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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Le plus simple ne serait-il pas d’abroger la loi sur le voile intégral ?

Il a suffi d'un contrôle d'identité d'une femme voilée pour déclencher 48 heures d'émeutes à Trappes. Comment mieux illustrer la dangerosité d'une loi qui dispose en son article 1 : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » Les débats publics qui avaient accompagné son adoption étaient restés centrés sur le caractère musulman du vêtement : c'était bien une religion particulière qui était visée. Le 8 mars 2010, Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, avait publié un texte intitulé « Obliger les femmes à porter la burqa est condamnable où que ce soit, mais le leur interdire chez nous serait une erreur » – il n'a malheureusement pas été entendu en France. Le 25 juin 2013, Jean-Louis Bianco a remis au premier ministre le rapport de l’Observatoire de la laïcité sur la mise en œuvre de cette loi ; nous en reprenons quelques extraits ci-dessous7.
[Mis en ligne le 23 juillet 2013, mis à jour le 28]

Compléments (28 juillet 2013) :

La verbalisation des contrevenants1

La loi ne confère en aucun cas à un particulier ou à un agent public le pouvoir de contraindre une personne à se découvrir. L’exercice d’une telle contrainte constituerait une voie de fait et exposerait son auteur à des poursuites pénales. Elle est donc absolument proscrite.

Les forces de la police ou de la gendarmerie nationales ne peuvent que constater l’infraction, en dresser procès-verbal et procéder, le cas échéant, à la vérification de l’identité de la personne concernée, conformément aux articles 78-2 et 78-3 du code de procédure pénale.

Il appartient aux forces de sécurité d’indiquer aux personnes qui dissimulent illégalement leur visage que le juge de proximité pourra prononcer une peine d’amende et/ou imposer un stage de citoyenneté prévu à l’article 131-5-1 du code pénal.

Lors de sa verbalisation, les forces de l’ordre invitent la personne à montrer son visage afin de contrôler son identité au regard du titre présenté (carte d’identité, passeport, permis de conduire,…) et de pouvoir établir un procès-verbal de contravention. Cette personne doit être en mesure de justifier de son identité par tout moyen.

Dans le cas où une personne refuse de se prêter à ce contrôle et si son identité ne peut être établie par un autre moyen, les conséquences de ce refus lui sont exposées, et notamment la possibilité, si elle persiste, de la conduire dans des locaux de police ou de gendarmerie pour y procéder à une vérification d’identité.

Face à un refus persistant de l’intéressé(e), et si aucune autre solution n’apparaît possible, le refus de dévoiler son visage rendant le contrôle de l’identité impossible, la procédure de l’article 78-3 du code de procédure pénale est appliquée.

Dès lors, le ou la contrevenant(e) pourra, conformément à l’article 78-3 du code de procédure pénale :
– être invité(e) à rester sur place le temps nécessaire à l’établissement, par tout moyen, de son identité ;
– et en cas d’impossibilité, être conduit(e) dans les locaux de police ou de gendarmerie aux fins de procéder à une vérification de son identité.

Ces deux formes de contrainte sont les seules susceptibles d’être exercées sur la personne concernée, les forces de l’ordre n’ayant pas le pouvoir de lui faire ôter le vêtement qui dissimule son visage.

Pendant la vérification d’identité, l’officier de police judiciaire informe immédiatement l’intéressé(e) de son droit de faire aviser le procureur de la République de la vérification dont il fait l’objet et de prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix.

Dans l’hypothèse où la personne persiste dans son refus de justifier de son identité, il appartient à l’officier de police judiciaire de prendre attache avec le procureur de la République afin d’établir la conduite à tenir et d’en rendre compte, sans délai, à sa hiérarchie.

Bilan d’application2

Les services de police et de gendarmerie assurent un suivi régulier quantitatif de la mise en œuvre de la loi du 11 octobre 2010.

Depuis le début de l’application de la loi et jusqu’au 30 avril 2013, 705 contrôles ont été effectués, dont 423 concernant des femmes entièrement voilées. Certaines ont été contrôlées à plusieurs reprises. Au total, 661 verbalisations ont été établies et 44 contrevenants ont fait l’objet d’un avertissement.

Parmi les 423 femmes entièrement voilées et contrôlées, 329 sont nées en France et 94 à l’étranger. Ces dernières viennent principalement du Maghreb (68), du Moyen-Orient (6), et de Turquie (5). Six femmes sont issues de la communauté subsaharienne (Mali, Somalie, Sénégal et Tchad), trois de Madagascar et des Comores, deux d’Asie, deux du Brésil et sept sont nées dans d’autres pays d’Europe (Espagne, Belgique, Pays Bas, Serbie et Suisse).

Seules vingt-cinq contrevenantes étaient mineures lors de leurs verbalisations, dont cinq récidivistes.

Le plus grand nombre de femmes contrôlées continue d’être situé dans la tranche d’âge de 20 à 29 ans.

Plusieurs des mises en cause sont multirécidivistes. Cinq ont été contrôlées et verbalisées au moins 10 fois depuis l’entrée en application de la loi dont une à 29 reprises, principalement à Nice et une seconde 25 fois, également dans le département des Alpes Maritimes.

Une troisième femme a été verbalisée à 13 reprises à Clermont-Ferrand et deux, l’une à Roubaix et l’autre à Guebwiller à 10 reprises.

Malgré les contraventions, ces différentes femmes continuent d’apparaître le visage dissimulé dans des lieux publics très fréquentés, créant des tensions avec une partie de la population ou adoptant parfois un comportement provocateur.

Sur les 50 faits relevés par les services de la police aux frontières dans le cadre de la mission de contrôle transfrontière, 47 contraventions ont été rédigées et transmises aux autorités judiciaires (pas de nouveaux chiffres).

A ces chiffres, il faut ajouter ceux de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, qui a procédé depuis l’entrée en vigueur de la loi à 49 contrôles et à 36 verbalisations au 21 mai 2013. (634 plaquettes d’information ont été remises sur le ressort de la D.S.P.A.P.)

Sur le plan géographique, il est à noter que certains départements de grande couronne sont particulièrement concernés par le phénomène. Près de 30 % des contrôles (204 sur 705) sont réalisés dans les départements de la grande couronne parisienne, notamment 130 contrôles dans les Yvelines. Les autres régions concernées sont la région Provence-Alpes-Côte D’azur (notamment les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône), la région Rhône-Alpes (Le Rhône,
le Puy-de-Dôme), ainsi que le département du Nord, de l’Ille-et-Vilaine ou de l’Eure-et-Loir. Dans certains départements (06, 28, 35, 63), l’importance du nombre d’infractions constatées tient à quelques femmes récidivistes. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes les deux principales contrevenantes ont été verbalisées à 46 reprises.

S’agissant des suites pénales données par les parquets, sur les 365 procédures établies au mois de mars 2012, 53 étaient encore en cours de traitement.

Sur les 312 procédures orientées par les parquets, 302 ont fait l’objet d’une réponse pénales. Des réponses pénales ont donc été apportées dans 96,8 % des cas.

Le plus souvent la réponse choisie a été celle de l’ordonnance pénale (191 procédures soit 63,2% dont l’une des condamnations a consisté en un stage de citoyenneté ou celle du rappel à la loi (74 procédures soit 24,5 %).

Une procédure a fait l’objet d’une alternative aux poursuites par la voie d’un stage de citoyenneté.

36 procédures ont fait l’objet d’une citation devant la juridiction de proximité (11,9 %). Parmi les procédures déjà jugées, deux ont donné lieu à une condamnation à un stage de citoyenneté et les autres à des peines d’amende

Les contrevenantes ont ainsi été condamnées au paiement d’amendes allant de 30 à 150 euros.
Lorsque l’option était offerte par le juge entre le paiement de l’amende ou l’accomplissement d’un stage de citoyenneté, la plupart des contrevenantes ont préféré payer l’amende.

Le délit de menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou de pouvoir pour imposer à une personne la dissimulation de son visage en raison de son sexe n’a donné lieu qu’à une seule condamnation depuis l’entrée en vigueur de la loi jusqu’en mars 2012.

La loi et le droit européen3

Que le législateur souhaite ou non se poser la question de l’abrogation de cette loi, la justice européenne sera conduite prochainement à en apprécier la compatibilité avec les principes de la CEDH.

En effet, une ressortissante française a introduit le 11 avril 2011 une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la loi n° 2010-192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public invoquant :

« Une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 4, l’interdiction légale de porter une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public la privant de la possibilité de revêtir le voile intégral dans l’espace public et l’empêche de s’habiller en public comme elle l’entend et en conformité avec ses choix culturels et religieux ;

« Une violation de son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9 de la Convention5). Selon elle, l’impossibilité de revêtir le voile intégral dans l’espace public serait « incompatible avec la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

Enfin, elle se plaint du fait que « l’interdiction légale de porter une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace publique générerait une discrimination fondée sur le sexe, la religion et l’origine ethnique au
détriment des femmes qui, comme elle, portent le voile intégral.
»

Par courrier du 11 avril 2013, le greffe de la Cour a informé le Gouvernement français que la chambre chargé d’examiner cette affaire a décidé de se dessaisir au profit de la Grande Chambre, procédure utilisée si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation de la Convention ou s’il y a un risque de contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour.

La Grande Chambre est composée de 17 juges : le Président de la Cour, les vice-présidents, les présidents des sections ainsi que le juge national et des juges tirés au sort. Il est très probable que la Grande chambre organisera sur cette affaire une audience publique qui pourrait intervenir, selon les informations dont dispose le ministère des Affaires étrangères, en septembre ou octobre 2013.

Compte tenu de la loi en cause et de l’intervention à l’instance de plusieurs ONG, cette audience sera nécessairement fortement médiatisée.

Gilles Devers ajoute sur son blog, Les actualités du droit, que la France étant membre du Conseil de l’Europe est tenue de respecter la résolution 1743 (2010) adoptée le 23 juin 20106 qui désapprouve les lois sur le voile intégral.

Extraits :

« 16 – […] L’article 9 de la Convention7 reconnaît à toute personne le droit de choisir librement de porter ou non une tenue religieuse en privé ou en public. Les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent se justifier lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage. Toutefois, l’interdiction générale du port de la burqa et du niqab dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de couvrir leur visage.

« 17 – […] Les femmes musulmanes subiraient une exclusion supplémentaire si elles devaient quitter les établissements d’enseignement, se tenir à l’écart des lieux publics et renoncer au travail hors de leur communauté pour ne pas rompre avec leur tradition familiale ».

  1. Page 90 du rapport.
  2. Pages 91-92.
  3. Page 93
  4. Voir 262.
  5. http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta10/FRES1743.htm
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