême-droite avait manipulé l’opinion publique et était responsable de la diffusion dans toute la société française de l’islamophobie. En remontant dans le temps, il a trouvé non pas Le Pen mais… la gauche au pouvoir. Dans les usines automobiles PSA de la région parisienne, en 1981-1983, les ouvriers immigrés se mettent en grève pour de meilleures conditions de travail. C’est dans ce contexte qu’est lancée la bombe à retardement de la religion. Des socialistes au pouvoir instrumentalisent l’islam pour discréditer ce mouvement social. On voit Pierre Mauroy, alors premier ministre, affirmer que les ouvriers sont la proie d’agitateurs religieux. Archive contre archive, un ouvrier immigré explique, comme une évidence, que c’est la CGT qui lui a conseillé de faire grève mais pas la religion musulmane qui, elle, conseille de travailler.
Ensuite, c’est la laïcité qui est instrumentalisée. Ce n’est plus à l’Etat de montrer qu’il est laïc, c’est à l’individu. La droite, avec le rapport Baroin, en 2003, modernise son discours raciste et reprend l’idée que l’islam ne serait pas compatible avec la laïcité. Quant au Front National, son chef n’en a cure initialement. Interrogé sur le port de voile dans les collèges après la polémique déclenchée à Creil en 1989, la question ne le préoccupe pas. C’est l’immigration et non la religion qu’il faut combattre. Plus tard, Marine le Pen va, en suivant la voie ouverte par les socialistes et consolidée par la droite, donner à l’islamophobie la priorité sur l’immigration.
Ce discours qui apparaît par pur opportunisme politique se diffuse d’autant mieux que les descendants des travailleurs étrangers originaires des colonies et, tout particulièrement d’Algérie, sont devenus Français. Les qualifier de musulmans est un moyen de créer de l’étrangeté, d’exploiter une peur, comme l’explique Thomas Deltombe dans ce film. C’est un moyen de les discriminer, de les « replier » sur leur communauté, ce qui est une fiction, au nom d’une laïcité qu’ils ne respecteraient pas.
La sortie de l’état de droit
S’agissant des violences policières et du recul des libertés, de nouveau, le réalisateur ne fait pas de cadeau à la gauche socialiste lorsqu’elle était au gouvernement. Les lois de 2016-2017, votées sous Hollande, élargissent la légitime défense pour les policiers autorisés à utiliser leur arme en cas de refus d’obtempérer, notamment lorsqu’un conducteur n’immobilise pas sa voiture immédiatement. Jusque-là, explique Vanessa Codaccioni, les policiers n’avaient pas de droit de légitime défense particulier. Ce principe d’égalité des policiers et des citoyens ordinaires n’avait connu que deux exceptions : Vichy et la guerre d’Algérie. Le principe a cédé sous les pressions exercées sur le ministre de l’Intérieur par les syndicats de policiers, dominés par les idées d’extrême droite. Les nouvelles lois ont eu des effets dévastateurs.
Des activistes, parents des victimes, qui militent pour son abrogation rappellent que les balles meurtrières ont, jusqu’ici, surtout atteint les jeunes, hommes, non-Blancs, habitants des « quartiers », mais elles peuvent s’appliquer à tout passager d’une voiture. De même, la violence policière qui s’exerce sur les sans-papiers peut s’appliquer à tous les hommes et femmes, quelle que soit leur couleur, surtout s’ils manifestent. La technique de la nasse s’est d’abord appliquée aux migrants avant de s’étendre à d’autres manifestants.
Du discours raciste à la politique sécuritaire
Le Repli, en se situant dans le temps long, permet de voir les effets à long terme du discours raciste et du traitement sécuritaire, qui sont pensés par les dirigeants dans le court terme. Brandir l’influence de l’islam pour affaiblir un mouvement social, c’est inaugurer un discours raciste qui deviendra dominant. Avec l’argument de la défense de la laïcité, y participeront des personnes qui se croient antiracistes.
Un mot sur la technique car elle recourt à un procédé étonnant. A de nombreuses reprises, une image de la vidéo d’archive apparait, imprimée sur une feuille de papier. Celle-ci est minutieusement découpée, pliée, parfois déchirée et transformée en confetti. Bref, l’image est manipulée et violentée, une façon de traduire symboliquement la violence bien réelle subie par le réfugié dont la tente est déchirée. Les plis de l’image résonnent avec le titre du film, Le Repli.
Ce titre interroge. Pourquoi le repli (identitaire) ? Le documentaire est traversé d’images de manifestations pour dénoncer la mort injuste d’un jeune sous les balles de la police et la relative impunité des policiers. Ces manifestations rassemblent largement et le message final n’est-il pas : la lente sortie de l’état de droit nous concerne tous et toutes ?
Dorothée Rivaud-Danset