4 000 articles et documents

Édition du 1er au 15 février 2025
© Plantu (Le Monde du 31 octobre 2007)

L’expression du racisme n’est pas une opinion, c’est un délit, mon cher Watson

Après l'introduction du recours aux tests ADN dans la législation française pour tenter de limiter les “regroupements familiaux”, l'ADN fait une nouvelle victime en la personne de James Watson, prix Nobel de médecine en 1962 avec Francis Crick et Maurice Wilkins pour leurs travaux sur la structure moléculaire de l'ADN. Ses propos racistes sur l'intelligence des Africains ont soulevé une vague d'indignation. En France, de telles déclarations seraient passibles de poursuites judiciaires. Le journal Le Monde a publié le 31 octobre un article de Stéphane Foucart1 qui démonte la thèse de Watson sur le plan scientifique. Mais, comme le montre François Schreuer, on ne peut se limiter à une réfutation scientifique de ces préjugés racistes.
© Plantu (Le Monde du 31 octobre 2007)
© Plantu (Le Monde du 31 octobre 2007)

Quelle objection au racisme « scientifique » ?

Les propos racistes du prix Nobel et co-découvreur de la structure de l’ADN, James Watson, ont relancé les interrogations et les inquiétudes sur la renaissance d’un racisme qualifié de « scientifique ». Ce type de théories avait largement prospéré avant la seconde guerre mondiale — non seulement dans l’Allemagne nazie, mais bien au-delà, justifiant notamment des pratiques eugénistes. La défaite du nazisme leur a porté un coup sérieux, mais pas fatal tant il est vrai que, dans l’histoire des idées, bien rares sont celles qui périclitent définitivement. Cette réapparition du racisme dans le champ scientifique est d’autant plus inquiétante que, dans le même temps, comme on le sait, le fascisme menace à nouveau l’Europe, y compris en Allemagne.

Le journal Le Monde publie dans son édition d’hier un article signé de Stéphane Foucart qui démonte la thèse de Watson sur le plan scientifique. L’article me semble plutôt brillant et je ne doute pas qu’il est utile. J’éprouve cependant un certain malaise face à un argumentaire qui, face à une question comme celle-là, se limite au seul aspect scientifique. Car ce que dit en substance Le Monde, c’est que les théories scientifiques racistes sont fausses. Je le crois volontiers, mais je ne pense pas que l’objection se situe sur le terrain adéquat ; ou à tout le moins que l’objection suffise.

Car l’antiracisme est à mon avis une position qui repose sur des fondements plus principiels qu’empiriques. C’est d’abord pour des motifs politiques et anthropologiques qu’il convient de rejeter l’idée de « races », et non en raison de sa fausseté.

Que dit, en effet, l’argumentaire scientifique anti-raciste ? Qu’il n’y a pas de races parce que la diversité génétique n’est pas discrète mais continue. Selon Lluis Quintana-Murci, généticien des populations à l’Institut Pasteur, cité par Le Monde, « Il est impossible d’isoler une race : les variations des populations humaines sont graduelles et continues, de l’Europe du Nord à la Chine méridionale. Il n’existe jamais de fossé génétique entre deux ethnies. » Soit. Mais on admettra qu’il s’agit d’un argument faible si c’est à celui-là qu’on doit se remettre pour faire front à la résurgence du racisme.

C’est que la recherche scientifique ne sait pas grand chose encore aux relations entre la génétique et les processus cognitifs. Comme le dit Axel Kahn en conclusion de l’article du Monde, « Les capacités cognitives reposent […] sur un équilibre extraordinairement subtil entre l’inné et l’acquis. Équilibre dont nous ne savons aujourd’hui presque rien. »

Non seulement, peut-on en conclure, les théories racistes ne tiennent pas la route mais en plus, à placer le débat sur le seul terrain de la génétique, on ne sait pas trop ce qu’il en sortira un jour ou l’autre. Car la diversité de l’espèce humaine est difficilement contestable et sa catégorisation est une tentation permanente qui trouvera toujours — et de plus en plus — à s’alimenter dans telle ou telle théorie scientifique.

Il importe donc de déplacer le débat. Quels que soient les résultats de la science sur la question des « races », cette idée peut être rejetée sur une base politique. La raison en est simple : l’humanité n’est pas le fait de notre structure génétique ; elle est le fait de notre vie en société. L’humanisation est un processus social, non un processus biologique. Et la richesse de la vie sociale est directement fonction de la diversité humaine, du caractère irréductible de la multitude humaine. Autrement dit, l’humanité est le produit de ce que le racisme cherche à éliminer.

Comprendre cela, c’est comprendre l’inanité du racisme, « scientifique » ou non.

Un Nobel dans la spirale du racisme

par Corinne Bensimon, Libération le 18 octobre 2007

James Watson, pionnier de l’ADN, fait scandale en affirmant l’infériorité des Noirs.

James Watson, codécouvreur de l’ADN, Nobel de médecine en 1962, a probablement un gène prédisposant à la provocation. A moins que ce ne soit un autre gène : celui du mépris, dans sa variante la plus pathologique, le racisme – trouble de l’entendement grave et fréquent. C’est la conclusion (préliminaires, les tests ADN doivent encore être menés…) qui s’impose à la lecture des déclarations du généticien publiées dimanche outre-Manche par The Sunday Times et reprises hier par The Independent.

«Les Africains sont moins intelligents que les Occidentaux», lit-on à la une du quotidien, qui cite le «pionnier de l’ADN». Le propos ne mériterait guère l’attention s’ils n’étaient sortis d’une bouche aussi savante, celle du directeur du haut lieu de la recherche en génétique, à Cold Spring Harbor, aux Etats-Unis. L’entretien a été réalisé par la journaliste Charlotte Hunt-Grubbe, une ex-scientifique qui fut hébergée chez les Watson il y a dix ans. Elle l’interroge chez lui alors qu’il s’apprête à partir en Angletterre pour promouvoir son dernier livre. Il lui dit être «fondamentalement pessimiste quant à l’avenir de l’Afrique», : «Toutes nos politiques d’aide sont fondées sur le fait que leur intelligence est la même que la nôtre, alors que tous les tests disent que ce n’est pas vraiment le cas.»

«Son espoir est que tout le monde soit égal», écrit la journaliste, mais Watson objecte que «les gens qui ont des employés noirs découvrent que ce n’est pas vrai». Et ajoute : «Beaucoup de gens de couleur sont très talentueux, mais ne leur donnez pas de promotion quand ils n’ont pas fait leur preuve à un niveau inférieur.»

Récidiviste notoire. Au plan psychologique comme génétique, il n’existe aujourd’hui, rappelons-le, aucune définition scientifique de l’intelligence – les tests genre QI sont l’objet de controverses infinies. De même, aucun test biologique, génétique ou psychologique ne permet de définir en bloc «les Africains».

Watson, 79 ans, généticien émérite, père d’un enfant atteint d’un retard mental, a-t-il vraiment proféré un tel florilège de propos racistes ? On pourrait en douter s’il n’était un récidiviste notoire. Grand communicateur, il aime à s’attaquer inlassablement au politiquement correct, sans craindre d’être scientifiquement incorrect.

Il y a eu le premier scandale, originel et longtemps tu, qui a déchaîné la colère des féministes américaines : sa description méprisante, en 1968, du physique «masculin» de la physicienne Rosalind Franklin… à qui il doit pourtant son Nobel. La jeune scientifique, anglaise d’origine juive, avait réussi à obtenir, en 1953, les premières photos montrant la molécule d’ADN, photos que Watson et Crick ont utilisées à son insu. Rosalind Franklin est morte, quelques années après, dans l’ombre.

«Gène de l’homosexualité».
En 1997, le programme de séquençage du génome humain (qu’il a conduit à ses débuts) bat son plein. Chaque mois ou presque, de nouveaux gènes de maladie sont découverts ; les bases génétiques des comportements humains sont discutées. Watson évoque alors la possibilité de découvrir un «gène de l’homosexualité», et de le dépister chez le fœtus. Et il lance : «Les femmes doivent pouvoir avorter si leur enfant est testé homosexuel.» Ravageur. «C’est parce que la plupart des femmes veulent des petits enfants», ajoute-t-il à présent. En 2000, Watson émet l’hypothèse que les noirs ont une plus forte libido que les blancs. Nouveau tollé. Le généticien se lance bientôt dans une autre aventure : le séquençage à grande vitesse du génome d’un individu. Le sien. Le 31 mai dernier, le texte de son ADN est mis en ligne. Ou plutôt une partie. Il a omis de publier certaines régions du génome, contenant notamment des gènes de susceptibilité à Alzheimer… […]

Corinne Bensimon

En Afrique, le quotidien sénégalais Le Populaire a dénoncé le 19 octobre les propos du prix Nobel de médecine (1962) américain James Watson, qu’il a qualifié de «Nobel de racisme» pour avoir affirmé que les Africains étaient moins intelligents que les Blancs. Par ses déclarations, le Dr Watson, co-découvreur de l’ADN, montre qu’il «(déteste) génétiquement les Africains», affirme Le Populaire, qui lui décerne trois fois le «Nobel de racisme». Le journal accuse le scientifique américain d’être un «raciste multirécidiviste», en exprimant des doutes sur sa santé mentale. «A 79 ans, il pourrait ne plus avoir toute sa tête, même s’il a des activités professionnelles intenses», écrit-il.

Epilogue

Le 25 octobre 2007, le Laboratoire de Cold Spring Harbor à New York annonce que James Watson, 79 ans, a quitté son poste dans cet établissement de recherche sur le cancer et les maladies neurologiques où il a travaillé près de 40 ans. Dans un communiqué, Watson explique que vu son âge il est «plus que temps» qu’il parte à la retraite.

James Watson (AFP/ODD ANDERSEN)
James Watson (AFP/ODD ANDERSEN)

Facebook
Email