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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

Le rassemblement du 11 juin 2024 devant le cénotaphe de Maurice Audin au cimetière du Père-Lachaise

Un rassemblement a eu lieu le 11 juin 2024 devant le cénotaphe de Maurice Audin au cimetière parisien du Père-Lachaise à l'initiative de l'AJMA.

A l’initiative de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA), un rassemblement a eu lieu le 11 juin 2024 devant le cénotaphe de Maurice Audin au cimetière parisien du Père-Lachaise. Depuis l’érection de ce monument le 11 juin 2019, peu après la dispersion des cendres de Josette Audin, par sa fille Michèle Audin, au Jardin du Souvenir du cimetière du Père-Lachaise, l’AJMA prend chaque année l’initiative d’un tel rassemblement. Leur a été associé la mémoire de Pierre Audin, le plus jeune enfant de Josette et Maurice, né en 1957 peu avant l’assassinat de son père et qui est décédé en mai 2023, qui a été actif durant toute sa vie dans le combat pour la vérité sur ce crime et aussi dans la diffusion des mathématiques, au Palais de la Découverte et dans l’association « Maths en jean ». Ce monument est le seul en France en l’honneur d’un combattant de l’indépendance algérienne.

Voici les images de ce rassemblement, filmées et montées par le documentariste François Demerliac, pour la chaîne YouTube « Place Audin », ainsi que le texte de l’intervention du président de l’AJMA, le mathématicien Cédric Villani.



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156 pages, format 13×19, Éditions de l’Humanité 11,50 €


L’allocution de Cédric Villani, mathématicien et président de l’Association Josette et Maurice Audin

Cédric Villani est mathématicien, lauréat de la médaille Fields en 2010, directeur de l’institut Henri-Poincaré de 2009 à 2017 et professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et à l’Institut des Hautes études scientifiques (IHES, Bures-sur-Yvette). Membre de l’Académie des sciences, il a été député et président de l’Office parlementaire scientifique (OPECST).

Chers amis,

C’était il y a 67 ans très exactement, un 11 juin, vers 23h, à Alger : une dizaine de militaires français tambourinent à la porte d’un jeune couple de mathématiciens français, Josette et Maurice.

Peut-être ces parachutistes portant martialement leur uniforme et leur béret rouge ont-ils gardé au fond d’eux une part d’humanité, de fraternité, de sens critique, mais à ce moment, ce bataillon n’est qu’un instrument sans état d’âme au service d’un pouvoir aux abois, un instrument guidé par la pulsion de domination et de destruction, imprégné des préjugés et de la peur qui saturent l’atmosphère pesante.

Les hommes entrent avec fracas et emportent le jeune homme de 25 ans, Maurice. Sa faute est d’avoir été généreux et sincère, d’avoir voulu la liberté pour ses frères et sœurs en humanité, le peuple algérien qu’il aime profondément. Sa faute est d’avoir rêvé d’un avenir où les Algériens d’origine ne seraient pas des citoyens de seconde classe dans leur propre terre, et de l’avoir dit haut et fort avec ses camarades du Parti communiste algérien. Son crime est d’avoir été courageux, solidaire et fraternel, hébergeant et faisant soigner l’un de ses camarades blessé.

Maurice n’est pas surpris de cette irruption, il savait que son sort était compromis et sa vie en danger, il avait déjà dit à sa compagne Josette qu’il pourrait très bien recevoir à tout moment un coup de couteau ou une balle de pistolet. Mais la mort n’a pas ébloui ses yeux, et il a continué de faire ce qui était juste et bon, et pas davantage il ne cille devant le bataillon qui fait irruption dans son domicile. Il ne pleure ni ne crie, à sa compagne il dit simplement « Occupe-toi des enfants. » Ses enfants, jamais plus il ne les reverra, et jamais plus il ne reverra la lumière, le vent : les quelques heures qu’il lui reste à vivre seront pleines seulement de l’angoisse, des coups et de la torture, avec cependant la lumière intérieure de ceux qui savent qu’ils sont du côté de la justice et du bien.

En souvenir de cet homme, en souvenir de sa compagne qui va lui survivre pendant plus de six décennies, fière et droite pour porter ses engagements, chaque 11 juin se retrouvent ici tous ses partisans et admirateurs, ses frères et sœurs, à l’appel de l’Association Josette et Maurice Audin.

Chaque 11 juin, nous nous souvenons de cette violence arbitraire qui s’est abattue sur lui, et nous avons aussi une pensée pour les innombrables personnes, célèbres ou anonymes, sur qui s’est abattue pendant la guerre d’Algérie cette même violence, contraire aux règles de l’humanité, contraire aux principes fondamentaux de l’État français. Et nous nous souvenons aussi des personnes, encore plus nombreuses, qui ont subi et qui subissent aujourd’hui cette violence à travers le monde.

Chaque 11 juin nous rendons hommage à celui qui, à l’approche de la mort, était mû uniquement par l’amour de sa famille, de ses enfants, de l’humanité entière, et l’amour de la liberté et de l’équité, une figure rayonnante et inspirante. Et nous avons une pensée pour toutes les personnes, hier comme aujourd’hui, à travers le monde, qui ont su se lever, anonymes pour la plupart, contre la tyrannie et sacrifier leur propre destin à un noble dessein collectif.

Et nous nous efforçons par nos actions de leur être fidèles, de construire et créer ensemble quelque chose qui enrichit le monde et le rend plus beau, que ce soit l’éducation de nos enfants, la poésie des mots ou la poésie des édifices mathématiques. En disant cela je pense au prix de mathématique Maurice Audin, dont la convention a récemment été signée à l’Académie des sciences par bien des sociétés et associations savantes, en présence de Monsieur l’ambassadeur d’Algérie, et après de longues années d’efforts dévoués de part et d’autre de la Méditerranée. Je pense à l’immense communauté internationale de recherche en mathématique, dont Michèle Audin, la fille de Maurice, est une éminente représentante. Je pense à « Math en Jeans », le grand projet du regretté Pierre Audin, le fils de Maurice, pour faire briller dans les yeux des enfants la beauté de la recherche et de la découverte. Voilà bien de ces réalisations communes qui enrichissent le monde dans la fraternité des peuples et le respect mutuel, cette fraternité au nom de laquelle Maurice Audin s’est sacrifié.

Je vous remercie.


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