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Édition du 15 janvier au 1er février 2025

le quatorze juillet du cinquantenaire ne doit pas être la fête de l’impunité

Douze chefs d’État africains1 seront présents le 14 juillet à Paris pour célébrer, à la fois, la fête nationale et le cinquantième anniversaire des indépendances... ( y a-t-il vraiment quoi que ce soit à commémorer ? ) Dans une lettre ouverte adressée à Nicolas Sarkozy, et après avoir rappelé leur critique du projet de loi d’intégration en droit français des dispositions du statut de la Cour pénale internationale (CPI), la FIDH et la LDH s'inquiètent de la présence éventuelle au sein des délégations officielles de personnes accusées de graves violations des droits de l’Homme.

Lettre ouverte au président Français, Monsieur Nicolas Sarkozy

par

Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH

Jean-Pierre Dubois, président de la LDH

Sidiki Kaba et Patrick Baudouin, présidents d’Honneur de la FIDH

Michel Tubiana et Henri Leclerc, présidents d’Honneur de la LDH

le 12 juillet 2010

14 juillet 2010 : la fête nationale française, fête de l’impunité ?

Monsieur le président,

Le 14 juillet, vous allez présider les célébrations de la fête nationale française qui, cette année, ont été placés sous le signe du cinquantenaire des indépendances des anciennes colonies françaises en Afrique.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et ses 164 organisations membres et en particulier son organisation membre en France, la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH), sont gravement préoccupées par le fait que les délégations de certains pays invités aux festivités du 14 juillet puissent comprendre des personnes responsables de graves violations des droits de l’Homme, notamment des personnes mises en cause dans des instructions ouvertes devant la justice française pour de tels faits ; et qu’elles bénéficient d’ une immunité juridique à laquelle elles n’ont pas droit.

L’usage de l’immunité de juridiction, garanti notamment par la Convention de Vienne de 1969, – réservée aux chefs d’États et aux ministres d’affaires Étrangères et aux membres des ambassades dont la circulation est essentielle aux relations internationales – a progressivement été détourné de son sens afin de leur permettre d’échapper à leur responsabilité pénale pour les crimes de torture susceptibles d’être poursuivis sur le territoire français.

Nos organisations, qui sont constituées dans plusieurs affaires en cours devant la justice française et visant des ressortissants de pays invités, formulent donc officiellement, la demande qu’elles ont faite à l’occasion du Sommet de Nice en mai dernier, de rendre publique la composition des délégations étrangères invitées à l’occasion du 14 juillet afin que la fête nationale française ne soit pas la fête de l’impunité et que comme cela s’est déjà déroulé par le passé, de présumés responsables de violations des droits de l’Homme cités nommément dans des affaires instruites en France ne puissent abuser d’une quelconque immunité avec la complicité des autorités françaises.

Ce ne serait pas le moindre des paradoxes qu’à l’occasion de la célébration des valeurs de la République, celles-ci soient bafouées par la présence de tortionnaires, dictateurs et autres prédateurs des droits de l’Homme, et qu’en lieu et place de les poursuivre, la France les honore.

En outre, l’examen actuel, par l’Assemblée nationale du projet de loi d’intégration en droit français des dispositions du statut de la Cour pénale internationale (CPI) devrait anéantir toutes possibilités d’action intentées par les victimes et les associations pour faire juger sur le territoire français les auteurs étrangers de crimes de guerre, crimes contre l’Humanité et crimes de génocide.1

La France ne peut, dans le même temps, annoncer devant les États parties réunis à la conférence de révision du statut de la CPI à Kampala qu’aucun territoire ne doit être un sanctuaire de l’impunité ; et par ailleurs inviter des personnes accusées de graves violations des droits de l’Homme aux festivités du 14 juillet ; et ajouter à cette complaisance un projet de loi rendant quasi-impossible leur poursuite devant des tribunaux français pour les crimes internationaux les plus graves.

Afin que la fête nationale française ne soit pas synonyme de fête de l’impunité, nos organisations vous appellent solennellement à rendre publique la liste nominative des représentants des délégations étrangères invitées au 14 juillet afin que le peuple français sache qui bénéficie de cet honneur, et le cas échéant, de permettre à la justice française, encore en capacité juridique de le faire, de poursuivre les personnes devant lui rendre des comptes plutôt que les associer au défilé qui commémore le 212ème anniversaire de la Révolution française et dans un peu plus d’un mois le même anniversaire de la déclaration du 24 août 1789.

Nous vous demandons aussi d’intervenir auprès des parlementaires de votre majorité qui s’apprête à faire de notre pays une terre de quasi-impunité pour les criminels contre l’Humanité. Nul ne comprendrait, ici, comme partout dans le monde que la France se détourne de son histoire.

La présence africaine pour le 14-Juillet fait polémique

par Philippe Bernard, Le Monde daté du 14 juillet 2010

Voulue pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance de 14 anciennes possessions françaises, la présence, cette année, de militaires africains dans le défilé du 14-Juillet fait polémique. La Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) a adressé, lundi 12 juillet, à Nicolas Sarkozy, une lettre ouverte lui demandant de « rendre publique la composition des délégations étrangères invitées » à l’occasion de la fête nationale.

« Ce ne serait pas le moindre des paradoxes, écrit Souhayr Belhassen, la présidente de la FIDH, qu’à l’occasion de la célébration des valeurs de la République, celles-ci soient bafouées par la présence de tortionnaires, dictateurs et autres prédateurs des droits de l’homme, et que, en lieu et place de les poursuivre, la France les honore. »

L’organisation, qui fédère notamment 38 organisations africaines de défense des droits de l’homme, soupçonne la présence parmi les détachements africains invités sur les Champs-Elysées de militaires cités dans des procédures visant des crimes de guerre. « Les citoyens ont le droit de savoir qui on invite en leur nom pour le 14-Juillet », plaide Me Patrick Baudoin, président d’honneur de la FIDH. Diffusée par des opposants congolais mais démentie par l’Elysée, la rumeur de la présence à Paris du général Noël Léonard Essongo, le chef d’état-major de l’armée de terre du Congo, cité dans une procédure judiciaire ouverte en France comme un exécutant des massacres commis en 1999 à Brazzaville, apparaît symptomatique.

Les défenseurs des droits de l’homme qui font de la lutte contre l’impunité une des clés de la pacification de l’Afrique accusent la France de couvrir couramment la présence dans l’Hexagone de personnages encombrants, voire de les inviter sous couvert de bonnes manières diplomatiques. « Nous nous heurtons à une muraille dressée par les autorités françaises pour éviter de gêner des responsables africains qui peuvent être des bourreaux, résume Me Baudoin. Le 14-Juillet ne doit pas être la fête de l’impunité. »

L’Elysée se défend en assurant que « des contrôles ont été effectués afin de vérifier qu’aucun des invités (du 14-Juillet) ne fait l’objet d’une procédure judiciaire ». La présidence se dit prête à dialoguer avec la FIDH qui ne l’a pas sollicitée directement. De toute façon, précise-t-on, la cérémonie rendra hommage « non pas aux soldats qui défileront mais aux anciens combattants qui ont participé à la libération de la France ».

Il n’en demeure pas moins vrai que les armées invitées ont participé à des répressions sanglantes contre les populations : 353 morts au Congo en 1999 lors du massacre du Beach de Brazzaville, 500 morts lors de l’élection présidentielle au Togo en 2005, 100 morts au Cameroun lors des émeutes de la faim en février 2008. Sans oublier la disparition, à N’Djamena, de l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh lors d’une contre-offensive militaire en février 2008.

En choisissant le défilé militaire du 14-Juillet pour commémorer le jubilé des indépendances africaines, la France a cumulé les ambiguïtés. Au paradoxe du colonisateur fêtant l’émancipation de ses anciens sujets s’ajoute celui d’un défilé militaire célébrant le « renouveau » des relations franco-africaines. Tel devrait être, en effet, le thème du discours prononcé par M. Sarkozy, mardi 13 juillet, devant douze chefs d’Etat francophones réunis à l’Elysée pour un déjeuner (le président putschiste de Madagascar n’a pas été invité, tandis que son homologue ivoirien boycotte).

Le chef de l’Etat français, après s’être ouvert à ses « nouveaux amis » d’Afrique anglophone lors du sommet de Nice en juin, se replie sur l’ancien pré carré. Et choisit le 14-Juillet pour réunir des présidents des anciennes colonies françaises, dont plusieurs sont arrivés au pouvoir par les armes.

« Quel message la France veut-elle faire passer ? Ce n’est pas clair, estime Roger Bouka-Owoko, directeur exécutif de l’Observatoire congolais des droits de l’homme. Les Africains attendent de la France qu’elle hausse le ton lorsque l’Etat de droit est remis en cause dans nos pays. Au lieu de cela, elle fait défiler des militaires qui ne soutiennent pas toujours la démocratie. »

« Je sais ce que représente le 14-Juillet et je ne comprends pas que l’on honore ce jour-là des armées qui symbolisent l’oppression des peuples, renchérit Elois Anguimate, professeur de philosophie et opposant centrafricain. Les militaires vont défiler. Puis ils repartiront racketter les populations. »

Pour autant, y avait-il une bonne manière pour la France de célébrer les indépendances africaines ? « Si l’on n’avait rien fait, les gens auraient dit que je me moquais de l’Afrique. Si l’on s’en occupe, ils nous traitent de néocolonialistes », résumait récemment M. Sarkozy.

Un général sous mandat d’arrêt, mais en liberté

La réticence de l’exécutif français à l’égard des enquêtes judiciaires visant de hauts responsables africains est illustrée par l’affaire du Beach de Brazzaville, où 353 Congolais sont morts en 1999. L’instruction ouverte à Meaux a conduit en 2004 à la mise en examen pour « crimes contre l’humanité » de Jean-François N’Dengue, le chef de la police congolaise. Depuis, il a été remis en liberté à la demande du parquet. En 2008, la Cour de cassation a annulé les poursuites. L’enquête se poursuit mais, début 2010, le général Norbert Dabira, visé par un mandat d’arrêt pour « torture » dans la même affaire, a séjourné en France sans être inquiété.

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